ARCANES, la lettre

Sous les pavés


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Sous les pavés", dédiée à l'archéologie.

SOUS LES PAVÉS


.

Inscription funéraire romaine trouvée au quartier du Férétra à Toulouse, Lavalée graveur, publiée en 1782 par Jean-François de Montégut dans le premier tome de "l'Histoire et Mémoires de l'Académie royale des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse".

Férétra(ïque) : fête et antique


février 2024
Comme chaque année, va se dérouler, au mois de juillet, le grand Fénétra, manifestation dédiée aux danses et musiques traditionnelles. Cet évènement est l'écho d'anciennes fêtes religieuses dont l'origine se trouverait au quartier du Férétra, à la sortie sud de Toulouse. Vous remarquerez que la graphie est un peu flottante, d'autant plus que l'on trouve aussi au Moyen Âge les variantes Félétra ou Falétra. Mais c'est surtout la forme Férétra qui a intéressé les érudits car, en la comparant avec le mot latin feretrum, qui désigne un lit mortuaire, ils ont pu imaginer un pedigree antique, sous la forme de cérémonies en l'honneur des morts.
Ce fut l'hypothèse de Jean-François de Montégut qui, en 1782, présenta comme preuve la découverte d'une inscription funéraire romaine dans ce quartier, dont nous vous présentons le dessin. Ainsi ces fêtes « férétraïques » témoigneraient de la présence d'une nécropole durant l'Antiquité. Ceci n'a d'ailleurs rien d'étonnant : les villes romaines implantaient leurs cimetières dans leur proche banlieue, notamment le long des routes.
Chapiteau représentant l’histoire de Job provenant de la Daurade à Toulouse, H. Révoil dessinateur et A. Guillaumot graveur, publié en 1873 dans le troisième tome de l’Architecture romane du midi de la France.

Les archéologues toulousains ont deux Jobs


janvier 2024
Non, il ne s’agit pas ici de dire que le travail d’archéologue est si précaire qu’il en faudrait prendre un second job pour survivre. Pourtant nombre de ceux qui exercent cette profession pourraient témoigner que l’on commence souvent sa carrière de façon chaotique. Entre institut public et entreprises privées, entre université et musées, il faut souvent enchaîner incommodément les missions avant d’obtenir, comme Job après ses épreuves, la divine reconnaissance : un CDI…

En fait, c’est bien Job, le personnage biblique, que nous voulons évoquer. Nous avons la chance, à Toulouse, de pouvoir étudier deux chapiteaux romans représentant son histoire, conservés au musée des Augustins. Le plus beau, dont nous présentons une illustration, a été récupéré lors de la démolition du cloître de la Daurade au début du 19e siècle. L’autre, incomplet, présente une déclinaison identique mais plus fruste du décor du précédent. Sa provenance est problématique bien que l’inventaire actuel du musée indique la cathédrale Saint-Étienne, d’après le catalogue Rachou de 1912. Henri Rachou disait retenir cette origine d’après la Société archéologique du midi de la France, donatrice de cet objet. Or, quand cette société l’a elle-même récupéré en 1887, c’est l’abbaye Saint-Sernin qui avait été évoquée. Donc Rachou a manifestement commis un lapsus entre ces deux églises toulousaines.

Objectivement, personne ne pouvait vraiment savoir d’où il venait car il avait été retrouvé sans pedigree dans les locaux de l’Institut catholique, alors que sa forme rectangulaire indiquait qu’il avait été retaillé pour servir de simple moellon. Néanmoins si Saint-Sernin n’était qu’une spéculation, on peut deviner son inspiration : on avait aussi précédemment découvert à l’Institut, en remploi dans des constructions, des pierres tombales qui provenaient bien de cette abbaye. De là à supposer que tous ces matériaux de récupération avaient une même origine… Il faut noter que l’historien Jules de Lahondès proposa de son côté, sur l’argument de la forme, une même provenance de la Daurade pour ces deux chapiteaux.
Substructions antiques découvertes près de la chapelle Saint-Roch des Récollets à Toulouse, relevé par Pierre Fort, 30 mars 1954, Mairie de Toulouse, Archives municipales, fonds Pierre Salies.

Archival Toto, Archéo Total


décembre 2023

Il suffira d'attendre assez longtemps… et nos objets quotidiens finiront dans un musée… et nos journées ordinaires seront analysées par des historiens. On peut imaginer, dans quelques centaines d'années, une unité de recherche universitaire baptisée « Archival Toto » (car l'humanité ne parlera alors qu'en anglais), chargée de documenter les étranges faits et gestes d'un certain petit groupe d'individus ayant parcouru la planète à la fin du 20e et au début du 21e siècle. Ils découvriront alors peut-être, dans les archives municipales de Toulouse, des images de cette tribu migratrice, nommée « Toto », animant une étrange cérémonie, appelée « concert », le soir du 30 mars 1999 à Toulouse. Et à partir d'une photographie, dont vous trouverez la reproduction dans une autre rubrique de ce numéro d'Arcanes, ils s'interrogeront probablement sur la signification cultuelle des éclairages ou tenteront de reconstituer des instruments de musique oubliés.

Si nous abandonnons le collectif Toto pour nous intéresser au singulier Total, ce grand groupe énergétique français a publié, dans les années 1970-1980, une revue intitulée « Caesarodunum ». Souvent sous-titrée « Total Archéologie », son fascicule de l'automne 1980, intitulé « Les 100 villes qui ont fait l'Occident », contient un article sur Toulouse par Pierre Salies et Georges Baccrabère. L'un de ses principaux intérêts était de dévoiler le dessin de substructions antiques découvertes en 1954, près de la chapelle Saint-Roch des Récollets, lors du creusement d'une tranchée dans la rue. Mieux encore que le croquis publié, nous pouvons vous présenter aujourd'hui le relevé original, maintenant conservé aux Archives municipales.

Journée portes ouvertes sur le chantier archéologique de l’hôpital Larrey à Toulouse, 11 décembre 1988. Reportage photographique de la Direction de la Communication - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 15Fi5933/2.

Anciennes visites, dernière visite


novembre 2023
Les archéologues médiévistes ou modernistes apprécient tout particulièrement la lecture des anciennes visites pastorales. Ce sont les comptes rendus des inspections faites régulièrement par les évêchés dans les paroisses. On y notait l’état des églises et des cimetières, ainsi que du mobilier utilisé par le curé, et on indiquait ce qui devait être amélioré. Même les chapelles privées étaient examinées. C’est ainsi que, lors d’une étude menée par le service archéologique de Toulouse Métropole à Beaupuy, on a relevé que le seigneur du lieu avait possédé sa propre chapelle à côté de son château, tous les deux maintenant disparus. Et plus récemment, à l’occasion de la révision de la carte archéologique de Saint-Orens-de-Gameville, les visites ont permis de recenser des oratoires avec leur autel domestique chez plusieurs habitants du 18e siècle, structures qu’il aurait été bien difficile de repérer autrement.

Mais les archéologues organisent aussi leurs propres visites. Il s’agit de journées portes ouvertes qui permettent au public de visiter leur chantier en cours de fouille. À Toulouse, on pratique ce type de médiation depuis les années 80 comme le montre la photographie que nous présentons. Nous sommes le 11 décembre 1988 sur le site de l’ancien hôpital militaire Larrey et nous pouvons y apercevoir les ruines d’un bâtiment des 5e-6e siècles de notre ère. L’occasion n’était pas à manquer car il s’agissait là d’une dernière visite. En effet, ces vestiges, identifiés comme le palais des rois wisigothiques de Toulouse, ont laissé peu après la place à un projet immobilier.
Double tournois de Louis XIII découvert dans un sarcophage de l’enfeu des Comtes à la basilique Saint-Sernin de Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Sus à l’intrus : Louis XIII chez les comtes de Toulouse


octobre 2023
Les archéologues n’aiment pas trop les intrus. Tout d’abord ceux qui s’introduisent sur leurs chantiers pour dérober ou dégrader du mobilier. C’est déjà arrivé à Toulouse, notamment lors de fouilles de cimetières anciens à la halle aux grains en 1999-2000 ou dans la rue des Trente-Six-Ponts en 2014 où des sépultures ont été vandalisées. Et puis il y a les intrus qu’ils découvrent dans les couches archéologiques. En général, c’est un objet plus ancien que le milieu où il se trouve. On comprend alors sans difficulté qu’il y a pu avoir un mélange : un habitant du Moyen Âge a pu, par exemple, en creusant dans son jardin, déterrer une monnaie antique et la transplanter dans son espace chronologique.

Par contre, c’est quelquefois un objet plus récent qui perturbe la datation d’un ensemble et il est difficile d’expliquer sa présence. Récemment, le service archéologique de Toulouse Métropole a fouillé à Toulouse, sous la direction de Bastien Lefebvre, l’un des sarcophages de l’enfeu qui se trouve à l’extérieur de l’église Saint-Sernin. Réputé contenir les restes des comtes médiévaux de Toulouse, on eut la surprise de découvrir dans ce tombeau une monnaie de Louis XIII, plus précisément un double tournois des années 1620 dont nous présentons une photographie, accompagné d’ailleurs de tessons de poteries d’époque moderne. Nous passerons sur l’ironie de voir, à côté des ossements des comtes, des fleurs de lys, emblème des rois de France qui ont justement mis fin à la dynastie comtale au XIIIe siècle. Alors, que s’est-il passé ? On pourrait presque imaginer quelqu’un balayant autour de la basilique vers 1700 qui, ne sachant pas trop quoi faire des déchets qu’il a ramassés, aurait soulevé le couvercle du sarcophage pour l’utiliser comme une simple benne à ordures…
Affiche touristique pour la grotte du Mas-d’Azil, illustrateur Amable Eugène Benoist, vers 1940, documentation Marc Comelongue.

Tourisme à l'Amable


septembre 2023

Toulouse possède quelques sites archéologiques et touristiques. Gérés pour la plupart par le musée Saint-Raymond, le plus connu est l’amphithéâtre romain de Purpan où des visites guidées sont organisées depuis des décennies. Quoi de plus normal, d’ailleurs, que de voir des touristes dans un édifice construit originellement pour le spectacle.
Nous aurions pu alors vous présenter le programme d’ouverture de 1996 que nous possédons dans nos papiers mais, celui-ci étant une photocopie assez simple, nous préférons vous montrer un document un peu plus attrayant.

Il s’agit d’une publicité concernant la grotte ariégeoise du Mas-d’Azil. Site préhistorique célèbre depuis la fin du XIXe siècle, elle fut aménagée touristiquement à la fin des années 1930 par Joseph Mandement. Notre affiche elle-même date de vers 1940, année où Mandement a commencé à utiliser la même illustration dans sa correspondance. Mais ne sommes-nous pas un peu loin de Toulouse ? Pas tant que ça…
Regardez la signature du dessin et vous lirez « B. Amable ».
C’est celle du peintre Amable Eugène Benoist de Saint-Ange qui fut le décorateur du théâtre du Capitole dans les années 1920. La ville de Toulouse l’a d’ailleurs honoré à ce titre en baptisant de son nom une nouvelle rue en 2004.

Dessins préhistoriques du Salon Noir de la grotte de Niaux, tirage papier noir et blanc, auteur et date de la photographie inconnus, documentation Marc Comelongue.

Vieilles Salles et sombre Salon


juillet-août 2023
Si nous avons l’habitude d’orthographier « salle » en mode mineur, comme salle de bains ou salle de sport, ce terme avait un peu plus de prestige au Moyen Âge. Quand on construisit à Toulouse, au XIVe siècle, une nouvelle bâtisse au Château Narbonnais, devenu ensuite le Parlement et qui se trouvait à l’emplacement du palais de justice actuel, on la nomma respectueusement Salle-Neuve. De plus en Gascogne rurale, de nombreux châteaux et manoirs sont aussi dénommés « Salle ». Mais cela intéresse essentiellement les médiévistes.
D’autres archéologues sont aussi concernés : les préhistoriens spécialistes d’art pariétal. En effet, ils étudient surtout des grottes dont les salles sont des repères essentiels, à l’instar de la Salle du Sanctuaire de la grotte des Trois-Frères en Ariège. Ils peuvent d’ailleurs trouver dans ce département un lieu d’étude encore plus confortable : un salon ! C’est le célèbre Salon Noir de Niaux avec ses dessins magdaléniens de chevaux, de bouquetins et de bisons dont nous présentons une photographie.
Portrait de Socrate et autel antique orné d’un visage de silène conservés au musée Saint-Raymond de Toulouse, Mairie de Toulouse, Archives municipales, cartes postales, 9Fi3889 (extrait), photographie Philippe Folliot et 9Fi3928 (extrait), photographie Jacques Glories.

Pas gâté par la nature : si laid ou silène ?


juin 2023
Les portraits sculptés grecs et romains sont souvent si beaux que l’on peut quelquefois soupçonner leurs auteurs d’avoir embelli les visages de leurs modèles. Pourtant il en est un qui semble tellement avoir été si peu gâté par la nature que les artistes n’ont pas su l’enjoliver. Il s’agit du philosophe Socrate. Sa laideur était d’ailleurs proverbiale, au point que ses contemporains ont pu le comparer aux silènes, êtres monstrueux de la mythologie antique.
Deux sculptures conservées au musée Saint-Raymond de Toulouse vont nous permettre de faire la comparaison. L’une est un buste de Socrate d’origine inconnue, et l’autre un autel romain découvert en 1862 près de la cathédrale Saint-Etienne à Toulouse. Ce dernier est orné de visages dont un, celui d’un silène barbu, peut se rapprocher de celui du moche penseur : mêmes barbe, front dégarni et traits disgracieux. Pourtant un détail vous permettra de faire la différence : le silène a les oreilles pointues. Socrate non, il n’aurait plus manqué que ça.
Imposte en fer forgé du XVIIe siècle disparue sans laisser d’adresse précise dans la rue de la Pomme, publiée dans la Revue générale de l’Architecture et des Travaux publics de 1879.

Pomme sans fruits


mai 2023
Les investigations menées pour la carte archéologique de Toulouse Métropole ont pour but de recenser des vestiges très anciens mais aussi des éléments beaucoup plus récents, modernes ou contemporains. Toutefois ces derniers doivent répondre à deux conditions : avoir disparu mais néanmoins pouvoir être décrits par une illustration ou un texte. De plus, on espère toujours retrouver précisément leur ancien emplacement. Mais cela n’est pas toujours possible.
C’est le cas dans la rue de la Pomme où, pour deux fenêtres à meneaux du XVIe siècle et une belle imposte en fer forgé du XVIIe siècle publiées et illustrées dans les années 1860-1870, les tentatives de relocalisation exacte ont été infructueuses. Cette pomme nous laisse donc avec trois fruits défendus pour la cartographie du patrimoine toulousain, disparus sans laisser d’adresse.
Disque d’interview de l’abbé Breuil par le docteur Sahly : à gauche étiquette du vinyle, à droite couverture du livret d’accompagnement, infographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine, Toulouse Métropole.

Le disque en archéologie, l’archéologie en disque


avril 2023
Il est fort probable que tout archéologue entendant le mot « disque » pensera immédiatement au Discobole, célèbre statue sculptée au Ve siècle av. J.-C. par le grec Myron. De nombreuses copies en furent produites durant l’Antiquité et le musée Saint-Raymond de Toulouse possède d’ailleurs l’une d’entre elles, découverte à Carcassonne au XVIIIe siècle. Malheureusement elle est incomplète. Pas de bras, donc pas de main et par conséquent pas de disque pour illustrer notre chronique.
Je vous propose donc, plutôt que de chercher le disque en archéologie, de tenter de trouver de l’archéologie en disque. Il faut pour cela se transporter à Rieumes, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Toulouse, chez le docteur Ali Sahly. Ce chercheur, qui avait su allier sa formation de médecin à sa passion de la préhistoire en étudiant les mains peintes de la grotte de Gargas, était un grand ami du célèbre préhistorien, l’abbé Breuil, qu’il hébergeait régulièrement. Lors d’un de ces séjours, en août 1960, A. Sahly eut la bonne idée d’interroger Breuil sur l’art préhistorique et de l’enregistrer. Un an plus tard, le 14 août 1961, l’abbé décédait. Le docteur Sahly publia alors, en hommage, cet enregistrement sous la forme d’un disque vinyle 33 tours. Cette rareté discographique témoigne que l’abbé avait gardé, dans ses quatre-vingtièmes années, esprit alerte et parole limpide. Ceux qui connaissent l’écriture quasi indéchiffrable qu’il produisait à la fin de sa vie auraient pu en douter. Il faut noter qu’un livret contenant la transcription de l’interview accompagnait aussi le disque.
Bas-relief d’Oô conservé au musée des Augustins de Toulouse, photographie publiée dans le Bulletin municipal de la Ville de Toulouse de Juin-Juillet 1940.

Histoire d'Oô


mars 2023

Oô. C’est ce que les visiteurs ont pu lire sur le cartel du bas-relief que nous présentons, quand il a intégré le musée de Toulouse en 1820. Car c’est dans les murs de l’église du village pyrénéen d’Oô qu’il avait été découvert. Drôle de nom qui se réfère à l’eau, puisque oô signifierait lac d’après les toponymistes. C’est d’ailleurs sur le territoire de cette commune que se trouve le lac d’Oô, l’un des sites les plus connus des Pyrénées.

Oh ! C’est ce qui a pu résulter d’une étude plus attentive de cette sculpture. Son sujet est effectivement surprenant : une femme nue avec un serpent qui, sortant de son sexe, vient s’allaiter à son sein. On a évidemment d’abord pensé à une divinité bizarre sortant du fond des âges, mais on a ensuite compris qu’il s’agissait probablement d’une production médiévale ou moderne. Dans ces communautés montagnardes qui n’avaient pas les moyens d’engager de véritables artistes, on pouvait alors s’improviser sculpteur ou peintre en toute naïveté. Mais pour raconter quelle histoire ? Une obscure légende locale ? Ou bien une péripétie trop grivoise de la relation d’Ève avec le Serpent qu’on aurait écarté du récit biblique ? Il serait, en effet, étonnant de retrouver l’histoire d’Oô dans la Bible.

Fragments de verre médiéval à décor de filets verts, découverts dans les Pyrénées au sud de Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Vers le vert sur verre


février 2023

Au bas Moyen Âge, la fabrication de verre était déjà bien standardisée et l’on pouvait retrouver les mêmes productions dans tout le sud de la France. Notamment de beaux récipients à parois très fines et translucides, ornés de filets bleus, dont plusieurs exemplaires ont été découverts à Toulouse. On rencontre aussi pourtant dans les fouilles de notre région des artéfacts de même type, mais cette fois-ci décorés de filets verts. Alors que s’est-il passé ?

Comme on peut le remarquer sur les fragments que nous avons photographiés, certains verriers médiévaux avaient du mal à obtenir une transparence parfaite et leur produit gardait une légère teinte verdâtre, pratiquement imperceptible tant que le verre restait fin. Mais dès qu’on l’épaississait, en posant des filets par exemple, la couleur verte se révélait franchement. Du coup, il devenait aléatoire de teinter en bleu une matière qui était déjà d’une autre coloration. Ces verriers abandonnèrent alors les décors bleus, économisant d’ailleurs ainsi l’achat du cobalt qui servait à les fabriquer. La contrepartie de cette mutation vers le vert sur verre étant des produits assurément moins attrayants.

Archéologues jusqu’au-bouetistes ayant touché le fond (d’un puits gallo-romain), site de Barquil à Cornebarrieu, 2017, photographie Flore Diverrez / Service de l’Inventaire patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Archéologue, jusqu’au boue


janvier 2023

Les archéologues se retrouvent régulièrement les pieds dans la boue à la moindre averse. Il ne peut en être autrement quand son métier est de faire des trous. Et même quand il ne pleut pas, à force de creuser on rencontre immanquablement un jour la nappe phréatique. Cela sonne généralement l’arrêt des travaux sauf pour des structures archéologiques particulières : les puits. Par fonction, ils baignent dans l’eau et il est alors impossible d’éviter le bain de boue si l’on veut les explorer jusqu’au fond. La photographie que nous présentons l’illustre parfaitement avec un puits antique fouillé, en 2017, par le service archéologique de Toulouse Métropole dans la commune de Cornebarrieu.

Pire encore, la boue séchée peut aussi poser problème. En effet, le sous-sol de Toulouse est formé par une roche particulière mise en place durant l’ère tertiaire : la molasse. Très tendre, elle peut facilement se transformer en boue, glisser et se reconstituer quasiment à l’identique en séchant, au point qu’il est difficile de s’apercevoir qu’elle a bougé. C’est un piège dont les archéologues toulousains se méfient, surtout lorsqu’ils fouillent au pied des collines qui entourent la ville. Quand ils y rencontrent une couche de molasse, ils se gardent bien de conclure hâtivement qu’ils sont en présence d’une strate géologique naturelle très ancienne. Ils creusent toujours un peu plus profondément pour vérifier s’il ne s’agit pas d’une coulée de boue molassique qui, dévalant des pentes, aurait recouvert des vestiges beaucoup plus récents.

Structure antique démolie en 1866 lors de la construction de l’école Lespinasse à Toulouse, d’après sa publication par Jacques-Jean Esquié en 1871, Mairie de Toulouse, Archives municipales, FRAC31555_REV101_ill (extrait).

Un siphon, les Romains


décembre 2022

Les siphons sauvent notre quotidien en empêchant la remontée des mauvaises odeurs par nos canalisations. Au Moyen Âge et à l’époque moderne, les toulousains n’en bénéficiaient pas, même dans les bâtiments les plus élaborés comme la tour des latrines de l’ancien monastère de la Daurade étudiée par les archéologues en 1993. Ainsi après chaque tir au but, des exhalaisons pouvaient jouer le match retour. Les mieux lotis étaient ceux qui pouvaient construire leurs toilettes au-dessus d’un cours d’eau, comme à l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques le long de la Garonne.

Pourtant le principe du siphon était connu dès l’Antiquité. Au cours de la construction de l’école Lespinasse en 1866, dans le quartier Saint-Cyprien sur la rive gauche de la Garonne, on a démoli les vestiges d’une imposante et mystérieuse structure antique. On s’aperçut alors qu’elle contenait une canalisation verticale. Qu’en penser ? Elle était située sur le trajet de l’ancien aqueduc construit par les Romains pour alimenter la ville. Or on sait que lorsque ceux-ci devaient faire franchir un point bas à leurs aqueducs, comme une rivière, ils construisaient un réservoir en hauteur se déversant dans une conduite forcée. Le siphon ainsi créé permettait alors à l’eau de remonter une fois le point bas franchi. On imagine bien la mise en œuvre d’une telle solution à Toulouse où la ville antique occupait un point haut sur la rive droite de la Garonne.

Ainsi font les Romains.

Cachet d’oculiste en stéatite à quatre inscriptions découvert dans le Tarn-et-Garonne, d’après sa publication par Emile Espérandieu en 1904.

Vue et cachet


novembre 2022
Les archéologues développent souvent un sixième sens qui leur permet de comprendre le monde en grattant avec une truelle. Mais la vue leur est aussi d’une aide précieuse sans qu’ils soient d’ailleurs tous égaux sur ce sujet. Quand deux chercheurs fouillent la même couche de la fin de l’Antiquité, on remarque souvent que l’un va retrouver plus facilement les minuscules monnaies en bronze de cette période. La vue peut être aussi sélective. En prospectant un champ labouré, l’un repérera plutôt les tessons de poteries tandis que l’autre ne verra que les outils préhistoriques en pierre taillée ou polie.
Les artefacts liés à la vue ne sont pas si communs. En attendant la découverte d’un œil de verre ou d’une paire de lunettes anciens, ce sont surtout les cachets d’oculistes antiques qui ont intéressé les archéologues. Petits objets en pierre, ils portent sur leurs tranches des inscriptions latines gravées permettant d’estampiller un remède, souvent un collyre, dont la consistance était assez plastique pour cela. On pouvait ainsi y lire le type d’affection qui était soignée, souvent le patronyme du médecin prescripteur et quelquefois le nom même de la substance. Il semble que l’on n’en ait découvert encore aucun à Toulouse et le seul répertorié dans notre région, dont nous présentons l’illustration, a été trouvé dans le Tarn-et-Garonne. Par contre un collectionneur toulousain, Théodore de Sévin, possédait au XIX e siècle un objet encore plus rare, mais malheureusement d’origine inconnue : une petite ampoule en plomb en forme d’amphore portant l’inscription « Ex officina Lucii Octavii ad caliginem », que l’on peut traduire « De l’officine de Lucius Octavius pour guérir les obscurcissements de la vue ».
Emballage de préhistoriens ou témoignage d’un trafic de crâne entre Toulouse et Paris, photographie Marc Comelongue. Direction du Patrimoine, Toulouse Métropole.

L'archéologie par l'emballage


octobre 2022
Au vu des nombreuses fouilles opérées en France, le conditionnement des objets archéologiques est un enjeu majeur abordé avec rationalité. Des normes régissent leur emballage dont la pièce maîtresse est un bac plastique aux dimensions bien précises utilisé universellement, complété par diverses tailles de sachets à fermeture ZIP permettant d’isoler les lots de mobilier dans les caisses. Tout ceci durera jusqu’au jour où l’on s’apercevra que le plastique est une matière dégradable…
Auparavant, les institutions qui en avaient les moyens se tournaient vers la menuiserie, et leurs collections étaient rangées dans de beaux tiroirs en bois. Certains archéologues, amateurs moins fortunés, pouvaient exploiter des sources de contenants plus singulières : l’un, travaillant dans une banque, aura recyclé les boîtes en carton servant à expédier les chèques, tandis qu’un autre, copain avec un boucher, aura récupéré des caisses en polystyrène servant à transporter de la viande…
Un contenant privé de son contenu peut aussi susciter de l’intérêt. Ainsi, une caisse en bois retrouvée récemment à Toulouse ne pouvait qu’intriguer les archéologues. Une étiquette indiquait les noms de son expéditeur : l’anthropologue Henri-Victor Vallois, connu pour avoir étudié de nombreux restes humains préhistoriques, et de son destinataire, le célèbre préhistorien toulousain Louis Méroc. Une enquête a conclu qu’il ne pouvait s’agir que de la caisse ayant servi au retour d’un crâne magdalénien recueilli dans une grotte pyrénéenne en 1959 par L. Méroc, qui l’avait envoyé à Paris au professeur Vallois pour étude. Bon, je ne vous sens pas trop emballés par mon histoire d’emballage… À quoi sert d’étudier un contenant vide, me direz-vous non sans raison ? En fait, la caisse n’était pas toute seule et débrouiller son pedigree a permis aussi de donner un contexte aux objets sans généalogie qui l’accompagnaient.
Extraits des plombs inscrits de Vindrac (81) et de Tabariane (09), infographie Marc Comelongue. Direction du Patrimoine, Toulouse Métropole.

Ne t'aime, Anathème


septembre 2022
Si vous n’aimez pas quelqu’un, vous pouvez tenter l’anathème. Et si vous croyez à l’existence de forces occultes, vous pouvez demander leur aide en leur envoyant un message comprenant le nom de l’individu à cibler et la liste des malheurs à lui infliger (et éventuellement son adresse, ça ira plus vite). Pendant l’Antiquité et le haut Moyen Âge, ces malédictions étaient souvent gravées sur une feuille de plomb. Mais comment faire passer ces suppliques aux entités diaboliques chargées de les exécuter ? Il fallait trouver un coursier qui se rendait de « l’autre côté », autrement dit un mort que l’on enterrait. C’est pourquoi on retrouve ces artefacts dans des tombes, de personnes qui, d’ailleurs, n’avaient pas spécialement un lien avec les protagonistes de la damnation. Les archéologues en découvrent néanmoins rarement. Les raisons principales sont que ces feuilles de plomb sont très petites, repliées en rouleau et souvent en mauvais état, prenant l’aspect d’un objet assez insignifiant, déchet de métal ou galet désagrégé, qui peut facilement passer inaperçu.
Dans notre région, deux découvertes relativement récentes sont à signaler : l’une dans la nécropole alto-médiévale de Vindrac dans le Tarn, l’autre dans le cimetière mérovingien de Tabariane dans l’Ariège. Et elles sont passées ensuite par Toulouse, dans le laboratoire de restauration Materia Viva. Une fois déroulées, les feuilles ont bien dévoilé une inscription. Mais, comme vous pouvez le voir dans l’image ci-jointe, elles sont restées indéchiffrables, ce qui est souvent le cas, même si on peut deviner qu’elles sont « écrites » en minuscule latine. On peut subodorer que le sorcier chargé de les rédiger ne devait pas plus savoir écrire que le demandeur ne devait savoir lire. C’est le geste qui compte, me direz-vous. Sauf que l’on peut s’interroger sur leur efficacité : les démons n’ont sûrement pas compris ce que l’on leur demandait… De plus, ont-ils vraiment lu ces messages ? Comme ils ont été retrouvés encore enroulés, on peut en douter.
Ardoise gravée de portées vierges découverte lors de la fouille archéologique du Lycée Ozenne à Toulouse en 1997, infographie Marc Comelongue. Direction du Patrimoine, Toulouse Métropole.

Graver chant, chanter grave (ou aigu)


juillet-août 2022
Transmettre la musique en dehors de l’apprentissage direct fut un problème ardu à résoudre. Évidemment, l’écriture pouvait archiver les mots d’un chant depuis l’Antiquité. Mais comment représenter les notes ? L’utilisation de la portée à partir du Moyen Âge a permis de débrouiller cette difficulté. Elle est constituée de lignes horizontales représentant une échelle sur laquelle on s’élève en passant du grave à l’aigu. Ainsi, de nombreux manuscrits médiévaux et modernes nous permettent d’entendre leur époque.
Les ardoises gravées ont aussi été utilisées pour transcrire la musique. Elles sont relativement rares, mais nous avons la chance d’en conserver à Toulouse. Celles-ci ont été découvertes en 1997 lors de la fouille archéologique du lycée Ozenne, dirigée par Jean-Charles Arramond (Association pour les fouilles archéologiques nationales) et sont parfaitement à leur place. En effet, ce site fut à l’époque moderne celui de la maîtrise des chanoines de l’abbaye Saint-Sernin, c’est-à-dire un établissement servant à former les enfants de chœur. Le fait que seules les portées sont représentées montre d’ailleurs bien que nous sommes dans un contexte d’enseignement du chant où les ardoises servaient aux exercices, les notes étant tracées à la craie, puis effacées.
Porte de l’hôtel de Bernuy, détail d’une gravure publiée dans Toulouse monumentale et pittoresque en 1842, dessinateur Perrin, graveur Achille Delor, Mairie de Toulouse, Archives municipales, RES111 (extrait).

Du prêt à l’hôtel


juin 2022

Aujourd’hui cette expression évoquerait immanquablement le surendettement provoqué par l’abus des prêts à la consommation, la perte de sa maison, et la précarité de la vie à l’hôtel. Au filtre de la Renaissance toulousaine, le sens peut être tout différent : les liquidités accumulées par de riches marchands, une fortune que l’on peut multiplier en accordant des prêts à intérêt, et l’acquisition de riches demeures au centre de notre cité. C’est ainsi que Jean de Bernuy put faire construire au début du 16e siècle l’hôtel particulier qui porte son nom, devenu par la suite collège des Jésuites et aujourd’hui lycée Pierre-de-Fermat. L’argent qu’il avait gagné grâce au commerce du pastel lui avait permis d’assumer la caution de la rançon de François Ier en 1525 et plus tard, en 1539, d’être l’un des principaux contributeurs d’un important prêt « consenti » par les Toulousains au roi de France.
L’image ci-contre représente la partie supérieure de la porte d’entrée de son hôtel que l’on peut encore admirer dans la rue Gambetta, telle qu’elle a été publiée en 1842. Si l’on est prêt à y regarder de plus près, la comparaison avec une illustration donnée par l’archéologue Alexandre Du Mège, dans les Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France édités en 1837, montre des évolutions révélatrices de quelques restaurations.
Tout d’abord le médaillon central contient un mascaron d’Apollon alors qu’il montrait auparavant un monogramme du Christ. Au-dessus, le bandeau tenu par un ange porte manifestement une inscription alors que Du Mège semblait indiquer que celle-ci avait disparu. Actuellement on y lit très clairement la devise gravée SI DEVS PRO NOBIS, Si Dieu est avec nous, or cette sentence orne une autre porte de l’hôtel située dans une cour d’où on l’a manifestement prise comme modèle vers 1840. Enfin, les deux médaillons supérieurs portent des bustes alors que Du Mège les avait vus vides. Très bizarrement ces deux bustes dessinés ressemblent « presque » à ceux que l’on peut voir aujourd’hui : il faut néanmoins les intervertir et, de plus, retourner leur image en miroir pour enfin les faire correspondre à la réalité. L’humour est dans l’à-peu-près…

Médaillon de l’ancien hôtel de Pins, photographie Eugène Trutat, 1899, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 6Fi68 (détail).

Recyclage chapeau Renaissance


mai 2022
Vous cherchez des chapeaux ? Allez chez un chapelier. Et, ça tombe bien, il y a une rue des Chapeliers à Toulouse… ou plutôt il y avait, car celle-ci a disparu, effacée par la rue du Languedoc tracée en 1899-1904. C’est dommage, car il y avait un beau bâtiment Renaissance dans cette rue : l’hôtel de Pins construit au XVIe siècle qui possédait des galeries ornées de médaillons montrant des têtes dont certaines portaient… des chapeaux, comme le montre la photographie ancienne que nous publions. Alors, perdus ces galures ? Heureusement non. Car les galeries et leurs sculptures ont été récupérées lors de la démolition de l’hôtel de Pins puis remontées pour une partie dans le nouvel hôtel, dit Antonin, construit à sa place et pour l’autre dans l’hôtel Thomas bâti à la même époque, non loin de là, dans la rue Croix-Baragnon.
La cellule archéologique de Toulouse Métropole a aussi été récemment sur la piste d’un chapeau. Un sondage a été réalisé sous la direction de Christophe Calmés à l’emplacement de l’ancien n° 14 de la rue des Arts, immeuble détruit par le percement de la rue de Metz en 1895-1897. Or c’est à cet endroit que s’était autrefois élevée l’hostalaria del capel rouge, l’auberge du Chapeau Rouge, détruite par un incendie au XVe siècle. Mais aucun vestige de couvre-chef n’a été découvert lors de cette fouille.
Dépôt de lœss jaune repéré à Saint-Jory lors d’une fouille archéologique, photographie Teddy Bos, Cellule Archéologie de Toulouse Métropole.

« Poussière de vent »


avril 2022

C’est la définition que l’on pourrait donner du lœss, formation géologique composée de particules charriées par le vent puis accumulées sur des épaisseurs de plusieurs mètres. On en trouve d’ailleurs autour de Toulouse dans les vallées de la Garonne et de l’Hers où ces dépôts se sont formés il y a environ 20 000 ans, pendant la dernière période glaciaire appelée Würm. Comme le champ d’étude de l’archéologie s’est élargi à l’histoire de l’environnement, ce sont non seulement les traces laissées par l’homme lui-même qui intéressent les archéologues, mais aussi tout ce qui a pu influer sur son existence : la faune sauvage, la végétation, le climat et la géologie.

C’est ainsi que le lœss a pu influencer, par deux fois et de façons opposées, la vie de nos ancêtres toulousains : tout d’abord au moment de sa formation, où un climat froid et un vent violent (l’ancêtre du vent d’autan ?) a été un frein à l’implantation des populations humaines du Paléolithique supérieur dont les vestiges sont effectivement très rares autour de Toulouse. Puis, bien plus tard, il a joué un nouveau rôle lorsque l’homme est devenu agriculteur et qu’il a remarqué que les sols formés sur le lœss sont très fertiles. C’est d’ailleurs sur l’un de ces terroirs que s’est implanté le plus important village néolithique de notre région à Villeneuve-Tolosane / Cugnaux aux Ve-IVe millénaires avant notre ère.

Au sein de la Cellule Archéologie de Toulouse Métropole, Teddy Bos, archéologue et aussi géomorphologue, se charge actuellement de répertorier ces dépôts de « poussière de vent » comme le montre sa photographie prise lors d’une fouille à Saint-Jory, au nord de Toulouse.

De gauche à droite : coin héraldique du blason de Cugnaux, coin médiéval en fer, « coin » alias hache en pierre polie néolithique, dessin Marc Comelongue, Service de l’Inventaire Patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Coin : coin ?, coin ?


mars 2022
Le nom de Cugnaux, commune du confin méridional de Toulouse Métropole, trouve son étymologie dans le latin cuneus, que l’on peut traduire par « coin ». Et ce sont d’ailleurs trois coins d’or sur fond bleu que l’on peut apercevoir sur son blason. Alors, on peut imaginer qu’il y avait en ce lieu, au début du Moyen Âge, une forêt qui a été défrichée devenant ainsi le « territoire des coins de bûcherons ».
Cugnaux est également connu par les archéologues pour être l’un des plus importants sites néolithiques de la région (qui s’étend aussi sur la commune voisine de Villeneuve-Tolosane). Or, on sait que l’artefact le plus caractéristique de cette période de la préhistoire est la hache en pierre polie, et les habitants de Cugnaux ont dû en découvrir une multitude en travaillant dans leurs champs. D’autant plus que ces objets, considérés comme des « pierres de foudre », ont été de tous temps recherchés, bien avant qu’ils soient identifiés comme des pièces archéologiques. La raison ? Réputées engendrées par l’impact d’un éclair, les haches polies étaient placées dans les maisons pour les protéger de la foudre qui, c’est bien connu, ne tombe jamais deux fois au même endroit… Les auteurs anciens les appellent aussi quelquefois « céraunies », ou tout simplement « coins ». Alors Cugnaux « territoire des coins » serait-il en fait le « territoire des haches polies » ?
Boîte à sceau en bronze découverte sur un site gaulois des Pyrénées, dessin Marc Comelongue, Service de l’Inventaire Patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Une boîte sur un secret


février 2022
Les archéologues retrouvent quelquefois sur les sites antiques de notre région un drôle de petit artefact. En bronze et d’une taille d’environ deux centimètres, il forme une petite boîte avec un fond concave relié par une charnière à un couvercle plat. On pense d’abord à un contenant pouvant renfermer un parfum ou un onguent, mais on est immédiatement contredit lorsqu’on s’aperçoit que le fond est percé de trois trous. Ces objets sont aussi parfois fabriqués en os, comme l’exemplaire retrouvé lors de la récente fouille préventive de la caserne Niel à Toulouse en 2009-2011.
Heureusement, les spécialistes de l’instrumentum  nous donnent une explication. Durant l’Antiquité, on utilisait souvent comme support de l’écriture, plutôt que du papyrus rare et fragile, des tablettes de bois enduites de cire que l’on gravait avec un stylet. Elles étaient souvent reliées par deux pour former une sorte de petit livre que l’on pouvait fermer. Pour s’assurer de garder secret un message entre son auteur et celui qui le recevait, on pouvait alors nouer les tablettes avec un lien. Mais comment le destinataire pouvait-il s’assurer que ce lien n’avait pas été coupé et remplacé entre temps ? 
C’est là que notre objet intervient : c’est une boîte à sceau. Le lien était passé dans la boîte qu’il pouvait traverser, grâce à des échancrures latérales, même quand elle était fermée. On remplissait alors le fond avec de la cire chaude qui emprisonnait le lien. De plus, la cire coulait à travers les trois trous du fond et collait la boîte sur la tablette contenant le message. Enfin, l’envoyeur apposait l’empreinte de son sceau dans la cire, qui serait protégée durant le voyage par le couvercle rabattu de la boîte et que son interlocuteur pourrait identifier à la réception. Bien évidemment, on pouvait aussi sécuriser par ce moyen l’envoi de bourses ou de coffrets contenant des objets de valeur.
Lampe préhistorique décorée en grès découverte dans la grotte de Lascaux, Courrier de l’abbé Glory à Louis Méroc daté du 17 juillet 1960, archives du Service régional de l’Archéologie de Midi-Pyrénées

Au tournant de la gloire, Glory dans un virage


janvier 2022
Les virages ne sont pas les amis de l’humanité et moissonnent des vies parmi les archéologues aussi. Les routes du Gers, sinueuses et vallonnées, n’ont notamment pas bonne réputation et, le 29 juillet 1966, ce fut un « tournant dangereux » à Arrouède qui coûta la vie au préhistorien et abbé André Glory. La Dépêche du Midi qui relata l’accident publia d’ailleurs, dans le goût macabre de l’époque, non pas un portrait de la victime mais une photographie de la voiture fracassée. L’abbé, dont le nom prédestinait à la gloire, était sur le point de l’atteindre grâce à l’étude qu’il menait alors sur les peintures préhistoriques de la célèbre grotte de Lascaux. Cette tâche lui avait confiée dès 1953 par l’abbé Breuil vieillissant, qui appréciait ses talents de dessinateur et qui n’avait pas pu assumer lui-même ce travail. D’où le qualificatif attribué par les médias à Glory, un peu abusivement, de « successeur » de Breuil.
La présence de l’abbé dans notre région en 1966, où il venait faire une conférence au site archéologique de Montmaurin, s’explique par des liens créés quand il était réfugié à Toulouse pendant la seconde guerre mondiale, où certaines de ses frasques n’avaient d’ailleurs pas laissé un excellent souvenir parmi ses collègues. L’une d’elles fut sa tentative très personnelle de confiscation, à la Libération en septembre 1944 et sous le soi-disant mandat des F.F.I., du produit des fouilles à la grotte ariégeoise du Mas-d’Azil. Le fouilleur, Saint-Just Péquart, impliqué dans la collaboration venait d’être exécuté. Le préhistorien toulousain Louis Méroc s’y opposa et, en homme de loi qu’il était aussi, fit mettre cette collection sous séquestre pour la protéger. Glory ne fut pas rancunier et plus tard, en 1960, il écrivait à Méroc pour lui annoncer la découverte à Lascaux d’un artefact exceptionnel : une lampe décorée en grès, dont il griffonna un dessin.
Autel dédié au dieu ARPENINUS découvert à Cardeilhac (Haute-Garonne). Eugène Trutat - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi331.

Où est le DEO ?


décembre 2021
L’église primitive de la Daurade à Toulouse, démolie au XVIII e siècle, était célèbre par ses mosaïques paléochrétiennes à fond doré qui lui avaient donné son nom. Mais parmi les nombreux personnages bibliques représentés, on n’y trouvait aucune reproduction de Dieu, ni même une inscription dédicatoire « À DIEU », qui aurait d’ailleurs été transcrite en latin. Donc pas de « DEO » doré.

L’image divine ne fut pas, pendant longtemps, en odeur de sainteté. En effet, certains passages de l’Ancien Testament recommandaient l’aniconisme, et il fallut attendre la fin du Moyen Âge pour voir représenté communément le Créateur. Mais les artistes avaient eu jusqu’alors assez à faire avec Jésus-Christ, la Vierge Marie et tous les Saints.

Les archéologues en manque de DEO pourront toujours se tourner vers le Musée Saint-Raymond, où sont conservés de nombreux autels gallo-romains portant des dédicaces à des divinités pléthoriques et exotiques. Aux Archives municipales de Toulouse, ils pourront aussi trouver une photographie ancienne d’un monument dédié au dieu ARPENINUS découvert à Cardeilhac (Haute-Garonne).
Polished axe / Hache polie en cinérite aveyronnaise, photographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire Patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Axe polie


novembre 2021
Parlons un peu de l'outil emblématique de la période néolithique : la polished axe.
- Drôle de syntaxe. Qu'est-ce qui lui prend d'utiliser l'anglais ?
Relax ! Je traduis : la hache polie. C'était juste un clin d'œil au diktat actuel obligeant les scientifiques, archéologues compris, à publier dans une revue anglo-saxonne pour être enfin, soi-disant, pris au sérieux.
Le matériau de ces haches peut être des plus communs, ou des plus rares, comme la jadéite provenant des Alpes. Dans notre région, une matière est restée longtemps mystérieuse sous la vague désignation de « pétrosilex » et ce n'est que vers 1980 que l'on a découvert son origine : la région de Réquista dans l'Aveyron. On comprit alors qu'il s'agissait de cinérite, roche composée d'anciennes cendres volcaniques solidifiées. 
Depuis la carrière d'extraction, on exportait des ébauches « à polir à la maison » et trois d'entre elles furent découvertes vers 1869, ensemble, au quartier Saint-Agne au sud de Toulouse. Elles sont conservées au Muséum d'histoire naturelle de notre ville. La photographie ci-contre montre une hache en cinérite terminée avec sa teinte claire caractéristique. Ces contacts précoces avec l'Aveyron peuvent nous interroger : les toulousains connaissaient-ils déjà l'aligot au Néolithique ? Mais ce n'est plus là une question d'« axe », mais plutôt de malaxe…
Outils en quartzite des terrasses de la Garonne taillés par l’homme préhistorique, photographie Marc Comelongue, Service de l’Inventaire Patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Tailleurs de sable


octobre 2021
Notre civilisation est bâtie sur du sable. Ou plutôt avec du sable, celui inclus dans le mortier qui lie les matériaux de nos murs. À Toulouse, on peut en trouver en abondance au fond de la Garonne, et de nombreuses cartes postales du début du 20 e siècle montrent de pittoresques « pêcheurs de sable » naviguant sur des barques, quelquefois dangereusement chargées. Des prospections archéologiques ont été menées le long du fleuve, et une épave a été repérée en 2011 près du pont de l’Embouchure. Ses découvreurs ont supposé qu’il s’agissait des vestiges d’un bateau-lavoir ou d’un ponton. Mais peut-être est-ce l’une de ces « barques à sable » qui aurait coulé à cause d’un grain de trop ?

Il existe une autre civilisation tributaire du sable : celle des hommes préhistoriques qui ont fréquenté notre région. Mais il s’agit d’un sable très, très, très transformé qui s’est métamorphosé en une pierre dure que l’on peut tailler : le quartzite. De nombreux galets de cette matière sont présents sur les terrasses de la Garonne et ont constitué une alternative au silex pour la confection d’outils. Les préhistoriens en ont découvert des quantités considérables depuis un siècle et demi.
Inscription latine de la place du Pont-Neuf commémorant l'entrée de Louis XIV à Toulouse en 1659, photographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire Patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Dans marbre gravure, coquille qui dure


septembre 2021
Les archéologues toulousains rencontrent quelquefois de vraies coquilles Saint-Jacques dans des sépultures médiévales, comme lors des fouilles de la place Saint-Etienne en 1988. Elles indiquent que l'inhumé avait effectué au moins une fois le pèlerinage à Compostelle lors de son existence.
Mais le thème de cette newsletter concerne plutôt les coquilles littéraires. La plus courante en archéologie est incontestablement le lapsus « mis à jour », utilisé pour l'expression « mis au jour », que nous avons tous vu au moins une fois. Un artefact ancien n'est pas, en effet, un programme informatique.
Et quand une coquille est inscrite dans le marbre, elle est difficile à corriger. A Toulouse, sur les façades méridionales de la place du Pont-Neuf, on trouve une inscription latine sur marbre noir commémorant l'entrée de Louis XIV dans la ville en 1659. En l'examinant attentivement, on perçoit un espacement des deux derniers chiffres de la date : « MDCL_IX ». En effet, le graveur avait tout d'abord sculpté par erreur la date de 1660 : « MDCLX ». Pour effacer sa bévue, il reboucha le « X » avec du mastic et corrigea par « IX » en se décalant légèrement pour retrouver une surface saine. Mais au cours du temps le mastic de rebouchage finit par tomber tandis que le chiffre « I » s'estompait. C'est ainsi qu'en 1922, d'après le témoignage de Jules Chalande, on pouvait lire « MDCLX_X », c'est-à-dire 1670 ! Heureusement, la bonne date a été depuis lors restaurée.
Au-dessus de ce texte latin, on voit une autre plaque de marbre portant sa traduction française. Posée en 1906, elle comportait aussi à l'origine, le croirez-vous, une erreur de date qui a été corrigée par la suite : 1660 au lieu de 1659 ! 
Fragment de tuile décorée d’un blason aux armes des Lévis, découvert sur le site d’un ancien château de la seigneurie de Mirepoix, photographies Marc Comelongue, Service de l’Inventaire Patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Toi Lévis ? Toit Lévis !


juillet-août 2021
Les archéologues abordent souvent le concept de toit par le biais de son mode de couverture. Or, quand celle-ci est composée de matériaux périssables (chaume, bardeaux en bois), elle laisse peu de traces. Le constat est différent sur les sites gallo-romains avec l’emploi de la tuile en terre cuite, la tegula. Mais celle-ci semble disparaître aux premiers temps médiévaux, et il faut attendre le bas Moyen Âge pour voir son retour sous une nouvelle forme, la tuile canal. Dans notre région, cette évolution technique est synchrone d’une évolution politique, conséquence de la croisade contre les Albigeois. Ainsi, au XIIIe siècle, se créée, sur la bordure méridionale de l’ancien comté de Toulouse maintenant domaine royal, une nouvelle entité : la terre du Maréchal ou seigneurie de Mirepoix. Maréchal parce qu’elle a été donnée à Guy de Lévis, surnommé maréchal de la foi et principal lieutenant du chef de la croisade, Simon de Montfort. Mirepoix parce que ce territoire est composé autour de cette ville par des dizaines de communautés confisquées à des chevaliers occitans qui avaient soutenu les cathares.

Chacun de ces villages possédait à l’origine un château, mais les Lévis, par souci d’économie, ont choisi d’en abandonner une bonne partie pour ne conserver que quelques places fortes essentielles au contrôle de leur fief. Ainsi, on peut savoir en visitant les ruines de ces anciennes forteresses, selon l’absence ou la présence de tuiles, s’il s’agit d’un lieu abandonné au XIIIe siècle à la suite de la croisade, ou d’un site que les Lévis ont entretenu après cette date. La photographie présentée ici montre une tuile découverte sur l’emplacement de l’un de ces châteaux remaniés par les Lévis. On y aperçoit d’ailleurs un écu à trois chevrons, emblème de cette famille. Outre l’impression que ces seigneurs voulaient marquer leur empreinte au point de blasonner une simple tuile, dotant ainsi leurs citadelles non seulement de ponts-levis, mais aussi de toits Lévis, on remarque que les trois chevrons font partie d’une armoirie plus complexe. C’est très probablement le blason d’une branche cadette de la famille et on peut expliquer sa présence par la coutume dite de Paris, importée dans le Midi par les croisés. Contrairement au droit languedocien antérieur, elle favorisait un partage plus équitable du patrimoine familial entre l’aîné et les cadets et ces derniers devenaient ainsi plus facilement propriétaires d’une partie de la seigneurie.
Comme quoi on peut faire de l’histoire politique et de l’histoire du droit avec une simple tuile sur un toit.

A Toulouse, on peut voir cet écu à trois chevrons sur un magnifique sarcophage conservé au musée des Augustins et provenant de l’hôtel Saint-Jean, ancien siège de l’ordre de Malte à Toulouse. Mais on ignore à qui était destiné ce tombeau, et aucun lien n’a pu être sûrement établi avec les Lévis.
A gauche, baguette miraculeuse : le miracle des noces de Cana représenté sur un sarcophage conservé au musée Saint-Raymond de Toulouse, dessin publié par Raffaele Garrucci en 1879. A droite, baguettes pas miraculeuses : clocher de l’église de la Dalbade effondré sur la boulangerie Denax en 1926, carte postale, photographie Louis Albinet - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi4955 (extrait).

Baguettes, pas toujours magiques


juin 2021
Allez au musée Saint-Raymond, descendez au sous-sol, et cherchez le couvercle du sarcophage dit de la reine « Pédauque ». C’est celui qui comporte une représentation de la résurrection du fils de la veuve de Naïn sur le panneau central, montrant des rideaux ressemblant à des pieds d’oie (les « pès d’auco » de la reine). Sur le dernier panneau à gauche, vous verrez un autre miracle : celui des noces de Cana où Jésus changea l’eau en vin. Pour cela, il touche des jarres par l’intermédiaire d’une baguette, magique !
Dans la nuit du 10 au 11 avril 1926, le clocher de l’église de la Dalbade s’effondrait, passant instantanément du statut de chef-d’œuvre architectural à celui de ruine archéologique, et détruisant, entre autres, la boulangerie des époux Denax. Ceux-ci furent retrouvés morts sous les décombres. Cette fois-ci, les baguettes n’ont pas fait de miracle. Du moins, pas pour tout le monde, si l’on considère que les enfants du couple s’en sont malgré tout sortis.
Bas-relief décorant l'entrée de la rue de la Boule, remploi qui ornait originellement la place du Pont-Neuf, photographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Boule au final, dernier remploi


mai 2021

La place du Pont-Neuf avait été dotée, au XVIIe siècle, de nombreuses sculptures soulignant son importance comme axe majeur de la ville au passage de la Garonne. Il n'en reste pratiquement rien. Une inscription en latin commémorant la venue de Louis XIV en 1659 est encore visible sur le côté méridional de la place mais, tout autour, de nombreux blocs de pierre, évidemment jadis ornés et par la suite impitoyablement effacés, ne montrent plus qu'une surface lisse. Attention : une plaque portant la traduction française de l'inscription latine ancienne n'est qu'un ajout datant de 1906.

Côté nord, on sait que la maison qui jouxtait le pont était particulièrement décorée mais la construction d'un large quai provoqua sa démolition en 1777. On en retira une statue de Christ, maintenant conservée au musée des Augustins avec une statue de la Vierge provenant de cette même place. De plus, une partie du décor fut jetée sans aucune considération dans les fondations du quai. En 1942, on en retrouva des vestiges en creusant une tranchée, notamment des blasons aux armes de Toulouse et des royaumes de France et de Navarre.

Enfin, un autre lot de sculptures fut transporté bien plus loin et utilisé en remploi sur le portail d'entrée de la rue de la Boule. Ce dernier ensemble était-il sauvé ? Pas tout à fait car on pensait déjà à le démolir dès 1824, ce à quoi s'opposa l'architecte de la ville, Jacques-Pascal Virebent. Mais après un long répit, on finit quand même par en détruire une partie en 1917, dont un buste de Louis XIV. Aujourd'hui, il n'en reste finalement qu'un bas-relief représentant des captifs enchaînés autour d'un écusson.

Torques à tampons gaulois découverts à Fenouillet et conservés au Musée Saint-Raymond à Toulouse, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi3863.

Beaucoup de tampons pour un canal…


avril 2021

Cette voie d'eau, c'est le canal latéral à la Garonne, prolongement tardif du canal du Midi, dont les travaux commencèrent en 1838. Partant de Toulouse, il atteignit Montech dès 1844, puis Agen en 1849 et enfin Castets-en-Dorthe en Gironde en 1856. On imagine bien la quantité de tampons sur des actes administratifs pour programmer un tel chantier. Et puis tous ceux des oblitérations sur les courriers qui ont circulé. Mais, comme si cela ne suffisait pas, il y en a eu d'autres…

Au début de l'année 1841, alors qu'on creuse sur le territoire de la commune de Fenouillet, la nouvelle de la trouvaille d'antiquités en or par l'un des travailleurs du canal parvient à Guillaume-Gaspard Belhomme, membre de la Société archéologique du Midi, qui se charge alors de les récupérer. Tout d'abord l'ouvrier semble lui remettre une quantité de pièces correspondant au nombre, qui était connu, des découvertes. Mais il s'avère qu'il a fragmenté certains objets pour en carotter une partie. Heureusement, son subterfuge est démasqué, et il cède enfin la totalité du lot. On constate ainsi qu'il s'agit d'un ensemble de torques gaulois, dits à tampons. En effet un renflement participant au dispositif de fermeture, appelé tampon, se trouve à chaque extrémité de la tige annulaire de ces colliers rigides et ouverts.
Ces magnifiques artefacts, qui faillirent en partie être oblitérés au grand public, sont de nos jours exposés au Musée Saint-Raymond de Toulouse. Louons Belhomme d'être allé au tampon… euh, au carton.

Planche photographique destinée à un article d'Henri Graillot sur les bustes de la villa romaine de Chiragan à Martres-Tolosane conservés au musée de Toulouse, vers 1897-1903. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 11Z462.

Ra ? - chou !


mars 2021

Les amateurs de sculpture ancienne peuvent aujourd'hui avoir accès aux collections des musées toulousains sur le Net. Que ce soit pour le musée Saint-Raymond ou pour le musée des Augustins, de nombreuses œuvres antiques, médiévales ou modernes nous sont ainsi présentées grâce à des photographies et des fiches descriptives. Elles sont bien entendu identifiées par leur numéro d'inventaire, souvent accompagné d'un mystérieux préfixe « Ra ». Qui veut dire ? « Référence abrégée » ? « Recensement achevé » ? « Registre ancien » ? …

Depuis leur constitution pendant la Révolution, les musées de Toulouse ont imprimé des catalogues à différentes époques. Et les numéros d'inventaire ont pu évoluer au gré de ces publications, pour la plupart disponibles en ligne. En les parcourant, on s'apercevra que la numérotation Ra correspond au Catalogue des collections de sculpture et d'épigraphie du Musée de Toulouse, édité en 1912 par un certain Henri Rachou qui fut directeur du musée des Augustins.
Et voilà donc l'explication de ce « Ra », tiré d'un Rachou dont le « chou » a chu.

Il existe dans le fonds de l'éditeur Privat conservé aux archives municipales une série de planches photographiques (11Z 462) apparemment destinée à illustrer un article resté inédit d'Henri Graillot, intitulé Les personnages gallo-romains de Martres-Tolosane. Cette publication des bustes trouvés dans la villa romaine dite de Chiragan et conservés à Toulouse était annoncée dès 1897 et encore en 1903, puis tomba finalement dans les choux. Elle devait être insérée dans le deuxième tome, jamais paru, de l'Album des monuments & de l'art ancien du Midi de la France. Ce projet enterré est manifestement anté-Ra puisque les légendes de ces planches n'utilisent pas la nomenclature du catalogue de 1912, mais des numéros d'inventaire que l'on trouve aussi dans une publication de Léon Joulin de 1901.

 
 
 
 
 
À gauche, un site de « Jetons des médailles ! » toulousain : l'écluse de l'embouchure vers 1956-1957, photographie, Jean Ribière, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 41Fi4 (détail). À droite, dessin des médailles jetées dans les fondations de l'écluse en 1667, extrait de la carte du canal du Midi publiée par Jean-Baptiste Nolin en 1697.

Jetons et médailles… Jetons des médailles !


février 2021

A la fin du Moyen Âge et à l'époque moderne, on a utilisé des jetons métalliques que l'on retrouve souvent sur les sites toulousains de fouilles archéologiques, comme la place Saint-Étienne en 1986-1987, la Cité judiciaire et le Muséum d'histoire naturelle dans les années 2000, ou la rue des Trente-Six-Ponts en 2014. Récemment, le service archéologique de Toulouse Métropole a découvert un exemplaire imitant l'agnel, monnaie d'or des 14e-15e siècles, au château de Balma (déjà présenté dans un précédent numéro d'Arcanes). En alliage cuivreux de peu de valeur (laiton), ils servaient fréquemment de jetons de compte ; des villes, comme Nuremberg, s'étaient spécialisées dans leur production. Certains de ces jetons célébraient un évènement, par exemple la construction du Pont-Neuf de Toulouse. Ils se rapprochaient ainsi des médailles, objets de meilleure qualité artistique et en matériau plus noble (bronze, argent ou or), bien que la différence soit quelquefois ténue.

A l'occasion de la pose des premières pierres de l'écluse de l'embouchure à Toulouse le 17 novembre 1667, extrémité occidentale du canal Royal (du Midi) permettant la liaison avec la Garonne, on fabriqua des médailles commémoratives largement distribuées pour assurer la renommée de cet événement. Néanmoins quelques-unes furent privées de publicité puisqu'elles ont été jetées, le jour même, dans les fondations. L'écluse n'est plus visible : inutilisée depuis l’ouverture d’un canal latéral à la Garonne en 1856, elle a été remblayée et couverte par une route en 1978. Mais ces médailles seront peut-être dans l'avenir très utiles. Un archéologue pourra les retrouver, offrant une explication et une datation des vestiges qu'il aura sous les yeux. Elles sont aussi très intéressantes, car on y a gravé sur le revers, avec la date, une vue de la ville de Toulouse prise du nord, depuis le site de l'embouchure (l'avers montrant un portrait de Louis XIV). Et les images de notre cité au 17e siècle ne sont pas si communes !

L'influence de Toulouse au Moyen Âge s'arrêtait au pied de ce mur. Château du Pas de Labarre en Ariège, photographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Confins toulousains : un pas dans la barre


janvier 2021

Le pouvoir des comtes toulousains dépassait, au Moyen Âge, largement les limites de la cité elle-même. Vers le sud, il s'étendait jusqu'au point appelé Pas de Labarre. Ce lieu-dit désigne un défilé où la rivière Ariège se fraye un passage, le pas, à travers un chaînon montagneux, la barre, à quatre kilomètres au nord de la ville de Foix.

Au XIIIe siècle, Raymond VII, comte de Toulouse, a revendiqué par deux fois que le comte de Foix, Roger-Bernard III en 1229 puis Roger IV en 1241, était son vassal jusqu'à cette limite. Plus au sud, le pays de Foix restait indépendant, ou sous l'influence des royautés et comtés espagnols. Et en 1263, la royauté française, qui avait pris en main le Toulousain, ne franchissait pas non plus cette frontière.

Pour marquer un emplacement aussi stratégique, on ne s'étonnera pas de la présence d'un ancien château, dont on peut encore voir les ruines. Longtemps abandonné, ce site est en pleine renaissance. Une association œuvre depuis peu pour sa valorisation et un circuit de balade a été créé. Des sondages et prospections archéologiques, ainsi que des recherches en archives, sont aussi en cours pour tenter d'éclaircir un peu plus son histoire.

Pire tiers de sou mérovingien de Toulouse publié par Alexandre Dumège dans la réédition du premier tome de l’Histoire générale de Languedoc, Toulouse, J.-B. Paya, 1840.

Sou, Pire


décembre 2020

Le sou. C’est la belle monnaie d’or, le solidus, qui servait d’étalon à la fin de l’Antiquité.
Le pire. C’est ce qu’il en advint plus tard, à l’époque mérovingienne, aux 6e-7e siècles de notre ère.

Tout d’abord, on produit alors préférentiellement, par économie, une fraction de cette monnaie : le tiers de sou ou trémissis. Ensuite, la qualité même de l’or utilisé se dégrade. Et surtout, la gravure est souvent négligée, montrant des figures et des légendes parfois incompréhensibles.
Ces monnaies portaient fréquemment le nom de la ville où elles étaient frappées. Le plus anciennement connu des exemplaires toulousains, légendés Tolosa, est mentionné en 1782 dans une lettre de l’abbé Bertrand au numismate Michelet d’Ennery, acquise récemment par les Archives municipales de Toulouse (1Z485) et déjà présentée dans Arcanes.

Un autre exemplaire se trouvait dans les mains du sculpteur François Lucas, avant de passer dans celles de l’avocat toulousain Fargues, du Tarnais Louis Médalle en 1829, puis de l’archéologue Alexandre Dumège et enfin du marquis de Castellane. On perd sa trace en 1840, mais Dumège nous en a laissé un dessin que nous présentons ici. Il témoigne de la difficulté qu’il a eue à déchiffrer cette monnaie, longtemps restée sans équivalent. Heureusement un trémissis analogue est récemment apparu et a permis de comprendre que ce qui avait été pris pour un personnage surmonté d’une auréole n’était probablement qu’une tête de profil aux cheveux hirsutes.

« Coup-de-poing » découvert à Balma et conservé dans les collections du Petit Séminaire de Pamiers, photographie Marc Comelongue, Service de l’Inventaire patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Gnon préhistorique


novembre 2020

Autour de Toulouse, les terrasses de la Garonne et de ses affluents recèlent de l’outillage taillé par nos ancêtres du Paléolithique inférieur dans du quartzite, du quartz ou du silex. Les plus belles pièces sont des bifaces pour lesquels on a longtemps utilisé l’expression « coup-de-poing », maintenant désuète.

Ces artefacts péri-toulousains furent connus très tôt, notamment grâce au comte Victor d’Adhémar qui publia ses récoltes dans les vallées de la Sausse et de la Ceillone dès 1868, dans la Revue archéologique du Midi de la France. Récoltes qui furent déposées au muséum d’histoire naturelle de Toulouse et au musée de Saint-Germain-en-Laye.

Cette publicité incita d’autres collectionneurs à s’en procurer et favorisa leur dispersion. Celui dont nous présentons le cliché avait été découvert à Balma, comme en témoigne une inscription à l’encre, et a rejoint les collections du Petit Séminaire de Pamiers, dans l’Ariège.

Représentation du couvent des religieuses des Cassès sur le plan manuscrit de Jouvain de Rochefort, 1678, Mairie de Toulouse, Archives municipales, FRAC31555_ii677 (extrait).

Beau coup de foudre, beaucoup de vent


octobre 2020

Pierre Barthès, dans ses Heures perdues dont le manuscrit se trouve à la bibliothèque municipale de Toulouse, a décrit la trajectoire d’un éclair survenu le 5 août 1747 à Toulouse. Traversant d’abord les façades sud et ouest de la tour de l’ancien couvent des dames des Cassès, il glissa sur un toit, entra dans une chambre dont il sortit en brisant la porte, descendit un escalier et finit sa course dans la bouche d’une pauvre malheureuse, évidemment estourbie sur-le-champ. Détail sinistre, celle-ci était enceinte, et sa grossesse suffisamment avancée pour qu’un médecin tente de sauver l’enfant par césarienne, malheureusement sans succès.


Les dames des Cassès étaient des religieuses Clarisses qui avaient fondé au 14e siècle une abbaye dans le village audois des Cassés. Une partie d’entre elles s’établirent un temps à Toulouse, entre les années 1650 et 1730, dans un couvent situé au port de Bidou, c’est-à-dire à l’emplacement de l’actuelle place Saint-Pierre. Balayé par l’aménagement des quais de Garonne au 18e siècle, il ne reste rien de ce monastère, sinon des représentations sur les plans anciens.


Dernièrement les monuments toulousains ont plutôt eu à souffrir des coups de vent. En 2003, le rempart moderne du boulevard Armand-Duportal fut renversé sur une quarantaine de mètres et, dans la nuit du 29 janvier 2019, une partie du rempart médiéval des Haut-Murats, allées Jules-Guesde, s’est écroulée. Apparemment la résistance au courant d’air n’est pas le point fort des fortifications anciennes de Toulouse.

Coffre en fer forgé du XVIIe siècle exposé au Musée Saint-Raymond dans les années 1930, anonyme, publié dans le Bulletin municipal de la ville de Toulouse de décembre 1934, Mairie de Toulouse, Archives municipales, PO1, décembre 1934, p. 1270 (détail).

Le coffre qui s'est fait la malle


septembre 2020
Les archives départementales de l'Hérault conservent, dans leur série C, une correspondance entre le contrôleur général des Finances, Michel-Robert Le Peletier des Forts, l'intendant du Languedoc, Louis-Basile de Bernage de Saint-Maurice, et son subdélégué, Joseph de Comynihan, concernant la recherche d'un trésor à Toulouse en 1727. En effet, sous l'Ancien Régime, la recherche d'objets précieux était apparemment soumise à l'accord des autorités, à l'instar des archéologues d'aujourd'hui qui doivent obtenir une autorisation de la direction régionale des Affaires culturelles avant de commencer une fouille. Le roi Louis XV lui-même fut d'ailleurs consulté sur cette demande !
On apprend ainsi qu'un certain Jean de Scorbiac pensait pouvoir faire une découverte intéressante dans le quartier toulousain du Bazacle, près du moulin. Il était sûr de lui, puisqu'il l'avait déchiffré dans les prophéties de Nostradamus et qu'il avait repéré l'endroit où creuser grâce à une baguette de sourcier… Il fit finalement une fouille au mois de juin 1727, mais n'en retira rien, sinon une drôle d'histoire. Ayant, soi-disant, bien repéré un coffre en fer avec une sonde, il vit la terre s'entrouvrir au moment où il allait le retirer et celui-ci glissa, s'enfouissant hors de portée… Le coffre, englouti, s'était donc fait la malle.
Ses interlocuteurs ne furent pas dupes et Jean de Scorbiac fut même qualifié de visionnaire, évidemment dans son sens péjoratif d'illuminé.
Ce coffre quasi découvert aurait pu ressembler à celui que nous présentons sur le cliché ci-contre, où nous voyons un exemplaire en fer forgé du XVII e siècle conservé par les musées de Toulouse.
Portail de l'hôtel des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Toulouse, négatif N&B, Jean Ribière, vers 1950-1970, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 41Fi280 (détail).

L'ordre laisse-t-il des traces ?


juillet-août 2020

Les ordres architecturaux antiques (dorique, ionique et corinthien) ont bien souvent semé leurs éléments caractéristiques, les chapiteaux. Mais les sculptures gallo-romaines de ce type sont rares à Toulouse. L'équipe du service de l'inventaire patrimonial et de l'archéologie de Toulouse Métropole a néanmoins repéré récemment un remarquable chapiteau corinthien conservé dans une arrière-cour. Mais a-t-il été découvert sur place ou bien est-ce un objet d'antiquité amené d'ailleurs par un collectionneur ?

Les ordres religieux médiévaux sont plus intimement liés à notre ville, ne serait-ce que par la toponymie. La place des Carmes doit son nom au couvent disparu qui occupait autrefois son emplacement. Et s'il y a une place et une rue de la Trinité, c'est bien parce que les Trinitaires s'étaient installés dans ce quartier.
Pour le mobilier, c'est plus compliqué. La Révolution a bien souvent effacé les signes évoquant la religion, notamment ceux sculptés sur pierre. Pourtant si vous cherchez l'ancien hôtel de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem dans la rue de la Dalbade, vous n'aurez pas de difficulté pour le retrouver. Au-dessus du portail d'entrée, une ancienne ferronnerie a été conservée et l'on y aperçoit une croix de Malte, emblème caractéristique de cet ordre à la fois religieux et militaire.

Le moulin du Château incendié en cours de démolition en 1942. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 16Fi1/48 et 16Fi1/49 (montage).

Notre blé part en fumée !


juin 2020
Non, dans cette froide matinée du 15 février 1940, ce n'est pas devant la succursale de la Banque de France que les Toulousains commentent le panache d'un incendie mais devant la minoterie du moulin du Château. Ce moulin à eau, implanté sur la Garonne depuis le Moyen Âge, n'en était d'ailleurs pas à sa première fumigation céréalière, puisqu'il avait déjà brûlé le 28 août 1883. Mais la flambée de 1940 allait lui être fatale. Non seulement il ne sera pas reconstruit et sera remplacé par le quai et les immeubles d'habitation de l'avenue Maurice Hauriou, mais son canal de fuite, petit bras du fleuve nommé la Garonnette, fut comblé. Tout le quartier de Tounis, dorénavant rattaché au continent toulousain, cessa ainsi d'être une île.
En complément de quelques photographies et gravures perpétuant son souvenir, les archéologues retrouvent parfois des traces de ce moulin du Château nommé ainsi à cause de sa proximité, relative, avec l'ancien Château Narbonnais qui défendait le sud de Toulouse. Vers 1970, c'est en implantant un collecteur d'égouts que l'on découvrit, entre autres artefacts, l'une de ses meules et des pieux ferrés qui avaient servi à asseoir ses fondations. Puis en 1984, des travaux effectués dans la Garonne permirent de retrouver des pièces de bois et du petit mobilier (poteries, monnaies). En effet, une partie de cet ancien moulin occupait un espace maintenant parcouru par le fleuve, car le nouveau quai construit sur son emplacement après sa disparition fut implanté en retrait de l'ancienne rive.
Décor du sarcophage découvert aux environs de Saint-Amans (Aude) en 1774, dessin Alexandre Dumège, gravure Jean-Joseph Jorand, 1832, extrait de l'Atlas de l'Archéologie Pyrénéenne.

Les pieds dans les rideaux


mai 2020
Les pieds les plus réputés de l'histoire de Toulouse sont assurément ceux de la Regina Pedauca, en français la reine aux pieds d'oie. Cette mythique et curieuse personnalité apparaît, dès 1478, sous la forme d'un toponyme dans le cadastre de la ville, puis sera citée par tous les historiens toulousains à partir du 16 e siècle. Jean de Chabanel, dans son ouvrage sur Notre-Dame de la Daurade en 1621, avait même pensé avoir retrouvé ces fameux pieds, représentés sur un tombeau alors visible dans ce monastère. Cette figuration fut même officiellement expertisée sous le contrôle des Capitouls, et confirmée, en 1718.
Les archéologues contemporains en sont revenus. Plusieurs sarcophages de l'Antiquité tardive conservés à Toulouse montrent des « pieds d'oie » : l'un de ceux que l'on peut voir dans l'enfeu des Comtes à Saint-Sernin, celui qui était à la Daurade maintenant transféré au musée Saint-Raymond et un autre aussi conservé au musée, récupéré en 1956 dans un jardin du quartier Saint-Cyprien. Mais quand on observe attentivement le décor de ce dernier, dont nous donnons l'illustration ci-contre, on réalise que ces prétendus pieds palmés ne sont en fait que de simples représentations de rideaux drapés…
On pourrait croire que ce sarcophage de Saint-Cyprien a une origine locale. Il n'en est rien. L'archéologue Alexandre Dumège l'avait repéré en 1826 et noté que Jean-François de Montégut l'avait déjà présenté à l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse dès 1774, dans un rapport manuscrit resté inédit. Ce dernier nous apprend que le sarcophage venait d'être découvert aux environs de Saint-Amans dans l'Aude. Un amateur d'antiquités l'aurait plus tard transporté à Toulouse.
Plan des enclos de fermes gauloises découverts sur le site de l'aérodrome Toulouse-Montaudran en 2013, Infographie N. Delsol et R. Dutech, Service archéologique de Toulouse Métropole.

De l’enclos à l’envol


avril 2020

L'une des recherches développées par les archéologues en Midi-Pyrénées, ces deux dernières décennies, est l'étude des fermes indigènes gauloises. Cela est dû à la découverte et à la fouille de plusieurs de ces structures dans le Tarn-et-Garonne (Réalville, Montalzat, Varen, Montbartier), le Tarn (Puylaurens, Castres) et la Haute-Garonne (Blagnac, Cornebarrieu, Martres-Tolosane). Plus que les bâtiments eux-mêmes de ces fermes, édifices en bois qui n'ont souvent laissé que de fugaces traces de trous de poteaux, ce sont surtout les vestiges des grands enclos quadrangulaires les entourant qui ont été conservés, d'autant mieux que leurs larges fossés avaient aussi servi de dépotoirs, notamment pour les immanquables amphores dont le contenu alcoolisé était si prisé des Gaulois.


Sur la commune de Toulouse, une fouille du Service archéologique de Toulouse Métropole, dirigée par Nicolas Delsol en 2013, a permis de retrouver non pas un mais, deux de ces enclos, très proches, dans le quartier de Montaudran. Après l'abandon de ces derniers et, semble-t-il, un laps de temps assez long, une piste d'aviation fut construite à cet endroit, qui fut le point de départ des premières liaisons aériennes entre la Gaule et l'Amérique du sud. En effet, c'était celle de la fameuse Aéropostale, dite C. G. A. (Compagnie Gauloise Aéropostale ?).

Extrait du plan d'arpentage du ramier de Virbes, plan aquarellé, auteur Deaddé, 1736, Mairie de Toulouse, Archives municipales, DD123/2.

Premier pont, dernière pile


mars 2020

Le plus ancien pont de Toulouse, connu dans les textes sous le nom de « Pont-Vieux », traversait la Garonne à une centaine de mètres en amont de l’actuel Pont-Neuf. Mentionné dès 1152 et réparé jusqu’en 1556, il n’apparaît plus sur les plans de la ville à partir du XVIIe siècle. En tout cas en entier, car les ruines de certaines de ses piles resteront visibles encore bien longtemps. La dernière, qui émergeait à une trentaine de mètres de la rive actuelle de la Prairie des Filtres, n’a été détruite qu’à la fin de l’année 1949. On l’appelait « Rocher de Callèbe », terme qui semble désigner le dispositif de bascule en bois qui y était anciennement implanté et que l’on peut voir, exceptionnellement, sur un plan d’arpentage de 1736 conservé aux archives municipales de Toulouse sous la cote DD123/2 (cette bascule apparaît aussi vers 1730 dans le Livre des vues et plans des villes de Bordeaux, Lanon, Toulouse, Montauban, du cour et des environs de la Garonne depuis Lormont au dessous de Bordeaux jusque au-dessus du Castel Leon dans la vallée Daran, par Jean Chaufourier et Hippolyte Matis, manuscrit rare passé récemment en salle des ventes). On y suspendait probablement la cage en fer, la « gabio », utilisée du XVIe au XVIIIe siècle pour le curieux supplice public qui consistait à plonger à plusieurs reprises dans le fleuve une personne condamnée. Ce pont se situait sur le trajet d’un aqueduc disparu qui traversait la Garonne au même endroit à l’époque romaine mais, contrairement à ce qui est souvent imprudemment avancé, rien n’indique, au vu des observations archéologiques les plus récentes, qu’il a réutilisé la structure de cet aqueduc, même en partie.

Extrait d'une photographie ancienne de la cour de l'hôtel Dumay, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi2773.

« TEMPORE ET DILIGENTIA »


février 2020

« Par le temps et l'application ». Ainsi peut-on traduire cette devise placée au-dessus d'une porte de la cour de l'hôtel Dumay à Toulouse.

C'est du latin, donc c'est romain ?
Non. On a aussi gravé des inscriptions latines sur des bâtiments à l'époque moderne. 
Et la plaque décorative de marbre rouge incrustée dans la façade, quelques mètres au-dessus de cette même porte, c'est antique ?
Toujours pas. Les architectes toulousains de la Renaissance n'ont pas attendu que l'on découvre, par hasard, un morceau de marbre romain qui aurait la bonne couleur et la bonne taille. Ils sont allés se servir en matériau brut directement dans les carrières.
Mais quelques archéologues ont pu être dupes. En 1782, Jean-François de Montégut croyait que les deux plaques « SVSTINE » et « ABSTINE » décorant l'entrée de l'hôtel Molinier, rue de la Dalbade, provenaient d'un temple romain. Mais cette hypothèse a été rapidement écartée par Alexandre Dumège au 19e siècle. 
J.-F. de Montégut avait aussi conjecturé que les marbres colorés, ornant la cour du célèbre Hôtel de pierre (aussi rue de la Dalbade), dataient de l'Antiquité. Cette spéculation a eu plus de réussite, puisqu'elle est encore, de nos jours, imprudemment répétée et présentée comme une vérité. Certes, on avait cru pouvoir s'appuyer sur le fait, rapporté par Guillaume de Catel, que des blocs romains, découverts dans la Garonne à l'occasion de la rupture d'une chaussée (probablement en 1613), avaient servi à la construction de l'hôtel de pierre. Mais les marbres antiques que l'on retrouve sont généralement communs, de couleur blanche ou grise, et on a pu les employer de façon moins ostensible dans les maçonneries.
Alors, pas d'antiquités sur les façades des vieux hôtels toulousains ? Mais si. Observez ci-contre une photographie ancienne de la porte de l'hôtel Dumay évoquée plus haut. Vous y apercevrez (difficilement derrière les glycines), juste au-dessus du linteau portant l'inscription latine, une tête encastrée. Eh bien, c'est celle d'une véritable statue romaine ! Depuis, elle a été descellée et se trouve maintenant conservée dans les locaux de l'hôtel, devenu le musée du Vieux-Toulouse.

Marmite grise « toulousaine » de la fin du Moyen Âge trouvée dans la vallée de la Sausse, photographie Marc Comelongue, Service de l'inventaire patrimonial et de l'archéologie de Toulouse Métropole, 2020.

Gris pots, derniers symptômes


janvier 2020
Les céramiques anciennes sont souvent caractérisées par la couleur de leur pâte. Cette dernière est rouge ou blanche dans le cas d'une cuisson oxydante, ou grise pour une cuisson réductrice, c'est-à-dire sans oxygène, contrairement à la première. Or, la fin du Moyen Âge, a vu un abandon de la cuisson réductrice pour favoriser les poteries de teinte claire qui domineront à l'époque moderne.
Dans notre région, quelques potiers ont néanmoins résisté un temps à cette évolution et l'on retrouve encore au 14 e siècle des productions "grises". Comme la "commingeoise", céramique d'aspect rugueux produite, on s'en douterait, dans le Comminges au sud de la Haute-Garonne, ou d'étonnantes marmites à anses coudées imitant un chaudron métallique en haute Ariège.
Toulouse a aussi eu sa poterie grise tardive, décorée de cordons ou de cannelures, mais surtout de bandes lissées donnant l'aspect d'un lustrage, certes incomplet, mais suffisamment décoratif. Son usage n'a pas été réservé aux contextes urbains et le service archéologique de Toulouse Métropole vient d'ailleurs de retrouver des marmites « toulousaines » de ce type, comme le montre le cliché ci-joint, sur un site rural de la vallée de la Sausse, à une quinzaine de kilomètres au nord-est de la ville rose.
Trompe d'appel figurant sur un sceau du XIIIe siècle, gravure de Louise-Magdeleine Horthemels publiée en 1745 dans le cinquième tome de l'Histoire générale de Languedoc.

Là las la, l'hallali


décembre 2019

Là, au fond d'un silo du Moyen Âge fouillé à Saint-Jory durant l'été 2017, le service archéologique de Toulouse Métropole découvre un fragment de tube en céramique grise de quelques centimètres de diamètre.
Las d'essayer de deviner la fonction de ce curieux tuyau (canalisation ? tuyère de four ?), l'on remarque qu'il est légèrement incurvé sur sa longueur et qu'il ne peut finalement s'agir que d'un instrument de musique.
La, ou do, ou ré, ou mi, c'est bien une note de musique, et non de l'eau ou de la fumée, qui sortait de cette trompe d'appel, appelée aussi corne ou cor. Mais à quelle occasion ?
L'hallali, bien souvent, car c'est à la chasse que l'on utilisait couramment cet ustensile. À moins que ce soit pour la garde des troupeaux, ou des châteaux.

Au musée Paul-Dupuy de Toulouse, vous pouvez admirer la version de luxe d'une trompe, c'est-à-dire un olifant fabriqué dans une matière beaucoup plus précieuse, l'ivoire.

Semelle de fondation des arc-boutants du chevet de la cathédrale de Toulouse, Août 2015, Photographie numérique, Nicolas Delsol, service archéologique de Toulouse Métropole

Je m’applique quand j’arc-boute


novembre 2019
Les cathédrales ont un statut particulier. Propriétés de l'État, surveillées par le service des Monuments historiques, étudiées par les historiens et les archéologues du bâti, elles sembleraient n'avoir plus rien à nous apprendre. On n'est pourtant pas à l'abri d'une surprise. Notamment lorsque le service archéologique de Toulouse Métropole a effectué des sondages au pied du chevet de la cathédrale Saint-Étienne, en août 2015. Est alors apparue une énorme structure maçonnée en briques, montrant un parement externe très soigné. Le premier réflexe fut d'évoquer les murs d'un bâtiment disparu, antérieur à l'église actuelle et enfoui par les siècles. Mais il fallut se rendre à l'évidence : il s'agissait là d'une semelle de fondation sur laquelle s'appuient les piliers des arc-boutants qui soutiennent la cathédrale. Elle était destinée à rester enterrée et invisible, mais les bâtisseurs avaient néanmoins pris la peine d'en parfaire l'aspect, autant que pour une maçonnerie extérieure. Son utilité est d'unir tous les arc-boutants par leur base pour empêcher que l'un d'entre eux bouge indépendamment des autres, ce qui entraînerait immanquablement un désordre dans les superstructures. Y avait-il danger ? Probablement. La cathédrale repose apparemment sur une couche de remblais peu stable. En 1914, lors de travaux de fondation sur le côté nord de l'édifice, il fallut creuser sur plus de six mètres de profondeur avant de trouver un sol géologique ferme.
Épandage de fragments d'amphores dans le quartier Saint-Roch à Toulouse, janvier 2018, photographie Maïténa Sohn, Service de l'Inventaire patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole

Trop - Tri - Trou


octobre 2019
Les archéologues ont l'habitude de trier. Sur le terrain, on passe quelquefois les sédiments au tamis pour récupérer les artefacts les plus petits, comme les éclats de silex sur les sites préhistoriques. Un tri peut être aussi effectué plus tard, en laboratoire. Ce sera le cas pour des prélèvements recueillis par le service archéologique de Toulouse Métropole dans des silos médiévaux actuellement en cours de fouille. On y recherchera des restes de végétaux (charbons, graines ou pollens). 
L'écrémage peut parfois porter sur des objets plus grands. Le quartier Saint-Roch à Toulouse a connu une importante occupation à la fin de l'âge du Fer. Et l'une des occupations favorites de ces chers Gaulois était d'importer des amphores (par milliers), de les vider de leur contenu (essentiellement du vin), puis de les casser sur place ( a priori, elles n'étaient pas consignées), créant ainsi d'immenses épandages de tessons dans tout ce secteur.
Lors de fouilles à la caserne Niel en 2009-2011, ce sont près de 900 000 fragments d'amphores qui ont été retrouvés pour un poids approchant les 98 tonnes. Chacun d'eux a bien sûr été comptabilisé et étudié. Mais était-il utile de tous les conserver dans une réserve muséographique, emballés et étiquetés individuellement, alors que les amphores sont des productions de masse standardisées ? La réponse fut négative. Après avoir trié et gardé les éléments les plus distinctifs (bords de lèvre, parties estampillées), les morceaux les plus communs ont été rassemblés (plus de 700 000) et « réinhumés » dans un même trou sur le site de leur découverte. Ainsi a été créée dans la banlieue toulousaine une réserve dans laquelle l'on pourra venir puiser si l'humanité se trouve un jour à court de matériel amphorique…
Sceau en plomb au nom du pape Honorius retrouvé à Toulouse, rue des Couteliers, en 1984. Infographie Marc Comelongue, service de l'Inventaire patrimonial et de l'archéologie de Toulouse Métropole.

So archéo


septembre 2019
Au Moyen Âge, les documents écrits étaient souvent authentifiés par des sceaux. Mais il est improbable d'en retrouver lors d'une fouille archéologique. La cire qui les constituait, pas plus que les parchemins auxquels ils étaient appendus, ne résiste à un séjour sous terre. Il existe cependant une exception : les sceaux des papes, qui sont beaucoup plus résistants car réalisés en plomb.
A Toulouse, lors d'une intervention dans la rue des Couteliers en 1984, l'archéologue Georges Baccrabère a exploré quelques fosses-dépotoirs contenant de nombreux artefacts. Parmi ceux-ci, il trouva un sceau en plomb au nom d'un pape Honorius. Mais lequel ? Son « numéro » n'étant plus lisible à cause d'une cassure, on a malgré tout supposé qu'il s'agit du quatrième de ce nom (1285-1287), d'après son style. Rappelons d'ailleurs que G. Baccrabère était abbé. Cela lui donnait-il une sensibilité particulière pour découvrir un objet émanant de la papauté ?
On a aussi utilisé, aux époques moderne et contemporaine, des sceaux en plomb pour sceller des sacs de marchandise après leur contrôle ou l'acquittement d'une taxe. En 1993, à l'occasion de travaux sur la route reliant Foix à la Bastide-de-Sérou dans l'Ariège, une grotte, dite d'Esquiranes, fut sondée. On y retrouva l'un de ces plombs. Sur une face, une aigle impériale indiquait son utilisation à l'époque napoléonienne. Sur l'autre, on pouvait lire le nom de la ville où l'on avait effectué la vérification du sac : Toulouse. Ensuite, on peut se douter que cette petite cavité n'était pas la destination prévue du colis, et suspecter un probable détournement vers cette cachette.
Plan de la Ville de Toulouse et de ses environs levé l'an MDCCL par Joseph-Marie de Saget, Ville de Toulouse, Archives municipales, II 737 (extrait).

Une tuerie…


juillet 2019
Quels sont les endroits qui ont vu couler le plus de sang dans l'histoire de Toulouse ? Les lieux de combat : siège de 1218 où Simon de Montfort trouva la mort, conflit de 1562 entre protestants et catholiques, bataille de 1814 entre armée impériale et coalisés anglo-hispaniques ? Ou bien les lieux d'exécution comme la place Saint-Georges ? Si l'on cesse tout anthropocentrisme, on prendra conscience que ce sont les abattoirs. Les plus connus des Toulousains sont ceux construits vers 1825, aujourd'hui transformés en musée d'art moderne et contemporain. Auparavant, on voyait au milieu de l'actuel port Viguerie, en bord de Garonne près de l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques, un bâtiment que le cadastre révolutionnaire de Grandvoinet appelle « affachoir », terme ancien équivalent à abattoir des bœufs. Et le plan de Joseph-Marie de Saget de 1750, que nous présentons ici, le montre, sous le nom de « tueries », dans un environnement différent, car le port en hémicycle n'était pas encore construit. En 2015, le Service archéologique de Toulouse Métropole effectua un diagnostic en ce lieu sous la direction de Vincent Buccio. Mais le hasard de l'implantation des sondages exploratoires fit que l'on ne retrouva pas de vestiges de l'abattoir des bœufs, mais ceux du cimetière de l'hôpital et d'une maison qui le jouxtaient directement au XVIII e siècle. A noter que vous trouverez un dossier documentaire sur les affachoirs toulousains dans la rubrique «  Dans les bas-fonds » des Archives municipales ( n° 22 d'octobre 2017).
Boulets de la bataille de Toulouse de 1814 autrefois conservés au musée Saint-Raymond, Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi3979 (extrait).

Objets archéologiques (anciennement) en vol


juin 2019
L'une des branches de l'archéologie qui se développe le plus ces dernières années est celle qui concerne les conflits contemporains. Et parmi les vestiges archéologiques les plus emblématiques de cette thématique, on trouve tout ce qui a pu décrire une trajectoire aérienne dans le but d'aller écharper la partie adverse : les projectiles (balle, boulet, bombe, missile...), voire les avions qui ont pu les transporter.
La première bataille contemporaine à Toulouse fut celle du 10 avril 1814 contre les troupes anglo-hispaniques de Wellington. C'est ainsi qu'on retrouve quelquefois des boulets comme ceux que l'on aperçoit sur la photographie que nous présentons, autrefois conservés au musée Saint-Raymond. L'un d'eux avait été découvert en 1892 au chemin de la Juncasse, l'actuelle avenue de la Colonne.
Lors du dernier conflit mondial, ce furent surtout quelques rares bombardements aériens en 1944 qui ont marqué notre ville. Les archives municipales conservent d'ailleurs des clichés très impressionnants, pris dans l'action ( 31Fi2 et 31Fi4). Quelquefois l'avion était abattu et prenait alors la même trajectoire que les bombes qu'il était venu larguer… C'est ainsi qu'en 2011, on retrouvait sous l'avenue Saint-Exupéry le moteur d'un bombardier anglais Avro Lancaster, descendu dans la nuit du 5 au 6 avril 1944 alors qu'il attaquait la piste d'aviation de Montaudran.
Pont de Bois, dit pont de Pigasse. Plan de construction dressé par l'architecte Souffron, 1612, Ville de Toulouse, Archives municipales, DD213/1 (détail).

Un pont de bois taillé à la pigasse


mai 2019
Les Toulousains savent que le Pont de Tounis, reliant à la ville l'ex-île du même nom en enjambant la "Garonnette", ancien bras maintenant asséché de la Garonne, est le plus ancien encore conservé à Toulouse. Sa structure date des années 1510. Or, il a existé un autre pont traversant cette "petite Garonne" plus en aval, à l'endroit où celle-ci débouche dans la Garonne sous le quai de Tounis. Construit en 1612 (ou peut-être reconstruit, car il semble déjà représenté sur la vue de Toulouse qui orne la "Mécométrie de Leymant" de Guillaume de Nautonier publiée en 1603), il reprenait le tracé d'un ancien pont médiéval connu sous le nom de Pont-Vieux. Cette structure nouvelle fut dénommée Pont de la Halle (la Halle aux poissons était toute proche) ou plus simplement Pont de Bois. En effet, comme nous pouvons le voir sur le plan ci-joint, son armature était en charpente, à part un pilier maçonné du pont précédent qui, pendant un temps, fut aussi utilisé pour le soutenir. Plusieurs fois réparé, voire entièrement refait, il fut définitivement démoli en 1767. À cette époque, il s'appelait Pont de Pigasse. En occitan, une "pigasse" désigne une hache, outil tout indiqué pour construire une structure en bois, mais on s'explique mal ce changement de nom assez mystérieux. Il faut noter qu'on construisit encore au même endroit, en 1829-1830, un pont, cette fois-ci suspendu mais éphémère, car détruit vers 1854 pour faire place à un nouveau quai.
Astrolabes du Musée de Toulouse, anonyme, publié dans le Bulletin Municipal de la Ville de Toulouse d'octobre 1939. Ville de Toulouse, Archives municipales, PO1/1939/10, p. 605 (extrait).

Vieux cieux


avril 2019
Au Moyen Âge, on se servait d'un astrolabe pour calculer la position des astres dans le ciel, et le musée Paul-Dupuy de Toulouse a la chance d'en posséder un de cette époque. Les textes en langue arabe qui y sont gravés nous apprennent qu'il a été fabriqué au Maroc par Abu Bekr ibn Yusuf, l'an 613 de l'hégire, c'est-à-dire en 1216-1217 de l'ère chrétienne. L'état parfait de cet instrument en cuivre indique qu'il n'a certainement pas été retrouvé lors d'une fouille archéologique, mais qu'il est passé de main en main, d'astronomes ou d'astrologues, au fil des siècles. Son plus ancien propriétaire connu est l'abbé Vidalat Tornier, qui habitait à Mirepoix, dans l'Ariège. En 1834, il donna cet astrolabe à la Société archéologique du Midi de la France, qui elle-même le vendit au musée de Toulouse en 1893. Comme Vidalat Tornier connaissait bien l'astronome Jacques Vidal, lui aussi originaire de Mirepoix, où il décéda en 1819, certains ont avancé que l'instrument aurait appartenu auparavant à ce dernier (alors que Vidalat Tornier ne le dit jamais dans ses échanges avec la Société archéologique). Hypothèse qui devint vérité à force d'être répétée. Tout comme la supposition qu'il avait appartenu plus tôt aux dominicains de Toulouse…
Sur la photographie que nous présentons, publiée en 1939, l'astrolabe médiéval est en haut à droite. L'autre astrolabe, beaucoup plus grand, qui se trouve à gauche, est plus récent (1579) mais a le même pedigree : propriété de l'abbé Vidalat Tornier, don à la Société archéologique du Midi, puis vente au musée de Toulouse. Il paraît aussi qu'il aurait appartenu à l'astronome Vidal. Il paraît… En revanche, il fut bien la propriété du couvent des dominicains de Toulouse. Leur marque de propriété est bien gravée dessus.
Chantier archéologique de l'« âge des TUC », Fouille du parking Saint-Étienne en 1986 à Toulouse, Emile Godefroy, Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi1903

L’archéologie forme la jeunesse...


mars 2019
Qu'est-ce qui a marqué (vu de notre rubrique) la science française à la fin du XX e siècle ? Nous dirons le développement de l'archéologie préventive, qui a su intégrer l'étude préalable des vestiges anciens dans les projets d'aménagement. Concrétisé par une loi de 2001, ce concept est réputé né en France dès 1982 à l'occasion des fouilles du Grand Louvre à Paris. Et qu'est-ce qui a marqué la société à la même époque ? On pourrait dire, entre autres, la progression du chômage dans la jeunesse que les multiples dispositifs « emplois-jeunes » mis en place depuis 1977 (CES, CIP, CPE, CUI…) ont essayé de ralentir. 
À Toulouse, ces deux évolutions se sont croisées en 1986-1987 lors des recherches faites à l'emplacement du futur parking Saint-Étienne, première fouille préventive d'envergure effectuée dans notre ville. Nous étions alors à l'« âge des TUC », travaux d'utilité collective. En effet, pour épauler les quelques archéologues professionnels présents sur ce chantier, une dizaine de jeunes « TUCistes » avaient été engagés en renfort à cette occasion. Que sont-ils devenus ?
Ancienne tour de la fondaison du suif, Cadastre Grandvoinet, 1788-1821, Ville de Toulouse, Archives municipales, 1G18/29 (extrait).

Mort de suif


février 2019
Jusqu'au XVIIIe siècle, l'éclairage était souvent assuré par des chandelles, mèches entourées de suif provenant de graisses animales. Or, sa fabrication provoquait non seulement de mauvaises odeurs, mais aussi de sérieux risques d'incendie. C'est pourquoi on avait essayé, à Toulouse, aux XVII e et XVIII e siècles, de confiner cette activité dans un bâtiment un peu à l'écart des habitations, en l'occurrence l'une des tours des fortifications séparée de la ville par un boulevard intérieur appelé les « escoussières ». Cette « tour de la fondaison du suif », démolie vers 1818, est encore visible sur le cadastre révolutionnaire dit Grandvoinet (voir illustration) et se situait au milieu de l'actuelle rue du Rempart Saint-Étienne. Sa structure polygonale était d'origine gallo-romaine, comme l'a confirmé une fouille effectuée en 1963 par l'abbé Baccrabère.
Le risque d'incendie était bien réel. En 1779, de la matière graisseuse, récupérée sur des peaux traitées par un artisan et mise à bouillir sans surveillance dans un chaudron, provoqua la destruction de plusieurs maisons de la rue des Blanchers. Étonnamment, le sieur Descars, seule victime de ce sinistre, n'a pas péri directement par le feu. N'arrivant pas à retrouver l'argent caché dans sa maison en proie aux flammes, il fut foudroyé, désespéré, par une attaque. Sa femme était passée avant lui et avait déjà mis le magot à l'abri… mais il l'ignorait.