ARCANES, la lettre

Sous les pavés


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Sous les pavés", dédiée à l'archéologie.

SOUS LES PAVÉS


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Chapiteau représentant l’histoire de Job provenant de la Daurade à Toulouse, H. Révoil dessinateur et A. Guillaumot graveur, publié en 1873 dans le troisième tome de l’Architecture romane du midi de la France.

Les archéologues toulousains ont deux Jobs


janvier 2024
Non, il ne s’agit pas ici de dire que le travail d’archéologue est si précaire qu’il en faudrait prendre un second job pour survivre. Pourtant nombre de ceux qui exercent cette profession pourraient témoigner que l’on commence souvent sa carrière de façon chaotique. Entre institut public et entreprises privées, entre université et musées, il faut souvent enchaîner incommodément les missions avant d’obtenir, comme Job après ses épreuves, la divine reconnaissance : un CDI…

En fait, c’est bien Job, le personnage biblique, que nous voulons évoquer. Nous avons la chance, à Toulouse, de pouvoir étudier deux chapiteaux romans représentant son histoire, conservés au musée des Augustins. Le plus beau, dont nous présentons une illustration, a été récupéré lors de la démolition du cloître de la Daurade au début du 19e siècle. L’autre, incomplet, présente une déclinaison identique mais plus fruste du décor du précédent. Sa provenance est problématique bien que l’inventaire actuel du musée indique la cathédrale Saint-Étienne, d’après le catalogue Rachou de 1912. Henri Rachou disait retenir cette origine d’après la Société archéologique du midi de la France, donatrice de cet objet. Or, quand cette société l’a elle-même récupéré en 1887, c’est l’abbaye Saint-Sernin qui avait été évoquée. Donc Rachou a manifestement commis un lapsus entre ces deux églises toulousaines.

Objectivement, personne ne pouvait vraiment savoir d’où il venait car il avait été retrouvé sans pedigree dans les locaux de l’Institut catholique, alors que sa forme rectangulaire indiquait qu’il avait été retaillé pour servir de simple moellon. Néanmoins si Saint-Sernin n’était qu’une spéculation, on peut deviner son inspiration : on avait aussi précédemment découvert à l’Institut, en remploi dans des constructions, des pierres tombales qui provenaient bien de cette abbaye. De là à supposer que tous ces matériaux de récupération avaient une même origine… Il faut noter que l’historien Jules de Lahondès proposa de son côté, sur l’argument de la forme, une même provenance de la Daurade pour ces deux chapiteaux.
Substructions antiques découvertes près de la chapelle Saint-Roch des Récollets à Toulouse, relevé par Pierre Fort, 30 mars 1954, Mairie de Toulouse, Archives municipales, fonds Pierre Salies.

Archival Toto, Archéo Total


décembre 2023

Il suffira d'attendre assez longtemps… et nos objets quotidiens finiront dans un musée… et nos journées ordinaires seront analysées par des historiens. On peut imaginer, dans quelques centaines d'années, une unité de recherche universitaire baptisée « Archival Toto » (car l'humanité ne parlera alors qu'en anglais), chargée de documenter les étranges faits et gestes d'un certain petit groupe d'individus ayant parcouru la planète à la fin du 20e et au début du 21e siècle. Ils découvriront alors peut-être, dans les archives municipales de Toulouse, des images de cette tribu migratrice, nommée « Toto », animant une étrange cérémonie, appelée « concert », le soir du 30 mars 1999 à Toulouse. Et à partir d'une photographie, dont vous trouverez la reproduction dans une autre rubrique de ce numéro d'Arcanes, ils s'interrogeront probablement sur la signification cultuelle des éclairages ou tenteront de reconstituer des instruments de musique oubliés.

Si nous abandonnons le collectif Toto pour nous intéresser au singulier Total, ce grand groupe énergétique français a publié, dans les années 1970-1980, une revue intitulée « Caesarodunum ». Souvent sous-titrée « Total Archéologie », son fascicule de l'automne 1980, intitulé « Les 100 villes qui ont fait l'Occident », contient un article sur Toulouse par Pierre Salies et Georges Baccrabère. L'un de ses principaux intérêts était de dévoiler le dessin de substructions antiques découvertes en 1954, près de la chapelle Saint-Roch des Récollets, lors du creusement d'une tranchée dans la rue. Mieux encore que le croquis publié, nous pouvons vous présenter aujourd'hui le relevé original, maintenant conservé aux Archives municipales.

Journée portes ouvertes sur le chantier archéologique de l’hôpital Larrey à Toulouse, 11 décembre 1988. Reportage photographique de la Direction de la Communication - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 15Fi5933/2.

Anciennes visites, dernière visite


novembre 2023
Les archéologues médiévistes ou modernistes apprécient tout particulièrement la lecture des anciennes visites pastorales. Ce sont les comptes rendus des inspections faites régulièrement par les évêchés dans les paroisses. On y notait l’état des églises et des cimetières, ainsi que du mobilier utilisé par le curé, et on indiquait ce qui devait être amélioré. Même les chapelles privées étaient examinées. C’est ainsi que, lors d’une étude menée par le service archéologique de Toulouse Métropole à Beaupuy, on a relevé que le seigneur du lieu avait possédé sa propre chapelle à côté de son château, tous les deux maintenant disparus. Et plus récemment, à l’occasion de la révision de la carte archéologique de Saint-Orens-de-Gameville, les visites ont permis de recenser des oratoires avec leur autel domestique chez plusieurs habitants du 18e siècle, structures qu’il aurait été bien difficile de repérer autrement.

Mais les archéologues organisent aussi leurs propres visites. Il s’agit de journées portes ouvertes qui permettent au public de visiter leur chantier en cours de fouille. À Toulouse, on pratique ce type de médiation depuis les années 80 comme le montre la photographie que nous présentons. Nous sommes le 11 décembre 1988 sur le site de l’ancien hôpital militaire Larrey et nous pouvons y apercevoir les ruines d’un bâtiment des 5e-6e siècles de notre ère. L’occasion n’était pas à manquer car il s’agissait là d’une dernière visite. En effet, ces vestiges, identifiés comme le palais des rois wisigothiques de Toulouse, ont laissé peu après la place à un projet immobilier.
Double tournois de Louis XIII découvert dans un sarcophage de l’enfeu des Comtes à la basilique Saint-Sernin de Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Sus à l’intrus : Louis XIII chez les comtes de Toulouse


octobre 2023
Les archéologues n’aiment pas trop les intrus. Tout d’abord ceux qui s’introduisent sur leurs chantiers pour dérober ou dégrader du mobilier. C’est déjà arrivé à Toulouse, notamment lors de fouilles de cimetières anciens à la halle aux grains en 1999-2000 ou dans la rue des Trente-Six-Ponts en 2014 où des sépultures ont été vandalisées. Et puis il y a les intrus qu’ils découvrent dans les couches archéologiques. En général, c’est un objet plus ancien que le milieu où il se trouve. On comprend alors sans difficulté qu’il y a pu avoir un mélange : un habitant du Moyen Âge a pu, par exemple, en creusant dans son jardin, déterrer une monnaie antique et la transplanter dans son espace chronologique.

Par contre, c’est quelquefois un objet plus récent qui perturbe la datation d’un ensemble et il est difficile d’expliquer sa présence. Récemment, le service archéologique de Toulouse Métropole a fouillé à Toulouse, sous la direction de Bastien Lefebvre, l’un des sarcophages de l’enfeu qui se trouve à l’extérieur de l’église Saint-Sernin. Réputé contenir les restes des comtes médiévaux de Toulouse, on eut la surprise de découvrir dans ce tombeau une monnaie de Louis XIII, plus précisément un double tournois des années 1620 dont nous présentons une photographie, accompagné d’ailleurs de tessons de poteries d’époque moderne. Nous passerons sur l’ironie de voir, à côté des ossements des comtes, des fleurs de lys, emblème des rois de France qui ont justement mis fin à la dynastie comtale au XIIIe siècle. Alors, que s’est-il passé ? On pourrait presque imaginer quelqu’un balayant autour de la basilique vers 1700 qui, ne sachant pas trop quoi faire des déchets qu’il a ramassés, aurait soulevé le couvercle du sarcophage pour l’utiliser comme une simple benne à ordures…
Affiche touristique pour la grotte du Mas-d’Azil, illustrateur Amable Eugène Benoist, vers 1940, documentation Marc Comelongue.

Tourisme à l'Amable


septembre 2023

Toulouse possède quelques sites archéologiques et touristiques. Gérés pour la plupart par le musée Saint-Raymond, le plus connu est l’amphithéâtre romain de Purpan où des visites guidées sont organisées depuis des décennies. Quoi de plus normal, d’ailleurs, que de voir des touristes dans un édifice construit originellement pour le spectacle.
Nous aurions pu alors vous présenter le programme d’ouverture de 1996 que nous possédons dans nos papiers mais, celui-ci étant une photocopie assez simple, nous préférons vous montrer un document un peu plus attrayant.

Il s’agit d’une publicité concernant la grotte ariégeoise du Mas-d’Azil. Site préhistorique célèbre depuis la fin du XIXe siècle, elle fut aménagée touristiquement à la fin des années 1930 par Joseph Mandement. Notre affiche elle-même date de vers 1940, année où Mandement a commencé à utiliser la même illustration dans sa correspondance. Mais ne sommes-nous pas un peu loin de Toulouse ? Pas tant que ça…
Regardez la signature du dessin et vous lirez « B. Amable ».
C’est celle du peintre Amable Eugène Benoist de Saint-Ange qui fut le décorateur du théâtre du Capitole dans les années 1920. La ville de Toulouse l’a d’ailleurs honoré à ce titre en baptisant de son nom une nouvelle rue en 2004.

Dessins préhistoriques du Salon Noir de la grotte de Niaux, tirage papier noir et blanc, auteur et date de la photographie inconnus, documentation Marc Comelongue.

Vieilles Salles et sombre Salon


juillet-août 2023
Si nous avons l’habitude d’orthographier « salle » en mode mineur, comme salle de bains ou salle de sport, ce terme avait un peu plus de prestige au Moyen Âge. Quand on construisit à Toulouse, au XIVe siècle, une nouvelle bâtisse au Château Narbonnais, devenu ensuite le Parlement et qui se trouvait à l’emplacement du palais de justice actuel, on la nomma respectueusement Salle-Neuve. De plus en Gascogne rurale, de nombreux châteaux et manoirs sont aussi dénommés « Salle ». Mais cela intéresse essentiellement les médiévistes.
D’autres archéologues sont aussi concernés : les préhistoriens spécialistes d’art pariétal. En effet, ils étudient surtout des grottes dont les salles sont des repères essentiels, à l’instar de la Salle du Sanctuaire de la grotte des Trois-Frères en Ariège. Ils peuvent d’ailleurs trouver dans ce département un lieu d’étude encore plus confortable : un salon ! C’est le célèbre Salon Noir de Niaux avec ses dessins magdaléniens de chevaux, de bouquetins et de bisons dont nous présentons une photographie.
Portrait de Socrate et autel antique orné d’un visage de silène conservés au musée Saint-Raymond de Toulouse, Mairie de Toulouse, Archives municipales, cartes postales, 9Fi3889 (extrait), photographie Philippe Folliot et 9Fi3928 (extrait), photographie Jacques Glories.

Pas gâté par la nature : si laid ou silène ?


juin 2023
Les portraits sculptés grecs et romains sont souvent si beaux que l’on peut quelquefois soupçonner leurs auteurs d’avoir embelli les visages de leurs modèles. Pourtant il en est un qui semble tellement avoir été si peu gâté par la nature que les artistes n’ont pas su l’enjoliver. Il s’agit du philosophe Socrate. Sa laideur était d’ailleurs proverbiale, au point que ses contemporains ont pu le comparer aux silènes, êtres monstrueux de la mythologie antique.
Deux sculptures conservées au musée Saint-Raymond de Toulouse vont nous permettre de faire la comparaison. L’une est un buste de Socrate d’origine inconnue, et l’autre un autel romain découvert en 1862 près de la cathédrale Saint-Etienne à Toulouse. Ce dernier est orné de visages dont un, celui d’un silène barbu, peut se rapprocher de celui du moche penseur : mêmes barbe, front dégarni et traits disgracieux. Pourtant un détail vous permettra de faire la différence : le silène a les oreilles pointues. Socrate non, il n’aurait plus manqué que ça.
Imposte en fer forgé du XVIIe siècle disparue sans laisser d’adresse précise dans la rue de la Pomme, publiée dans la Revue générale de l’Architecture et des Travaux publics de 1879.

Pomme sans fruits


mai 2023
Les investigations menées pour la carte archéologique de Toulouse Métropole ont pour but de recenser des vestiges très anciens mais aussi des éléments beaucoup plus récents, modernes ou contemporains. Toutefois ces derniers doivent répondre à deux conditions : avoir disparu mais néanmoins pouvoir être décrits par une illustration ou un texte. De plus, on espère toujours retrouver précisément leur ancien emplacement. Mais cela n’est pas toujours possible.
C’est le cas dans la rue de la Pomme où, pour deux fenêtres à meneaux du XVIe siècle et une belle imposte en fer forgé du XVIIe siècle publiées et illustrées dans les années 1860-1870, les tentatives de relocalisation exacte ont été infructueuses. Cette pomme nous laisse donc avec trois fruits défendus pour la cartographie du patrimoine toulousain, disparus sans laisser d’adresse.
Disque d’interview de l’abbé Breuil par le docteur Sahly : à gauche étiquette du vinyle, à droite couverture du livret d’accompagnement, infographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine, Toulouse Métropole.

Le disque en archéologie, l’archéologie en disque


avril 2023
Il est fort probable que tout archéologue entendant le mot « disque » pensera immédiatement au Discobole, célèbre statue sculptée au Ve siècle av. J.-C. par le grec Myron. De nombreuses copies en furent produites durant l’Antiquité et le musée Saint-Raymond de Toulouse possède d’ailleurs l’une d’entre elles, découverte à Carcassonne au XVIIIe siècle. Malheureusement elle est incomplète. Pas de bras, donc pas de main et par conséquent pas de disque pour illustrer notre chronique.
Je vous propose donc, plutôt que de chercher le disque en archéologie, de tenter de trouver de l’archéologie en disque. Il faut pour cela se transporter à Rieumes, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Toulouse, chez le docteur Ali Sahly. Ce chercheur, qui avait su allier sa formation de médecin à sa passion de la préhistoire en étudiant les mains peintes de la grotte de Gargas, était un grand ami du célèbre préhistorien, l’abbé Breuil, qu’il hébergeait régulièrement. Lors d’un de ces séjours, en août 1960, A. Sahly eut la bonne idée d’interroger Breuil sur l’art préhistorique et de l’enregistrer. Un an plus tard, le 14 août 1961, l’abbé décédait. Le docteur Sahly publia alors, en hommage, cet enregistrement sous la forme d’un disque vinyle 33 tours. Cette rareté discographique témoigne que l’abbé avait gardé, dans ses quatre-vingtièmes années, esprit alerte et parole limpide. Ceux qui connaissent l’écriture quasi indéchiffrable qu’il produisait à la fin de sa vie auraient pu en douter. Il faut noter qu’un livret contenant la transcription de l’interview accompagnait aussi le disque.
Bas-relief d’Oô conservé au musée des Augustins de Toulouse, photographie publiée dans le Bulletin municipal de la Ville de Toulouse de Juin-Juillet 1940.

Histoire d'Oô


mars 2023

Oô. C’est ce que les visiteurs ont pu lire sur le cartel du bas-relief que nous présentons, quand il a intégré le musée de Toulouse en 1820. Car c’est dans les murs de l’église du village pyrénéen d’Oô qu’il avait été découvert. Drôle de nom qui se réfère à l’eau, puisque oô signifierait lac d’après les toponymistes. C’est d’ailleurs sur le territoire de cette commune que se trouve le lac d’Oô, l’un des sites les plus connus des Pyrénées.

Oh ! C’est ce qui a pu résulter d’une étude plus attentive de cette sculpture. Son sujet est effectivement surprenant : une femme nue avec un serpent qui, sortant de son sexe, vient s’allaiter à son sein. On a évidemment d’abord pensé à une divinité bizarre sortant du fond des âges, mais on a ensuite compris qu’il s’agissait probablement d’une production médiévale ou moderne. Dans ces communautés montagnardes qui n’avaient pas les moyens d’engager de véritables artistes, on pouvait alors s’improviser sculpteur ou peintre en toute naïveté. Mais pour raconter quelle histoire ? Une obscure légende locale ? Ou bien une péripétie trop grivoise de la relation d’Ève avec le Serpent qu’on aurait écarté du récit biblique ? Il serait, en effet, étonnant de retrouver l’histoire d’Oô dans la Bible.

Fragments de verre médiéval à décor de filets verts, découverts dans les Pyrénées au sud de Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Vers le vert sur verre


février 2023

Au bas Moyen Âge, la fabrication de verre était déjà bien standardisée et l’on pouvait retrouver les mêmes productions dans tout le sud de la France. Notamment de beaux récipients à parois très fines et translucides, ornés de filets bleus, dont plusieurs exemplaires ont été découverts à Toulouse. On rencontre aussi pourtant dans les fouilles de notre région des artéfacts de même type, mais cette fois-ci décorés de filets verts. Alors que s’est-il passé ?

Comme on peut le remarquer sur les fragments que nous avons photographiés, certains verriers médiévaux avaient du mal à obtenir une transparence parfaite et leur produit gardait une légère teinte verdâtre, pratiquement imperceptible tant que le verre restait fin. Mais dès qu’on l’épaississait, en posant des filets par exemple, la couleur verte se révélait franchement. Du coup, il devenait aléatoire de teinter en bleu une matière qui était déjà d’une autre coloration. Ces verriers abandonnèrent alors les décors bleus, économisant d’ailleurs ainsi l’achat du cobalt qui servait à les fabriquer. La contrepartie de cette mutation vers le vert sur verre étant des produits assurément moins attrayants.

Archéologues jusqu’au-bouetistes ayant touché le fond (d’un puits gallo-romain), site de Barquil à Cornebarrieu, 2017, photographie Flore Diverrez / Service de l’Inventaire patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Archéologue, jusqu’au boue


janvier 2023

Les archéologues se retrouvent régulièrement les pieds dans la boue à la moindre averse. Il ne peut en être autrement quand son métier est de faire des trous. Et même quand il ne pleut pas, à force de creuser on rencontre immanquablement un jour la nappe phréatique. Cela sonne généralement l’arrêt des travaux sauf pour des structures archéologiques particulières : les puits. Par fonction, ils baignent dans l’eau et il est alors impossible d’éviter le bain de boue si l’on veut les explorer jusqu’au fond. La photographie que nous présentons l’illustre parfaitement avec un puits antique fouillé, en 2017, par le service archéologique de Toulouse Métropole dans la commune de Cornebarrieu.

Pire encore, la boue séchée peut aussi poser problème. En effet, le sous-sol de Toulouse est formé par une roche particulière mise en place durant l’ère tertiaire : la molasse. Très tendre, elle peut facilement se transformer en boue, glisser et se reconstituer quasiment à l’identique en séchant, au point qu’il est difficile de s’apercevoir qu’elle a bougé. C’est un piège dont les archéologues toulousains se méfient, surtout lorsqu’ils fouillent au pied des collines qui entourent la ville. Quand ils y rencontrent une couche de molasse, ils se gardent bien de conclure hâtivement qu’ils sont en présence d’une strate géologique naturelle très ancienne. Ils creusent toujours un peu plus profondément pour vérifier s’il ne s’agit pas d’une coulée de boue molassique qui, dévalant des pentes, aurait recouvert des vestiges beaucoup plus récents.

Structure antique démolie en 1866 lors de la construction de l’école Lespinasse à Toulouse, d’après sa publication par Jacques-Jean Esquié en 1871, Mairie de Toulouse, Archives municipales, FRAC31555_REV101_ill (extrait).

Un siphon, les Romains


décembre 2022

Les siphons sauvent notre quotidien en empêchant la remontée des mauvaises odeurs par nos canalisations. Au Moyen Âge et à l’époque moderne, les toulousains n’en bénéficiaient pas, même dans les bâtiments les plus élaborés comme la tour des latrines de l’ancien monastère de la Daurade étudiée par les archéologues en 1993. Ainsi après chaque tir au but, des exhalaisons pouvaient jouer le match retour. Les mieux lotis étaient ceux qui pouvaient construire leurs toilettes au-dessus d’un cours d’eau, comme à l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques le long de la Garonne.

Pourtant le principe du siphon était connu dès l’Antiquité. Au cours de la construction de l’école Lespinasse en 1866, dans le quartier Saint-Cyprien sur la rive gauche de la Garonne, on a démoli les vestiges d’une imposante et mystérieuse structure antique. On s’aperçut alors qu’elle contenait une canalisation verticale. Qu’en penser ? Elle était située sur le trajet de l’ancien aqueduc construit par les Romains pour alimenter la ville. Or on sait que lorsque ceux-ci devaient faire franchir un point bas à leurs aqueducs, comme une rivière, ils construisaient un réservoir en hauteur se déversant dans une conduite forcée. Le siphon ainsi créé permettait alors à l’eau de remonter une fois le point bas franchi. On imagine bien la mise en œuvre d’une telle solution à Toulouse où la ville antique occupait un point haut sur la rive droite de la Garonne.

Ainsi font les Romains.

Cachet d’oculiste en stéatite à quatre inscriptions découvert dans le Tarn-et-Garonne, d’après sa publication par Emile Espérandieu en 1904.

Vue et cachet


novembre 2022
Les archéologues développent souvent un sixième sens qui leur permet de comprendre le monde en grattant avec une truelle. Mais la vue leur est aussi d’une aide précieuse sans qu’ils soient d’ailleurs tous égaux sur ce sujet. Quand deux chercheurs fouillent la même couche de la fin de l’Antiquité, on remarque souvent que l’un va retrouver plus facilement les minuscules monnaies en bronze de cette période. La vue peut être aussi sélective. En prospectant un champ labouré, l’un repérera plutôt les tessons de poteries tandis que l’autre ne verra que les outils préhistoriques en pierre taillée ou polie.
Les artefacts liés à la vue ne sont pas si communs. En attendant la découverte d’un œil de verre ou d’une paire de lunettes anciens, ce sont surtout les cachets d’oculistes antiques qui ont intéressé les archéologues. Petits objets en pierre, ils portent sur leurs tranches des inscriptions latines gravées permettant d’estampiller un remède, souvent un collyre, dont la consistance était assez plastique pour cela. On pouvait ainsi y lire le type d’affection qui était soignée, souvent le patronyme du médecin prescripteur et quelquefois le nom même de la substance. Il semble que l’on n’en ait découvert encore aucun à Toulouse et le seul répertorié dans notre région, dont nous présentons l’illustration, a été trouvé dans le Tarn-et-Garonne. Par contre un collectionneur toulousain, Théodore de Sévin, possédait au XIX e siècle un objet encore plus rare, mais malheureusement d’origine inconnue : une petite ampoule en plomb en forme d’amphore portant l’inscription « Ex officina Lucii Octavii ad caliginem », que l’on peut traduire « De l’officine de Lucius Octavius pour guérir les obscurcissements de la vue ».
Emballage de préhistoriens ou témoignage d’un trafic de crâne entre Toulouse et Paris, photographie Marc Comelongue. Direction du Patrimoine, Toulouse Métropole.

L'archéologie par l'emballage


octobre 2022
Au vu des nombreuses fouilles opérées en France, le conditionnement des objets archéologiques est un enjeu majeur abordé avec rationalité. Des normes régissent leur emballage dont la pièce maîtresse est un bac plastique aux dimensions bien précises utilisé universellement, complété par diverses tailles de sachets à fermeture ZIP permettant d’isoler les lots de mobilier dans les caisses. Tout ceci durera jusqu’au jour où l’on s’apercevra que le plastique est une matière dégradable…
Auparavant, les institutions qui en avaient les moyens se tournaient vers la menuiserie, et leurs collections étaient rangées dans de beaux tiroirs en bois. Certains archéologues, amateurs moins fortunés, pouvaient exploiter des sources de contenants plus singulières : l’un, travaillant dans une banque, aura recyclé les boîtes en carton servant à expédier les chèques, tandis qu’un autre, copain avec un boucher, aura récupéré des caisses en polystyrène servant à transporter de la viande…
Un contenant privé de son contenu peut aussi susciter de l’intérêt. Ainsi, une caisse en bois retrouvée récemment à Toulouse ne pouvait qu’intriguer les archéologues. Une étiquette indiquait les noms de son expéditeur : l’anthropologue Henri-Victor Vallois, connu pour avoir étudié de nombreux restes humains préhistoriques, et de son destinataire, le célèbre préhistorien toulousain Louis Méroc. Une enquête a conclu qu’il ne pouvait s’agir que de la caisse ayant servi au retour d’un crâne magdalénien recueilli dans une grotte pyrénéenne en 1959 par L. Méroc, qui l’avait envoyé à Paris au professeur Vallois pour étude. Bon, je ne vous sens pas trop emballés par mon histoire d’emballage… À quoi sert d’étudier un contenant vide, me direz-vous non sans raison ? En fait, la caisse n’était pas toute seule et débrouiller son pedigree a permis aussi de donner un contexte aux objets sans généalogie qui l’accompagnaient.
Extraits des plombs inscrits de Vindrac (81) et de Tabariane (09), infographie Marc Comelongue. Direction du Patrimoine, Toulouse Métropole.

Ne t'aime, Anathème


septembre 2022
Si vous n’aimez pas quelqu’un, vous pouvez tenter l’anathème. Et si vous croyez à l’existence de forces occultes, vous pouvez demander leur aide en leur envoyant un message comprenant le nom de l’individu à cibler et la liste des malheurs à lui infliger (et éventuellement son adresse, ça ira plus vite). Pendant l’Antiquité et le haut Moyen Âge, ces malédictions étaient souvent gravées sur une feuille de plomb. Mais comment faire passer ces suppliques aux entités diaboliques chargées de les exécuter ? Il fallait trouver un coursier qui se rendait de « l’autre côté », autrement dit un mort que l’on enterrait. C’est pourquoi on retrouve ces artefacts dans des tombes, de personnes qui, d’ailleurs, n’avaient pas spécialement un lien avec les protagonistes de la damnation. Les archéologues en découvrent néanmoins rarement. Les raisons principales sont que ces feuilles de plomb sont très petites, repliées en rouleau et souvent en mauvais état, prenant l’aspect d’un objet assez insignifiant, déchet de métal ou galet désagrégé, qui peut facilement passer inaperçu.
Dans notre région, deux découvertes relativement récentes sont à signaler : l’une dans la nécropole alto-médiévale de Vindrac dans le Tarn, l’autre dans le cimetière mérovingien de Tabariane dans l’Ariège. Et elles sont passées ensuite par Toulouse, dans le laboratoire de restauration Materia Viva. Une fois déroulées, les feuilles ont bien dévoilé une inscription. Mais, comme vous pouvez le voir dans l’image ci-jointe, elles sont restées indéchiffrables, ce qui est souvent le cas, même si on peut deviner qu’elles sont « écrites » en minuscule latine. On peut subodorer que le sorcier chargé de les rédiger ne devait pas plus savoir écrire que le demandeur ne devait savoir lire. C’est le geste qui compte, me direz-vous. Sauf que l’on peut s’interroger sur leur efficacité : les démons n’ont sûrement pas compris ce que l’on leur demandait… De plus, ont-ils vraiment lu ces messages ? Comme ils ont été retrouvés encore enroulés, on peut en douter.
Ardoise gravée de portées vierges découverte lors de la fouille archéologique du Lycée Ozenne à Toulouse en 1997, infographie Marc Comelongue. Direction du Patrimoine, Toulouse Métropole.

Graver chant, chanter grave (ou aigu)


juillet-août 2022
Transmettre la musique en dehors de l’apprentissage direct fut un problème ardu à résoudre. Évidemment, l’écriture pouvait archiver les mots d’un chant depuis l’Antiquité. Mais comment représenter les notes ? L’utilisation de la portée à partir du Moyen Âge a permis de débrouiller cette difficulté. Elle est constituée de lignes horizontales représentant une échelle sur laquelle on s’élève en passant du grave à l’aigu. Ainsi, de nombreux manuscrits médiévaux et modernes nous permettent d’entendre leur époque.
Les ardoises gravées ont aussi été utilisées pour transcrire la musique. Elles sont relativement rares, mais nous avons la chance d’en conserver à Toulouse. Celles-ci ont été découvertes en 1997 lors de la fouille archéologique du lycée Ozenne, dirigée par Jean-Charles Arramond (Association pour les fouilles archéologiques nationales) et sont parfaitement à leur place. En effet, ce site fut à l’époque moderne celui de la maîtrise des chanoines de l’abbaye Saint-Sernin, c’est-à-dire un établissement servant à former les enfants de chœur. Le fait que seules les portées sont représentées montre d’ailleurs bien que nous sommes dans un contexte d’enseignement du chant où les ardoises servaient aux exercices, les notes étant tracées à la craie, puis effacées.
Porte de l’hôtel de Bernuy, détail d’une gravure publiée dans Toulouse monumentale et pittoresque en 1842, dessinateur Perrin, graveur Achille Delor, Mairie de Toulouse, Archives municipales, RES111 (extrait).

Du prêt à l’hôtel


juin 2022

Aujourd’hui cette expression évoquerait immanquablement le surendettement provoqué par l’abus des prêts à la consommation, la perte de sa maison, et la précarité de la vie à l’hôtel. Au filtre de la Renaissance toulousaine, le sens peut être tout différent : les liquidités accumulées par de riches marchands, une fortune que l’on peut multiplier en accordant des prêts à intérêt, et l’acquisition de riches demeures au centre de notre cité. C’est ainsi que Jean de Bernuy put faire construire au début du 16e siècle l’hôtel particulier qui porte son nom, devenu par la suite collège des Jésuites et aujourd’hui lycée Pierre-de-Fermat. L’argent qu’il avait gagné grâce au commerce du pastel lui avait permis d’assumer la caution de la rançon de François Ier en 1525 et plus tard, en 1539, d’être l’un des principaux contributeurs d’un important prêt « consenti » par les Toulousains au roi de France.
L’image ci-contre représente la partie supérieure de la porte d’entrée de son hôtel que l’on peut encore admirer dans la rue Gambetta, telle qu’elle a été publiée en 1842. Si l’on est prêt à y regarder de plus près, la comparaison avec une illustration donnée par l’archéologue Alexandre Du Mège, dans les Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France édités en 1837, montre des évolutions révélatrices de quelques restaurations.
Tout d’abord le médaillon central contient un mascaron d’Apollon alors qu’il montrait auparavant un monogramme du Christ. Au-dessus, le bandeau tenu par un ange porte manifestement une inscription alors que Du Mège semblait indiquer que celle-ci avait disparu. Actuellement on y lit très clairement la devise gravée SI DEVS PRO NOBIS, Si Dieu est avec nous, or cette sentence orne une autre porte de l’hôtel située dans une cour d’où on l’a manifestement prise comme modèle vers 1840. Enfin, les deux médaillons supérieurs portent des bustes alors que Du Mège les avait vus vides. Très bizarrement ces deux bustes dessinés ressemblent « presque » à ceux que l’on peut voir aujourd’hui : il faut néanmoins les intervertir et, de plus, retourner leur image en miroir pour enfin les faire correspondre à la réalité. L’humour est dans l’à-peu-près…

Médaillon de l’ancien hôtel de Pins, photographie Eugène Trutat, 1899, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 6Fi68 (détail).

Recyclage chapeau Renaissance


mai 2022
Vous cherchez des chapeaux ? Allez chez un chapelier. Et, ça tombe bien, il y a une rue des Chapeliers à Toulouse… ou plutôt il y avait, car celle-ci a disparu, effacée par la rue du Languedoc tracée en 1899-1904. C’est dommage, car il y avait un beau bâtiment Renaissance dans cette rue : l’hôtel de Pins construit au XVIe siècle qui possédait des galeries ornées de médaillons montrant des têtes dont certaines portaient… des chapeaux, comme le montre la photographie ancienne que nous publions. Alors, perdus ces galures ? Heureusement non. Car les galeries et leurs sculptures ont été récupérées lors de la démolition de l’hôtel de Pins puis remontées pour une partie dans le nouvel hôtel, dit Antonin, construit à sa place et pour l’autre dans l’hôtel Thomas bâti à la même époque, non loin de là, dans la rue Croix-Baragnon.
La cellule archéologique de Toulouse Métropole a aussi été récemment sur la piste d’un chapeau. Un sondage a été réalisé sous la direction de Christophe Calmés à l’emplacement de l’ancien n° 14 de la rue des Arts, immeuble détruit par le percement de la rue de Metz en 1895-1897. Or c’est à cet endroit que s’était autrefois élevée l’hostalaria del capel rouge, l’auberge du Chapeau Rouge, détruite par un incendie au XVe siècle. Mais aucun vestige de couvre-chef n’a été découvert lors de cette fouille.
Dépôt de lœss jaune repéré à Saint-Jory lors d’une fouille archéologique, photographie Teddy Bos, Cellule Archéologie de Toulouse Métropole.

« Poussière de vent »


avril 2022

C’est la définition que l’on pourrait donner du lœss, formation géologique composée de particules charriées par le vent puis accumulées sur des épaisseurs de plusieurs mètres. On en trouve d’ailleurs autour de Toulouse dans les vallées de la Garonne et de l’Hers où ces dépôts se sont formés il y a environ 20 000 ans, pendant la dernière période glaciaire appelée Würm. Comme le champ d’étude de l’archéologie s’est élargi à l’histoire de l’environnement, ce sont non seulement les traces laissées par l’homme lui-même qui intéressent les archéologues, mais aussi tout ce qui a pu influer sur son existence : la faune sauvage, la végétation, le climat et la géologie.

C’est ainsi que le lœss a pu influencer, par deux fois et de façons opposées, la vie de nos ancêtres toulousains : tout d’abord au moment de sa formation, où un climat froid et un vent violent (l’ancêtre du vent d’autan ?) a été un frein à l’implantation des populations humaines du Paléolithique supérieur dont les vestiges sont effectivement très rares autour de Toulouse. Puis, bien plus tard, il a joué un nouveau rôle lorsque l’homme est devenu agriculteur et qu’il a remarqué que les sols formés sur le lœss sont très fertiles. C’est d’ailleurs sur l’un de ces terroirs que s’est implanté le plus important village néolithique de notre région à Villeneuve-Tolosane / Cugnaux aux Ve-IVe millénaires avant notre ère.

Au sein de la Cellule Archéologie de Toulouse Métropole, Teddy Bos, archéologue et aussi géomorphologue, se charge actuellement de répertorier ces dépôts de « poussière de vent » comme le montre sa photographie prise lors d’une fouille à Saint-Jory, au nord de Toulouse.

De gauche à droite : coin héraldique du blason de Cugnaux, coin médiéval en fer, « coin » alias hache en pierre polie néolithique, dessin Marc Comelongue, Service de l’Inventaire Patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Coin : coin ?, coin ?


mars 2022
Le nom de Cugnaux, commune du confin méridional de Toulouse Métropole, trouve son étymologie dans le latin cuneus, que l’on peut traduire par « coin ». Et ce sont d’ailleurs trois coins d’or sur fond bleu que l’on peut apercevoir sur son blason. Alors, on peut imaginer qu’il y avait en ce lieu, au début du Moyen Âge, une forêt qui a été défrichée devenant ainsi le « territoire des coins de bûcherons ».
Cugnaux est également connu par les archéologues pour être l’un des plus importants sites néolithiques de la région (qui s’étend aussi sur la commune voisine de Villeneuve-Tolosane). Or, on sait que l’artefact le plus caractéristique de cette période de la préhistoire est la hache en pierre polie, et les habitants de Cugnaux ont dû en découvrir une multitude en travaillant dans leurs champs. D’autant plus que ces objets, considérés comme des « pierres de foudre », ont été de tous temps recherchés, bien avant qu’ils soient identifiés comme des pièces archéologiques. La raison ? Réputées engendrées par l’impact d’un éclair, les haches polies étaient placées dans les maisons pour les protéger de la foudre qui, c’est bien connu, ne tombe jamais deux fois au même endroit… Les auteurs anciens les appellent aussi quelquefois « céraunies », ou tout simplement « coins ». Alors Cugnaux « territoire des coins » serait-il en fait le « territoire des haches polies » ?
Boîte à sceau en bronze découverte sur un site gaulois des Pyrénées, dessin Marc Comelongue, Service de l’Inventaire Patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Une boîte sur un secret


février 2022
Les archéologues retrouvent quelquefois sur les sites antiques de notre région un drôle de petit artefact. En bronze et d’une taille d’environ deux centimètres, il forme une petite boîte avec un fond concave relié par une charnière à un couvercle plat. On pense d’abord à un contenant pouvant renfermer un parfum ou un onguent, mais on est immédiatement contredit lorsqu’on s’aperçoit que le fond est percé de trois trous. Ces objets sont aussi parfois fabriqués en os, comme l’exemplaire retrouvé lors de la récente fouille préventive de la caserne Niel à Toulouse en 2009-2011.
Heureusement, les spécialistes de l’instrumentum  nous donnent une explication. Durant l’Antiquité, on utilisait souvent comme support de l’écriture, plutôt que du papyrus rare et fragile, des tablettes de bois enduites de cire que l’on gravait avec un stylet. Elles étaient souvent reliées par deux pour former une sorte de petit livre que l’on pouvait fermer. Pour s’assurer de garder secret un message entre son auteur et celui qui le recevait, on pouvait alors nouer les tablettes avec un lien. Mais comment le destinataire pouvait-il s’assurer que ce lien n’avait pas été coupé et remplacé entre temps ? 
C’est là que notre objet intervient : c’est une boîte à sceau. Le lien était passé dans la boîte qu’il pouvait traverser, grâce à des échancrures latérales, même quand elle était fermée. On remplissait alors le fond avec de la cire chaude qui emprisonnait le lien. De plus, la cire coulait à travers les trois trous du fond et collait la boîte sur la tablette contenant le message. Enfin, l’envoyeur apposait l’empreinte de son sceau dans la cire, qui serait protégée durant le voyage par le couvercle rabattu de la boîte et que son interlocuteur pourrait identifier à la réception. Bien évidemment, on pouvait aussi sécuriser par ce moyen l’envoi de bourses ou de coffrets contenant des objets de valeur.
Lampe préhistorique décorée en grès découverte dans la grotte de Lascaux, Courrier de l’abbé Glory à Louis Méroc daté du 17 juillet 1960, archives du Service régional de l’Archéologie de Midi-Pyrénées

Au tournant de la gloire, Glory dans un virage


janvier 2022
Les virages ne sont pas les amis de l’humanité et moissonnent des vies parmi les archéologues aussi. Les routes du Gers, sinueuses et vallonnées, n’ont notamment pas bonne réputation et, le 29 juillet 1966, ce fut un « tournant dangereux » à Arrouède qui coûta la vie au préhistorien et abbé André Glory. La Dépêche du Midi qui relata l’accident publia d’ailleurs, dans le goût macabre de l’époque, non pas un portrait de la victime mais une photographie de la voiture fracassée. L’abbé, dont le nom prédestinait à la gloire, était sur le point de l’atteindre grâce à l’étude qu’il menait alors sur les peintures préhistoriques de la célèbre grotte de Lascaux. Cette tâche lui avait confiée dès 1953 par l’abbé Breuil vieillissant, qui appréciait ses talents de dessinateur et qui n’avait pas pu assumer lui-même ce travail. D’où le qualificatif attribué par les médias à Glory, un peu abusivement, de « successeur » de Breuil.
La présence de l’abbé dans notre région en 1966, où il venait faire une conférence au site archéologique de Montmaurin, s’explique par des liens créés quand il était réfugié à Toulouse pendant la seconde guerre mondiale, où certaines de ses frasques n’avaient d’ailleurs pas laissé un excellent souvenir parmi ses collègues. L’une d’elles fut sa tentative très personnelle de confiscation, à la Libération en septembre 1944 et sous le soi-disant mandat des F.F.I., du produit des fouilles à la grotte ariégeoise du Mas-d’Azil. Le fouilleur, Saint-Just Péquart, impliqué dans la collaboration venait d’être exécuté. Le préhistorien toulousain Louis Méroc s’y opposa et, en homme de loi qu’il était aussi, fit mettre cette collection sous séquestre pour la protéger. Glory ne fut pas rancunier et plus tard, en 1960, il écrivait à Méroc pour lui annoncer la découverte à Lascaux d’un artefact exceptionnel : une lampe décorée en grès, dont il griffonna un dessin.
Autel dédié au dieu ARPENINUS découvert à Cardeilhac (Haute-Garonne). Eugène Trutat - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi331.

Où est le DEO ?


décembre 2021
L’église primitive de la Daurade à Toulouse, démolie au XVIII e siècle, était célèbre par ses mosaïques paléochrétiennes à fond doré qui lui avaient donné son nom. Mais parmi les nombreux personnages bibliques représentés, on n’y trouvait aucune reproduction de Dieu, ni même une inscription dédicatoire « À DIEU », qui aurait d’ailleurs été transcrite en latin. Donc pas de « DEO » doré.

L’image divine ne fut pas, pendant longtemps, en odeur de sainteté. En effet, certains passages de l’Ancien Testament recommandaient l’aniconisme, et il fallut attendre la fin du Moyen Âge pour voir représenté communément le Créateur. Mais les artistes avaient eu jusqu’alors assez à faire avec Jésus-Christ, la Vierge Marie et tous les Saints.

Les archéologues en manque de DEO pourront toujours se tourner vers le Musée Saint-Raymond, où sont conservés de nombreux autels gallo-romains portant des dédicaces à des divinités pléthoriques et exotiques. Aux Archives municipales de Toulouse, ils pourront aussi trouver une photographie ancienne d’un monument dédié au dieu ARPENINUS découvert à Cardeilhac (Haute-Garonne).
Polished axe / Hache polie en cinérite aveyronnaise, photographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire Patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Axe polie


novembre 2021
Parlons un peu de l'outil emblématique de la période néolithique : la polished axe.
- Drôle de syntaxe. Qu'est-ce qui lui prend d'utiliser l'anglais ?
Relax ! Je traduis : la hache polie. C'était juste un clin d'œil au diktat actuel obligeant les scientifiques, archéologues compris, à publier dans une revue anglo-saxonne pour être enfin, soi-disant, pris au sérieux.
Le matériau de ces haches peut être des plus communs, ou des plus rares, comme la jadéite provenant des Alpes. Dans notre région, une matière est restée longtemps mystérieuse sous la vague désignation de « pétrosilex » et ce n'est que vers 1980 que l'on a découvert son origine : la région de Réquista dans l'Aveyron. On comprit alors qu'il s'agissait de cinérite, roche composée d'anciennes cendres volcaniques solidifiées. 
Depuis la carrière d'extraction, on exportait des ébauches « à polir à la maison » et trois d'entre elles furent découvertes vers 1869, ensemble, au quartier Saint-Agne au sud de Toulouse. Elles sont conservées au Muséum d'histoire naturelle de notre ville. La photographie ci-contre montre une hache en cinérite terminée avec sa teinte claire caractéristique. Ces contacts précoces avec l'Aveyron peuvent nous interroger : les toulousains connaissaient-ils déjà l'aligot au Néolithique ? Mais ce n'est plus là une question d'« axe », mais plutôt de malaxe…
Outils en quartzite des terrasses de la Garonne taillés par l’homme préhistorique, photographie Marc Comelongue, Service de l’Inventaire Patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Tailleurs de sable


octobre 2021
Notre civilisation est bâtie sur du sable. Ou plutôt avec du sable, celui inclus dans le mortier qui lie les matériaux de nos murs. À Toulouse, on peut en trouver en abondance au fond de la Garonne, et de nombreuses cartes postales du début du 20 e siècle montrent de pittoresques « pêcheurs de sable » naviguant sur des barques, quelquefois dangereusement chargées. Des prospections archéologiques ont été menées le long du fleuve, et une épave a été repérée en 2011 près du pont de l’Embouchure. Ses découvreurs ont supposé qu’il s’agissait des vestiges d’un bateau-lavoir ou d’un ponton. Mais peut-être est-ce l’une de ces « barques à sable » qui aurait coulé à cause d’un grain de trop ?

Il existe une autre civilisation tributaire du sable : celle des hommes préhistoriques qui ont fréquenté notre région. Mais il s’agit d’un sable très, très, très transformé qui s’est métamorphosé en une pierre dure que l’on peut tailler : le quartzite. De nombreux galets de cette matière sont présents sur les terrasses de la Garonne et ont constitué une alternative au silex pour la confection d’outils. Les préhistoriens en ont découvert des quantités considérables depuis un siècle et demi.
Inscription latine de la place du Pont-Neuf commémorant l'entrée de Louis XIV à Toulouse en 1659, photographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire Patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Dans marbre gravure, coquille qui dure


septembre 2021
Les archéologues toulousains rencontrent quelquefois de vraies coquilles Saint-Jacques dans des sépultures médiévales, comme lors des fouilles de la place Saint-Etienne en 1988. Elles indiquent que l'inhumé avait effectué au moins une fois le pèlerinage à Compostelle lors de son existence.
Mais le thème de cette newsletter concerne plutôt les coquilles littéraires. La plus courante en archéologie est incontestablement le lapsus « mis à jour », utilisé pour l'expression « mis au jour », que nous avons tous vu au moins une fois. Un artefact ancien n'est pas, en effet, un programme informatique.
Et quand une coquille est inscrite dans le marbre, elle est difficile à corriger. A Toulouse, sur les façades méridionales de la place du Pont-Neuf, on trouve une inscription latine sur marbre noir commémorant l'entrée de Louis XIV dans la ville en 1659. En l'examinant attentivement, on perçoit un espacement des deux derniers chiffres de la date : « MDCL_IX ». En effet, le graveur avait tout d'abord sculpté par erreur la date de 1660 : « MDCLX ». Pour effacer sa bévue, il reboucha le « X » avec du mastic et corrigea par « IX » en se décalant légèrement pour retrouver une surface saine. Mais au cours du temps le mastic de rebouchage finit par tomber tandis que le chiffre « I » s'estompait. C'est ainsi qu'en 1922, d'après le témoignage de Jules Chalande, on pouvait lire « MDCLX_X », c'est-à-dire 1670 ! Heureusement, la bonne date a été depuis lors restaurée.
Au-dessus de ce texte latin, on voit une autre plaque de marbre portant sa traduction française. Posée en 1906, elle comportait aussi à l'origine, le croirez-vous, une erreur de date qui a été corrigée par la suite : 1660 au lieu de 1659 ! 
Fragment de tuile décorée d’un blason aux armes des Lévis, découvert sur le site d’un ancien château de la seigneurie de Mirepoix, photographies Marc Comelongue, Service de l’Inventaire Patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Toi Lévis ? Toit Lévis !


juillet-août 2021
Les archéologues abordent souvent le concept de toit par le biais de son mode de couverture. Or, quand celle-ci est composée de matériaux périssables (chaume, bardeaux en bois), elle laisse peu de traces. Le constat est différent sur les sites gallo-romains avec l’emploi de la tuile en terre cuite, la tegula. Mais celle-ci semble disparaître aux premiers temps médiévaux, et il faut attendre le bas Moyen Âge pour voir son retour sous une nouvelle forme, la tuile canal. Dans notre région, cette évolution technique est synchrone d’une évolution politique, conséquence de la croisade contre les Albigeois. Ainsi, au XIIIe siècle, se créée, sur la bordure méridionale de l’ancien comté de Toulouse maintenant domaine royal, une nouvelle entité : la terre du Maréchal ou seigneurie de Mirepoix. Maréchal parce qu’elle a été donnée à Guy de Lévis, surnommé maréchal de la foi et principal lieutenant du chef de la croisade, Simon de Montfort. Mirepoix parce que ce territoire est composé autour de cette ville par des dizaines de communautés confisquées à des chevaliers occitans qui avaient soutenu les cathares.

Chacun de ces villages possédait à l’origine un château, mais les Lévis, par souci d’économie, ont choisi d’en abandonner une bonne partie pour ne conserver que quelques places fortes essentielles au contrôle de leur fief. Ainsi, on peut savoir en visitant les ruines de ces anciennes forteresses, selon l’absence ou la présence de tuiles, s’il s’agit d’un lieu abandonné au XIIIe siècle à la suite de la croisade, ou d’un site que les Lévis ont entretenu après cette date. La photographie présentée ici montre une tuile découverte sur l’emplacement de l’un de ces châteaux remaniés par les Lévis. On y aperçoit d’ailleurs un écu à trois chevrons, emblème de cette famille. Outre l’impression que ces seigneurs voulaient marquer leur empreinte au point de blasonner une simple tuile, dotant ainsi leurs citadelles non seulement de ponts-levis, mais aussi de toits Lévis, on remarque que les trois chevrons font partie d’une armoirie plus complexe. C’est très probablement le blason d’une branche cadette de la famille et on peut expliquer sa présence par la coutume dite de Paris, importée dans le Midi par les croisés. Contrairement au droit languedocien antérieur, elle favorisait un partage plus équitable du patrimoine familial entre l’aîné et les cadets et ces derniers devenaient ainsi plus facilement propriétaires d’une partie de la seigneurie.
Comme quoi on peut faire de l’histoire politique et de l’histoire du droit avec une simple tuile sur un toit.

A Toulouse, on peut voir cet écu à trois chevrons sur un magnifique sarcophage conservé au musée des Augustins et provenant de l’hôtel Saint-Jean, ancien siège de l’ordre de Malte à Toulouse. Mais on ignore à qui était destiné ce tombeau, et aucun lien n’a pu être sûrement établi avec les Lévis.
A gauche, baguette miraculeuse : le miracle des noces de Cana représenté sur un sarcophage conservé au musée Saint-Raymond de Toulouse, dessin publié par Raffaele Garrucci en 1879. A droite, baguettes pas miraculeuses : clocher de l’église de la Dalbade effondré sur la boulangerie Denax en 1926, carte postale, photographie Louis Albinet - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi4955 (extrait).

Baguettes, pas toujours magiques


juin 2021
Allez au musée Saint-Raymond, descendez au sous-sol, et cherchez le couvercle du sarcophage dit de la reine « Pédauque ». C’est celui qui comporte une représentation de la résurrection du fils de la veuve de Naïn sur le panneau central, montrant des rideaux ressemblant à des pieds d’oie (les « pès d’auco » de la reine). Sur le dernier panneau à gauche, vous verrez un autre miracle : celui des noces de Cana où Jésus changea l’eau en vin. Pour cela, il touche des jarres par l’intermédiaire d’une baguette, magique !
Dans la nuit du 10 au 11 avril 1926, le clocher de l’église de la Dalbade s’effondrait, passant instantanément du statut de chef-d’œuvre architectural à celui de ruine archéologique, et détruisant, entre autres, la boulangerie des époux Denax. Ceux-ci furent retrouvés morts sous les décombres. Cette fois-ci, les baguettes n’ont pas fait de miracle. Du moins, pas pour tout le monde, si l’on considère que les enfants du couple s’en sont malgré tout sortis.
Bas-relief décorant l'entrée de la rue de la Boule, remploi qui ornait originellement la place du Pont-Neuf, photographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Boule au final, dernier remploi


mai 2021

La place du Pont-Neuf avait été dotée, au XVIIe siècle, de nombreuses sculptures soulignant son importance comme axe majeur de la ville au passage de la Garonne. Il n'en reste pratiquement rien. Une inscription en latin commémorant la venue de Louis XIV en 1659 est encore visible sur le côté méridional de la place mais, tout autour, de nombreux blocs de pierre, évidemment jadis ornés et par la suite impitoyablement effacés, ne montrent plus qu'une surface lisse. Attention : une plaque portant la traduction française de l'inscription latine ancienne n'est qu'un ajout datant de 1906.

Côté nord, on sait que la maison qui jouxtait le pont était particulièrement décorée mais la construction d'un large quai provoqua sa démolition en 1777. On en retira une statue de Christ, maintenant conservée au musée des Augustins avec une statue de la Vierge provenant de cette même place. De plus, une partie du décor fut jetée sans aucune considération dans les fondations du quai. En 1942, on en retrouva des vestiges en creusant une tranchée, notamment des blasons aux armes de Toulouse et des royaumes de France et de Navarre.

Enfin, un autre lot de sculptures fut transporté bien plus loin et utilisé en remploi sur le portail d'entrée de la rue de la Boule. Ce dernier ensemble était-il sauvé ? Pas tout à fait car on pensait déjà à le démolir dès 1824, ce à quoi s'opposa l'architecte de la ville, Jacques-Pascal Virebent. Mais après un long répit, on finit quand même par en détruire une partie en 1917, dont un buste de Louis XIV. Aujourd'hui, il n'en reste finalement qu'un bas-relief représentant des captifs enchaînés autour d'un écusson.

Torques à tampons gaulois découverts à Fenouillet et conservés au Musée Saint-Raymond à Toulouse, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi3863.

Beaucoup de tampons pour un canal…


avril 2021

Cette voie d'eau, c'est le canal latéral à la Garonne, prolongement tardif du canal du Midi, dont les travaux commencèrent en 1838. Partant de Toulouse, il atteignit Montech dès 1844, puis Agen en 1849 et enfin Castets-en-Dorthe en Gironde en 1856. On imagine bien la quantité de tampons sur des actes administratifs pour programmer un tel chantier. Et puis tous ceux des oblitérations sur les courriers qui ont circulé. Mais, comme si cela ne suffisait pas, il y en a eu d'autres…

Au début de l'année 1841, alors qu'on creuse sur le territoire de la commune de Fenouillet, la nouvelle de la trouvaille d'antiquités en or par l'un des travailleurs du canal parvient à Guillaume-Gaspard Belhomme, membre de la Société archéologique du Midi, qui se charge alors de les récupérer. Tout d'abord l'ouvrier semble lui remettre une quantité de pièces correspondant au nombre, qui était connu, des découvertes. Mais il s'avère qu'il a fragmenté certains objets pour en carotter une partie. Heureusement, son subterfuge est démasqué, et il cède enfin la totalité du lot. On constate ainsi qu'il s'agit d'un ensemble de torques gaulois, dits à tampons. En effet un renflement participant au dispositif de fermeture, appelé tampon, se trouve à chaque extrémité de la tige annulaire de ces colliers rigides et ouverts.
Ces magnifiques artefacts, qui faillirent en partie être oblitérés au grand public, sont de nos jours exposés au Musée Saint-Raymond de Toulouse. Louons Belhomme d'être allé au tampon… euh, au carton.

Planche photographique destinée à un article d'Henri Graillot sur les bustes de la villa romaine de Chiragan à Martres-Tolosane conservés au musée de Toulouse, vers 1897-1903. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 11Z462.

Ra ? - chou !


mars 2021

Les amateurs de sculpture ancienne peuvent aujourd'hui avoir accès aux collections des musées toulousains sur le Net. Que ce soit pour le musée Saint-Raymond ou pour le musée des Augustins, de nombreuses œuvres antiques, médiévales ou modernes nous sont ainsi présentées grâce à des photographies et des fiches descriptives. Elles sont bien entendu identifiées par leur numéro d'inventaire, souvent accompagné d'un mystérieux préfixe « Ra ». Qui veut dire ? « Référence abrégée » ? « Recensement achevé » ? « Registre ancien » ? …

Depuis leur constitution pendant la Révolution, les musées de Toulouse ont imprimé des catalogues à différentes époques. Et les numéros d'inventaire ont pu évoluer au gré de ces publications, pour la plupart disponibles en ligne. En les parcourant, on s'apercevra que la numérotation Ra correspond au Catalogue des collections de sculpture et d'épigraphie du Musée de Toulouse, édité en 1912 par un certain Henri Rachou qui fut directeur du musée des Augustins.
Et voilà donc l'explication de ce « Ra », tiré d'un Rachou dont le « chou » a chu.

Il existe dans le fonds de l'éditeur Privat conservé aux archives municipales une série de planches photographiques (11Z 462) apparemment destinée à illustrer un article resté inédit d'Henri Graillot, intitulé Les personnages gallo-romains de Martres-Tolosane. Cette publication des bustes trouvés dans la villa romaine dite de Chiragan et conservés à Toulouse était annoncée dès 1897 et encore en 1903, puis tomba finalement dans les choux. Elle devait être insérée dans le deuxième tome, jamais paru, de l'Album des monuments & de l'art ancien du Midi de la France. Ce projet enterré est manifestement anté-Ra puisque les légendes de ces planches n'utilisent pas la nomenclature du catalogue de 1912, mais des numéros d'inventaire que l'on trouve aussi dans une publication de Léon Joulin de 1901.

 
 
 
 
 
À gauche, un site de « Jetons des médailles ! » toulousain : l'écluse de l'embouchure vers 1956-1957, photographie, Jean Ribière, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 41Fi4 (détail). À droite, dessin des médailles jetées dans les fondations de l'écluse en 1667, extrait de la carte du canal du Midi publiée par Jean-Baptiste Nolin en 1697.

Jetons et médailles… Jetons des médailles !


février 2021

A la fin du Moyen Âge et à l'époque moderne, on a utilisé des jetons métalliques que l'on retrouve souvent sur les sites toulousains de fouilles archéologiques, comme la place Saint-Étienne en 1986-1987, la Cité judiciaire et le Muséum d'histoire naturelle dans les années 2000, ou la rue des Trente-Six-Ponts en 2014. Récemment, le service archéologique de Toulouse Métropole a découvert un exemplaire imitant l'agnel, monnaie d'or des 14e-15e siècles, au château de Balma (déjà présenté dans un précédent numéro d'Arcanes). En alliage cuivreux de peu de valeur (laiton), ils servaient fréquemment de jetons de compte ; des villes, comme Nuremberg, s'étaient spécialisées dans leur production. Certains de ces jetons célébraient un évènement, par exemple la construction du Pont-Neuf de Toulouse. Ils se rapprochaient ainsi des médailles, objets de meilleure qualité artistique et en matériau plus noble (bronze, argent ou or), bien que la différence soit quelquefois ténue.

A l'occasion de la pose des premières pierres de l'écluse de l'embouchure à Toulouse le 17 novembre 1667, extrémité occidentale du canal Royal (du Midi) permettant la liaison avec la Garonne, on fabriqua des médailles commémoratives largement distribuées pour assurer la renommée de cet événement. Néanmoins quelques-unes furent privées de publicité puisqu'elles ont été jetées, le jour même, dans les fondations. L'écluse n'est plus visible : inutilisée depuis l’ouverture d’un canal latéral à la Garonne en 1856, elle a été remblayée et couverte par une route en 1978. Mais ces médailles seront peut-être dans l'avenir très utiles. Un archéologue pourra les retrouver, offrant une explication et une datation des vestiges qu'il aura sous les yeux. Elles sont aussi très intéressantes, car on y a gravé sur le revers, avec la date, une vue de la ville de Toulouse prise du nord, depuis le site de l'embouchure (l'avers montrant un portrait de Louis XIV). Et les images de notre cité au 17e siècle ne sont pas si communes !

L'influence de Toulouse au Moyen Âge s'arrêtait au pied de ce mur. Château du Pas de Labarre en Ariège, photographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Confins toulousains : un pas dans la barre


janvier 2021

Le pouvoir des comtes toulousains dépassait, au Moyen Âge, largement les limites de la cité elle-même. Vers le sud, il s'étendait jusqu'au point appelé Pas de Labarre. Ce lieu-dit désigne un défilé où la rivière Ariège se fraye un passage, le pas, à travers un chaînon montagneux, la barre, à quatre kilomètres au nord de la ville de Foix.

Au XIIIe siècle, Raymond VII, comte de Toulouse, a revendiqué par deux fois que le comte de Foix, Roger-Bernard III en 1229 puis Roger IV en 1241, était son vassal jusqu'à cette limite. Plus au sud, le pays de Foix restait indépendant, ou sous l'influence des royautés et comtés espagnols. Et en 1263, la royauté française, qui avait pris en main le Toulousain, ne franchissait pas non plus cette frontière.

Pour marquer un emplacement aussi stratégique, on ne s'étonnera pas de la présence d'un ancien château, dont on peut encore voir les ruines. Longtemps abandonné, ce site est en pleine renaissance. Une association œuvre depuis peu pour sa valorisation et un circuit de balade a été créé. Des sondages et prospections archéologiques, ainsi que des recherches en archives, sont aussi en cours pour tenter d'éclaircir un peu plus son histoire.

Pire tiers de sou mérovingien de Toulouse publié par Alexandre Dumège dans la réédition du premier tome de l’Histoire générale de Languedoc, Toulouse, J.-B. Paya, 1840.

Sou, Pire


décembre 2020

Le sou. C’est la belle monnaie d’or, le solidus, qui servait d’étalon à la fin de l’Antiquité.
Le pire. C’est ce qu’il en advint plus tard, à l’époque mérovingienne, aux 6e-7e siècles de notre ère.

Tout d’abord, on produit alors préférentiellement, par économie, une fraction de cette monnaie : le tiers de sou ou trémissis. Ensuite, la qualité même de l’or utilisé se dégrade. Et surtout, la gravure est souvent négligée, montrant des figures et des légendes parfois incompréhensibles.
Ces monnaies portaient fréquemment le nom de la ville où elles étaient frappées. Le plus anciennement connu des exemplaires toulousains, légendés Tolosa, est mentionné en 1782 dans une lettre de l’abbé Bertrand au numismate Michelet d’Ennery, acquise récemment par les Archives municipales de Toulouse (1Z485) et déjà présentée dans Arcanes.

Un autre exemplaire se trouvait dans les mains du sculpteur François Lucas, avant de passer dans celles de l’avocat toulousain Fargues, du Tarnais Louis Médalle en 1829, puis de l’archéologue Alexandre Dumège et enfin du marquis de Castellane. On perd sa trace en 1840, mais Dumège nous en a laissé un dessin que nous présentons ici. Il témoigne de la difficulté qu’il a eue à déchiffrer cette monnaie, longtemps restée sans équivalent. Heureusement un trémissis analogue est récemment apparu et a permis de comprendre que ce qui avait été pris pour un personnage surmonté d’une auréole n’était probablement qu’une tête de profil aux cheveux hirsutes.

« Coup-de-poing » découvert à Balma et conservé dans les collections du Petit Séminaire de Pamiers, photographie Marc Comelongue, Service de l’Inventaire patrimonial et de l’Archéologie de Toulouse Métropole.

Gnon préhistorique


novembre 2020

Autour de Toulouse, les terrasses de la Garonne et de ses affluents recèlent de l’outillage taillé par nos ancêtres du Paléolithique inférieur dans du quartzite, du quartz ou du silex. Les plus belles pièces sont des bifaces pour lesquels on a longtemps utilisé l’expression « coup-de-poing », maintenant désuète.

Ces artefacts péri-toulousains furent connus très tôt, notamment grâce au comte Victor d’Adhémar qui publia ses récoltes dans les vallées de la Sausse et de la Ceillone dès 1868, dans la Revue archéologique du Midi de la France. Récoltes qui furent déposées au muséum d’histoire naturelle de Toulouse et au musée de Saint-Germain-en-Laye.

Cette publicité incita d’autres collectionneurs à s’en procurer et favorisa leur dispersion. Celui dont nous présentons le cliché avait été découvert à Balma, comme en témoigne une inscription à l’encre, et a rejoint les collections du Petit Séminaire de Pamiers, dans l’Ariège.

Représentation du couvent des religieuses des Cassès sur le plan manuscrit de Jouvain de Rochefort, 1678, Mairie de Toulouse, Archives municipales, FRAC31555_ii677 (extrait).

Beau coup de foudre, beaucoup de vent


octobre 2020

Pierre Barthès, dans ses Heures perdues dont le manuscrit se trouve à la bibliothèque municipale de Toulouse, a décrit la trajectoire d’un éclair survenu le 5 août 1747 à Toulouse. Traversant d’abord les façades sud et ouest de la tour de l’ancien couvent des dames des Cassès, il glissa sur un toit, entra dans une chambre dont il sortit en brisant la porte, descendit un escalier et finit sa course dans la bouche d’une pauvre malheureuse, évidemment estourbie sur-le-champ. Détail sinistre, celle-ci était enceinte, et sa grossesse suffisamment avancée pour qu’un médecin tente de sauver l’enfant par césarienne, malheureusement sans succès.


Les dames des Cassès étaient des religieuses Clarisses qui avaient fondé au 14e siècle une abbaye dans le village audois des Cassés. Une partie d’entre elles s’établirent un temps à Toulouse, entre les années 1650 et 1730, dans un couvent situé au port de Bidou, c’est-à-dire à l’emplacement de l’actuelle place Saint-Pierre. Balayé par l’aménagement des quais de Garonne au 18e siècle, il ne reste rien de ce monastère, sinon des représentations sur les plans anciens.


Dernièrement les monuments toulousains ont plutôt eu à souffrir des coups de vent. En 2003, le rempart moderne du boulevard Armand-Duportal fut renversé sur une quarantaine de mètres et, dans la nuit du 29 janvier 2019, une partie du rempart médiéval des Haut-Murats, allées Jules-Guesde, s’est écroulée. Apparemment la résistance au courant d’air n’est pas le point fort des fortifications anciennes de Toulouse.

Coffre en fer forgé du XVIIe siècle exposé au Musée Saint-Raymond dans les années 1930, anonyme, publié dans le Bulletin municipal de la ville de Toulouse de décembre 1934, Mairie de Toulouse, Archives municipales, PO1, décembre 1934, p. 1270 (détail).

Le coffre qui s'est fait la malle


septembre 2020
Les archives départementales de l'Hérault conservent, dans leur série C, une correspondance entre le contrôleur général des Finances, Michel-Robert Le Peletier des Forts, l'intendant du Languedoc, Louis-Basile de Bernage de Saint-Maurice, et son subdélégué, Joseph de Comynihan, concernant la recherche d'un trésor à Toulouse en 1727. En effet, sous l'Ancien Régime, la recherche d'objets précieux était apparemment soumise à l'accord des autorités, à l'instar des archéologues d'aujourd'hui qui doivent obtenir une autorisation de la direction régionale des Affaires culturelles avant de commencer une fouille. Le roi Louis XV lui-même fut d'ailleurs consulté sur cette demande !
On apprend ainsi qu'un certain Jean de Scorbiac pensait pouvoir faire une découverte intéressante dans le quartier toulousain du Bazacle, près du moulin. Il était sûr de lui, puisqu'il l'avait déchiffré dans les prophéties de Nostradamus et qu'il avait repéré l'endroit où creuser grâce à une baguette de sourcier… Il fit finalement une fouille au mois de juin 1727, mais n'en retira rien, sinon une drôle d'histoire. Ayant, soi-disant, bien repéré un coffre en fer avec une sonde, il vit la terre s'entrouvrir au moment où il allait le retirer et celui-ci glissa, s'enfouissant hors de portée… Le coffre, englouti, s'était donc fait la malle.
Ses interlocuteurs ne furent pas dupes et Jean de Scorbiac fut même qualifié de visionnaire, évidemment dans son sens péjoratif d'illuminé.
Ce coffre quasi découvert aurait pu ressembler à celui que nous présentons sur le cliché ci-contre, où nous voyons un exemplaire en fer forgé du XVII e siècle conservé par les musées de Toulouse.
Portail de l'hôtel des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Toulouse, négatif N&B, Jean Ribière, vers 1950-1970, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 41Fi280 (détail).

L'ordre laisse-t-il des traces ?


juillet-août 2020

Les ordres architecturaux antiques (dorique, ionique et corinthien) ont bien souvent semé leurs éléments caractéristiques, les chapiteaux. Mais les sculptures gallo-romaines de ce type sont rares à Toulouse. L'équipe du service de l'inventaire patrimonial et de l'archéologie de Toulouse Métropole a néanmoins repéré récemment un remarquable chapiteau corinthien conservé dans une arrière-cour. Mais a-t-il été découvert sur place ou bien est-ce un objet d'antiquité amené d'ailleurs par un collectionneur ?

Les ordres religieux médiévaux sont plus intimement liés à notre ville, ne serait-ce que par la toponymie. La place des Carmes doit son nom au couvent disparu qui occupait autrefois son emplacement. Et s'il y a une place et une rue de la Trinité, c'est bien parce que les Trinitaires s'étaient installés dans ce quartier.
Pour le mobilier, c'est plus compliqué. La Révolution a bien souvent effacé les signes évoquant la religion, notamment ceux sculptés sur pierre. Pourtant si vous cherchez l'ancien hôtel de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem dans la rue de la Dalbade, vous n'aurez pas de difficulté pour le retrouver. Au-dessus du portail d'entrée, une ancienne ferronnerie a été conservée et l'on y aperçoit une croix de Malte, emblème caractéristique de cet ordre à la fois religieux et militaire.

Le moulin du Château incendié en cours de démolition en 1942. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 16Fi1/48 et 16Fi1/49 (montage).

Notre blé part en fumée !


juin 2020
Non, dans cette froide matinée du 15 février 1940, ce n'est pas devant la succursale de la Banque de France que les Toulousains commentent le panache d'un incendie mais devant la minoterie du moulin du Château. Ce moulin à eau, implanté sur la Garonne depuis le Moyen Âge, n'en était d'ailleurs pas à sa première fumigation céréalière, puisqu'il avait déjà brûlé le 28 août 1883. Mais la flambée de 1940 allait lui être fatale. Non seulement il ne sera pas reconstruit et sera remplacé par le quai et les immeubles d'habitation de l'avenue Maurice Hauriou, mais son canal de fuite, petit bras du fleuve nommé la Garonnette, fut comblé. Tout le quartier de Tounis, dorénavant rattaché au continent toulousain, cessa ainsi d'être une île.
En complément de quelques photographies et gravures perpétuant son souvenir, les archéologues retrouvent parfois des traces de ce moulin du Château nommé ainsi à cause de sa proximité, relative, avec l'ancien Château Narbonnais qui défendait le sud de Toulouse. Vers 1970, c'est en implantant un collecteur d'égouts que l'on découvrit, entre autres artefacts, l'une de ses meules et des pieux ferrés qui avaient servi à asseoir ses fondations. Puis en 1984, des travaux effectués dans la Garonne permirent de retrouver des pièces de bois et du petit mobilier (poteries, monnaies). En effet, une partie de cet ancien moulin occupait un espace maintenant parcouru par le fleuve, car le nouveau quai construit sur son emplacement après sa disparition fut implanté en retrait de l'ancienne rive.
Décor du sarcophage découvert aux environs de Saint-Amans (Aude) en 1774, dessin Alexandre Dumège, gravure Jean-Joseph Jorand, 1832, extrait de l'Atlas de l'Archéologie Pyrénéenne.

Les pieds dans les rideaux


mai 2020
Les pieds les plus réputés de l'histoire de Toulouse sont assurément ceux de la Regina Pedauca, en français la reine aux pieds d'oie. Cette mythique et curieuse personnalité apparaît, dès 1478, sous la forme d'un toponyme dans le cadastre de la ville, puis sera citée par tous les historiens toulousains à partir du 16 e siècle. Jean de Chabanel, dans son ouvrage sur Notre-Dame de la Daurade en 1621, avait même pensé avoir retrouvé ces fameux pieds, représentés sur un tombeau alors visible dans ce monastère. Cette figuration fut même officiellement expertisée sous le contrôle des Capitouls, et confirmée, en 1718.
Les archéologues contemporains en sont revenus. Plusieurs sarcophages de l'Antiquité tardive conservés à Toulouse montrent des « pieds d'oie » : l'un de ceux que l'on peut voir dans l'enfeu des Comtes à Saint-Sernin, celui qui était à la Daurade maintenant transféré au musée Saint-Raymond et un autre aussi conservé au musée, récupéré en 1956 dans un jardin du quartier Saint-Cyprien. Mais quand on observe attentivement le décor de ce dernier, dont nous donnons l'illustration ci-contre, on réalise que ces prétendus pieds palmés ne sont en fait que de simples représentations de rideaux drapés…
On pourrait croire que ce sarcophage de Saint-Cyprien a une origine locale. Il n'en est rien. L'archéologue Alexandre Dumège l'avait repéré en 1826 et noté que Jean-François de Montégut l'avait déjà présenté à l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse dès 1774, dans un rapport manuscrit resté inédit. Ce dernier nous apprend que le sarcophage venait d'être découvert aux environs de Saint-Amans dans l'Aude. Un amateur d'antiquités l'aurait plus tard transporté à Toulouse.
Plan des enclos de fermes gauloises découverts sur le site de l'aérodrome Toulouse-Montaudran en 2013, Infographie N. Delsol et R. Dutech, Service archéologique de Toulouse Métropole.

De l’enclos à l’envol


avril 2020

L'une des recherches développées par les archéologues en Midi-Pyrénées, ces deux dernières décennies, est l'étude des fermes indigènes gauloises. Cela est dû à la découverte et à la fouille de plusieurs de ces structures dans le Tarn-et-Garonne (Réalville, Montalzat, Varen, Montbartier), le Tarn (Puylaurens, Castres) et la Haute-Garonne (Blagnac, Cornebarrieu, Martres-Tolosane). Plus que les bâtiments eux-mêmes de ces fermes, édifices en bois qui n'ont souvent laissé que de fugaces traces de trous de poteaux, ce sont surtout les vestiges des grands enclos quadrangulaires les entourant qui ont été conservés, d'autant mieux que leurs larges fossés avaient aussi servi de dépotoirs, notamment pour les immanquables amphores dont le contenu alcoolisé était si prisé des Gaulois.


Sur la commune de Toulouse, une fouille du Service archéologique de Toulouse Métropole, dirigée par Nicolas Delsol en 2013, a permis de retrouver non pas un mais, deux de ces enclos, très proches, dans le quartier de Montaudran. Après l'abandon de ces derniers et, semble-t-il, un laps de temps assez long, une piste d'aviation fut construite à cet endroit, qui fut le point de départ des premières liaisons aériennes entre la Gaule et l'Amérique du sud. En effet, c'était celle de la fameuse Aéropostale, dite C. G. A. (Compagnie Gauloise Aéropostale ?).

Extrait du plan d'arpentage du ramier de Virbes, plan aquarellé, auteur Deaddé, 1736, Mairie de Toulouse, Archives municipales, DD123/2.

Premier pont, dernière pile


mars 2020

Le plus ancien pont de Toulouse, connu dans les textes sous le nom de « Pont-Vieux », traversait la Garonne à une centaine de mètres en amont de l’actuel Pont-Neuf. Mentionné dès 1152 et réparé jusqu’en 1556, il n’apparaît plus sur les plans de la ville à partir du XVIIe siècle. En tout cas en entier, car les ruines de certaines de ses piles resteront visibles encore bien longtemps. La dernière, qui émergeait à une trentaine de mètres de la rive actuelle de la Prairie des Filtres, n’a été détruite qu’à la fin de l’année 1949. On l’appelait « Rocher de Callèbe », terme qui semble désigner le dispositif de bascule en bois qui y était anciennement implanté et que l’on peut voir, exceptionnellement, sur un plan d’arpentage de 1736 conservé aux archives municipales de Toulouse sous la cote DD123/2 (cette bascule apparaît aussi vers 1730 dans le Livre des vues et plans des villes de Bordeaux, Lanon, Toulouse, Montauban, du cour et des environs de la Garonne depuis Lormont au dessous de Bordeaux jusque au-dessus du Castel Leon dans la vallée Daran, par Jean Chaufourier et Hippolyte Matis, manuscrit rare passé récemment en salle des ventes). On y suspendait probablement la cage en fer, la « gabio », utilisée du XVIe au XVIIIe siècle pour le curieux supplice public qui consistait à plonger à plusieurs reprises dans le fleuve une personne condamnée. Ce pont se situait sur le trajet d’un aqueduc disparu qui traversait la Garonne au même endroit à l’époque romaine mais, contrairement à ce qui est souvent imprudemment avancé, rien n’indique, au vu des observations archéologiques les plus récentes, qu’il a réutilisé la structure de cet aqueduc, même en partie.

Extrait d'une photographie ancienne de la cour de l'hôtel Dumay, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi2773.

« TEMPORE ET DILIGENTIA »


février 2020

« Par le temps et l'application ». Ainsi peut-on traduire cette devise placée au-dessus d'une porte de la cour de l'hôtel Dumay à Toulouse.

C'est du latin, donc c'est romain ?
Non. On a aussi gravé des inscriptions latines sur des bâtiments à l'époque moderne. 
Et la plaque décorative de marbre rouge incrustée dans la façade, quelques mètres au-dessus de cette même porte, c'est antique ?
Toujours pas. Les architectes toulousains de la Renaissance n'ont pas attendu que l'on découvre, par hasard, un morceau de marbre romain qui aurait la bonne couleur et la bonne taille. Ils sont allés se servir en matériau brut directement dans les carrières.
Mais quelques archéologues ont pu être dupes. En 1782, Jean-François de Montégut croyait que les deux plaques « SVSTINE » et « ABSTINE » décorant l'entrée de l'hôtel Molinier, rue de la Dalbade, provenaient d'un temple romain. Mais cette hypothèse a été rapidement écartée par Alexandre Dumège au 19e siècle. 
J.-F. de Montégut avait aussi conjecturé que les marbres colorés, ornant la cour du célèbre Hôtel de pierre (aussi rue de la Dalbade), dataient de l'Antiquité. Cette spéculation a eu plus de réussite, puisqu'elle est encore, de nos jours, imprudemment répétée et présentée comme une vérité. Certes, on avait cru pouvoir s'appuyer sur le fait, rapporté par Guillaume de Catel, que des blocs romains, découverts dans la Garonne à l'occasion de la rupture d'une chaussée (probablement en 1613), avaient servi à la construction de l'hôtel de pierre. Mais les marbres antiques que l'on retrouve sont généralement communs, de couleur blanche ou grise, et on a pu les employer de façon moins ostensible dans les maçonneries.
Alors, pas d'antiquités sur les façades des vieux hôtels toulousains ? Mais si. Observez ci-contre une photographie ancienne de la porte de l'hôtel Dumay évoquée plus haut. Vous y apercevrez (difficilement derrière les glycines), juste au-dessus du linteau portant l'inscription latine, une tête encastrée. Eh bien, c'est celle d'une véritable statue romaine ! Depuis, elle a été descellée et se trouve maintenant conservée dans les locaux de l'hôtel, devenu le musée du Vieux-Toulouse.

Marmite grise « toulousaine » de la fin du Moyen Âge trouvée dans la vallée de la Sausse, photographie Marc Comelongue, Service de l'inventaire patrimonial et de l'archéologie de Toulouse Métropole, 2020.

Gris pots, derniers symptômes


janvier 2020
Les céramiques anciennes sont souvent caractérisées par la couleur de leur pâte. Cette dernière est rouge ou blanche dans le cas d'une cuisson oxydante, ou grise pour une cuisson réductrice, c'est-à-dire sans oxygène, contrairement à la première. Or, la fin du Moyen Âge, a vu un abandon de la cuisson réductrice pour favoriser les poteries de teinte claire qui domineront à l'époque moderne.
Dans notre région, quelques potiers ont néanmoins résisté un temps à cette évolution et l'on retrouve encore au 14 e siècle des productions "grises". Comme la "commingeoise", céramique d'aspect rugueux produite, on s'en douterait, dans le Comminges au sud de la Haute-Garonne, ou d'étonnantes marmites à anses coudées imitant un chaudron métallique en haute Ariège.
Toulouse a aussi eu sa poterie grise tardive, décorée de cordons ou de cannelures, mais surtout de bandes lissées donnant l'aspect d'un lustrage, certes incomplet, mais suffisamment décoratif. Son usage n'a pas été réservé aux contextes urbains et le service archéologique de Toulouse Métropole vient d'ailleurs de retrouver des marmites « toulousaines » de ce type, comme le montre le cliché ci-joint, sur un site rural de la vallée de la Sausse, à une quinzaine de kilomètres au nord-est de la ville rose.
Trompe d'appel figurant sur un sceau du XIIIe siècle, gravure de Louise-Magdeleine Horthemels publiée en 1745 dans le cinquième tome de l'Histoire générale de Languedoc.

Là las la, l'hallali


décembre 2019

Là, au fond d'un silo du Moyen Âge fouillé à Saint-Jory durant l'été 2017, le service archéologique de Toulouse Métropole découvre un fragment de tube en céramique grise de quelques centimètres de diamètre.
Las d'essayer de deviner la fonction de ce curieux tuyau (canalisation ? tuyère de four ?), l'on remarque qu'il est légèrement incurvé sur sa longueur et qu'il ne peut finalement s'agir que d'un instrument de musique.
La, ou do, ou ré, ou mi, c'est bien une note de musique, et non de l'eau ou de la fumée, qui sortait de cette trompe d'appel, appelée aussi corne ou cor. Mais à quelle occasion ?
L'hallali, bien souvent, car c'est à la chasse que l'on utilisait couramment cet ustensile. À moins que ce soit pour la garde des troupeaux, ou des châteaux.

Au musée Paul-Dupuy de Toulouse, vous pouvez admirer la version de luxe d'une trompe, c'est-à-dire un olifant fabriqué dans une matière beaucoup plus précieuse, l'ivoire.

Semelle de fondation des arc-boutants du chevet de la cathédrale de Toulouse, Août 2015, Photographie numérique, Nicolas Delsol, service archéologique de Toulouse Métropole

Je m’applique quand j’arc-boute


novembre 2019
Les cathédrales ont un statut particulier. Propriétés de l'État, surveillées par le service des Monuments historiques, étudiées par les historiens et les archéologues du bâti, elles sembleraient n'avoir plus rien à nous apprendre. On n'est pourtant pas à l'abri d'une surprise. Notamment lorsque le service archéologique de Toulouse Métropole a effectué des sondages au pied du chevet de la cathédrale Saint-Étienne, en août 2015. Est alors apparue une énorme structure maçonnée en briques, montrant un parement externe très soigné. Le premier réflexe fut d'évoquer les murs d'un bâtiment disparu, antérieur à l'église actuelle et enfoui par les siècles. Mais il fallut se rendre à l'évidence : il s'agissait là d'une semelle de fondation sur laquelle s'appuient les piliers des arc-boutants qui soutiennent la cathédrale. Elle était destinée à rester enterrée et invisible, mais les bâtisseurs avaient néanmoins pris la peine d'en parfaire l'aspect, autant que pour une maçonnerie extérieure. Son utilité est d'unir tous les arc-boutants par leur base pour empêcher que l'un d'entre eux bouge indépendamment des autres, ce qui entraînerait immanquablement un désordre dans les superstructures. Y avait-il danger ? Probablement. La cathédrale repose apparemment sur une couche de remblais peu stable. En 1914, lors de travaux de fondation sur le côté nord de l'édifice, il fallut creuser sur plus de six mètres de profondeur avant de trouver un sol géologique ferme.
Épandage de fragments d'amphores dans le quartier Saint-Roch à Toulouse, janvier 2018, photographie Maïténa Sohn, Service de l'Inventaire patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole

Trop - Tri - Trou


octobre 2019
Les archéologues ont l'habitude de trier. Sur le terrain, on passe quelquefois les sédiments au tamis pour récupérer les artefacts les plus petits, comme les éclats de silex sur les sites préhistoriques. Un tri peut être aussi effectué plus tard, en laboratoire. Ce sera le cas pour des prélèvements recueillis par le service archéologique de Toulouse Métropole dans des silos médiévaux actuellement en cours de fouille. On y recherchera des restes de végétaux (charbons, graines ou pollens). 
L'écrémage peut parfois porter sur des objets plus grands. Le quartier Saint-Roch à Toulouse a connu une importante occupation à la fin de l'âge du Fer. Et l'une des occupations favorites de ces chers Gaulois était d'importer des amphores (par milliers), de les vider de leur contenu (essentiellement du vin), puis de les casser sur place ( a priori, elles n'étaient pas consignées), créant ainsi d'immenses épandages de tessons dans tout ce secteur.
Lors de fouilles à la caserne Niel en 2009-2011, ce sont près de 900 000 fragments d'amphores qui ont été retrouvés pour un poids approchant les 98 tonnes. Chacun d'eux a bien sûr été comptabilisé et étudié. Mais était-il utile de tous les conserver dans une réserve muséographique, emballés et étiquetés individuellement, alors que les amphores sont des productions de masse standardisées ? La réponse fut négative. Après avoir trié et gardé les éléments les plus distinctifs (bords de lèvre, parties estampillées), les morceaux les plus communs ont été rassemblés (plus de 700 000) et « réinhumés » dans un même trou sur le site de leur découverte. Ainsi a été créée dans la banlieue toulousaine une réserve dans laquelle l'on pourra venir puiser si l'humanité se trouve un jour à court de matériel amphorique…
Sceau en plomb au nom du pape Honorius retrouvé à Toulouse, rue des Couteliers, en 1984. Infographie Marc Comelongue, service de l'Inventaire patrimonial et de l'archéologie de Toulouse Métropole.

So archéo


septembre 2019
Au Moyen Âge, les documents écrits étaient souvent authentifiés par des sceaux. Mais il est improbable d'en retrouver lors d'une fouille archéologique. La cire qui les constituait, pas plus que les parchemins auxquels ils étaient appendus, ne résiste à un séjour sous terre. Il existe cependant une exception : les sceaux des papes, qui sont beaucoup plus résistants car réalisés en plomb.
A Toulouse, lors d'une intervention dans la rue des Couteliers en 1984, l'archéologue Georges Baccrabère a exploré quelques fosses-dépotoirs contenant de nombreux artefacts. Parmi ceux-ci, il trouva un sceau en plomb au nom d'un pape Honorius. Mais lequel ? Son « numéro » n'étant plus lisible à cause d'une cassure, on a malgré tout supposé qu'il s'agit du quatrième de ce nom (1285-1287), d'après son style. Rappelons d'ailleurs que G. Baccrabère était abbé. Cela lui donnait-il une sensibilité particulière pour découvrir un objet émanant de la papauté ?
On a aussi utilisé, aux époques moderne et contemporaine, des sceaux en plomb pour sceller des sacs de marchandise après leur contrôle ou l'acquittement d'une taxe. En 1993, à l'occasion de travaux sur la route reliant Foix à la Bastide-de-Sérou dans l'Ariège, une grotte, dite d'Esquiranes, fut sondée. On y retrouva l'un de ces plombs. Sur une face, une aigle impériale indiquait son utilisation à l'époque napoléonienne. Sur l'autre, on pouvait lire le nom de la ville où l'on avait effectué la vérification du sac : Toulouse. Ensuite, on peut se douter que cette petite cavité n'était pas la destination prévue du colis, et suspecter un probable détournement vers cette cachette.
Plan de la Ville de Toulouse et de ses environs levé l'an MDCCL par Joseph-Marie de Saget, Ville de Toulouse, Archives municipales, II 737 (extrait).

Une tuerie…


juillet 2019
Quels sont les endroits qui ont vu couler le plus de sang dans l'histoire de Toulouse ? Les lieux de combat : siège de 1218 où Simon de Montfort trouva la mort, conflit de 1562 entre protestants et catholiques, bataille de 1814 entre armée impériale et coalisés anglo-hispaniques ? Ou bien les lieux d'exécution comme la place Saint-Georges ? Si l'on cesse tout anthropocentrisme, on prendra conscience que ce sont les abattoirs. Les plus connus des Toulousains sont ceux construits vers 1825, aujourd'hui transformés en musée d'art moderne et contemporain. Auparavant, on voyait au milieu de l'actuel port Viguerie, en bord de Garonne près de l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques, un bâtiment que le cadastre révolutionnaire de Grandvoinet appelle « affachoir », terme ancien équivalent à abattoir des bœufs. Et le plan de Joseph-Marie de Saget de 1750, que nous présentons ici, le montre, sous le nom de « tueries », dans un environnement différent, car le port en hémicycle n'était pas encore construit. En 2015, le Service archéologique de Toulouse Métropole effectua un diagnostic en ce lieu sous la direction de Vincent Buccio. Mais le hasard de l'implantation des sondages exploratoires fit que l'on ne retrouva pas de vestiges de l'abattoir des bœufs, mais ceux du cimetière de l'hôpital et d'une maison qui le jouxtaient directement au XVIII e siècle. A noter que vous trouverez un dossier documentaire sur les affachoirs toulousains dans la rubrique «  Dans les bas-fonds » des Archives municipales ( n° 22 d'octobre 2017).
Boulets de la bataille de Toulouse de 1814 autrefois conservés au musée Saint-Raymond, Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi3979 (extrait).

Objets archéologiques (anciennement) en vol


juin 2019
L'une des branches de l'archéologie qui se développe le plus ces dernières années est celle qui concerne les conflits contemporains. Et parmi les vestiges archéologiques les plus emblématiques de cette thématique, on trouve tout ce qui a pu décrire une trajectoire aérienne dans le but d'aller écharper la partie adverse : les projectiles (balle, boulet, bombe, missile...), voire les avions qui ont pu les transporter.
La première bataille contemporaine à Toulouse fut celle du 10 avril 1814 contre les troupes anglo-hispaniques de Wellington. C'est ainsi qu'on retrouve quelquefois des boulets comme ceux que l'on aperçoit sur la photographie que nous présentons, autrefois conservés au musée Saint-Raymond. L'un d'eux avait été découvert en 1892 au chemin de la Juncasse, l'actuelle avenue de la Colonne.
Lors du dernier conflit mondial, ce furent surtout quelques rares bombardements aériens en 1944 qui ont marqué notre ville. Les archives municipales conservent d'ailleurs des clichés très impressionnants, pris dans l'action ( 31Fi2 et 31Fi4). Quelquefois l'avion était abattu et prenait alors la même trajectoire que les bombes qu'il était venu larguer… C'est ainsi qu'en 2011, on retrouvait sous l'avenue Saint-Exupéry le moteur d'un bombardier anglais Avro Lancaster, descendu dans la nuit du 5 au 6 avril 1944 alors qu'il attaquait la piste d'aviation de Montaudran.
Pont de Bois, dit pont de Pigasse. Plan de construction dressé par l'architecte Souffron, 1612, Ville de Toulouse, Archives municipales, DD213/1 (détail).

Un pont de bois taillé à la pigasse


mai 2019
Les Toulousains savent que le Pont de Tounis, reliant à la ville l'ex-île du même nom en enjambant la "Garonnette", ancien bras maintenant asséché de la Garonne, est le plus ancien encore conservé à Toulouse. Sa structure date des années 1510. Or, il a existé un autre pont traversant cette "petite Garonne" plus en aval, à l'endroit où celle-ci débouche dans la Garonne sous le quai de Tounis. Construit en 1612 (ou peut-être reconstruit, car il semble déjà représenté sur la vue de Toulouse qui orne la "Mécométrie de Leymant" de Guillaume de Nautonier publiée en 1603), il reprenait le tracé d'un ancien pont médiéval connu sous le nom de Pont-Vieux. Cette structure nouvelle fut dénommée Pont de la Halle (la Halle aux poissons était toute proche) ou plus simplement Pont de Bois. En effet, comme nous pouvons le voir sur le plan ci-joint, son armature était en charpente, à part un pilier maçonné du pont précédent qui, pendant un temps, fut aussi utilisé pour le soutenir. Plusieurs fois réparé, voire entièrement refait, il fut définitivement démoli en 1767. À cette époque, il s'appelait Pont de Pigasse. En occitan, une "pigasse" désigne une hache, outil tout indiqué pour construire une structure en bois, mais on s'explique mal ce changement de nom assez mystérieux. Il faut noter qu'on construisit encore au même endroit, en 1829-1830, un pont, cette fois-ci suspendu mais éphémère, car détruit vers 1854 pour faire place à un nouveau quai.
Astrolabes du Musée de Toulouse, anonyme, publié dans le Bulletin Municipal de la Ville de Toulouse d'octobre 1939. Ville de Toulouse, Archives municipales, PO1/1939/10, p. 605 (extrait).

Vieux cieux


avril 2019
Au Moyen Âge, on se servait d'un astrolabe pour calculer la position des astres dans le ciel, et le musée Paul-Dupuy de Toulouse a la chance d'en posséder un de cette époque. Les textes en langue arabe qui y sont gravés nous apprennent qu'il a été fabriqué au Maroc par Abu Bekr ibn Yusuf, l'an 613 de l'hégire, c'est-à-dire en 1216-1217 de l'ère chrétienne. L'état parfait de cet instrument en cuivre indique qu'il n'a certainement pas été retrouvé lors d'une fouille archéologique, mais qu'il est passé de main en main, d'astronomes ou d'astrologues, au fil des siècles. Son plus ancien propriétaire connu est l'abbé Vidalat Tornier, qui habitait à Mirepoix, dans l'Ariège. En 1834, il donna cet astrolabe à la Société archéologique du Midi de la France, qui elle-même le vendit au musée de Toulouse en 1893. Comme Vidalat Tornier connaissait bien l'astronome Jacques Vidal, lui aussi originaire de Mirepoix, où il décéda en 1819, certains ont avancé que l'instrument aurait appartenu auparavant à ce dernier (alors que Vidalat Tornier ne le dit jamais dans ses échanges avec la Société archéologique). Hypothèse qui devint vérité à force d'être répétée. Tout comme la supposition qu'il avait appartenu plus tôt aux dominicains de Toulouse…
Sur la photographie que nous présentons, publiée en 1939, l'astrolabe médiéval est en haut à droite. L'autre astrolabe, beaucoup plus grand, qui se trouve à gauche, est plus récent (1579) mais a le même pedigree : propriété de l'abbé Vidalat Tornier, don à la Société archéologique du Midi, puis vente au musée de Toulouse. Il paraît aussi qu'il aurait appartenu à l'astronome Vidal. Il paraît… En revanche, il fut bien la propriété du couvent des dominicains de Toulouse. Leur marque de propriété est bien gravée dessus.
Chantier archéologique de l'« âge des TUC », Fouille du parking Saint-Étienne en 1986 à Toulouse, Emile Godefroy, Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi1903

L’archéologie forme la jeunesse...


mars 2019
Qu'est-ce qui a marqué (vu de notre rubrique) la science française à la fin du XX e siècle ? Nous dirons le développement de l'archéologie préventive, qui a su intégrer l'étude préalable des vestiges anciens dans les projets d'aménagement. Concrétisé par une loi de 2001, ce concept est réputé né en France dès 1982 à l'occasion des fouilles du Grand Louvre à Paris. Et qu'est-ce qui a marqué la société à la même époque ? On pourrait dire, entre autres, la progression du chômage dans la jeunesse que les multiples dispositifs « emplois-jeunes » mis en place depuis 1977 (CES, CIP, CPE, CUI…) ont essayé de ralentir. 
À Toulouse, ces deux évolutions se sont croisées en 1986-1987 lors des recherches faites à l'emplacement du futur parking Saint-Étienne, première fouille préventive d'envergure effectuée dans notre ville. Nous étions alors à l'« âge des TUC », travaux d'utilité collective. En effet, pour épauler les quelques archéologues professionnels présents sur ce chantier, une dizaine de jeunes « TUCistes » avaient été engagés en renfort à cette occasion. Que sont-ils devenus ?
Ancienne tour de la fondaison du suif, Cadastre Grandvoinet, 1788-1821, Ville de Toulouse, Archives municipales, 1G18/29 (extrait).

Mort de suif


février 2019
Jusqu'au XVIIIe siècle, l'éclairage était souvent assuré par des chandelles, mèches entourées de suif provenant de graisses animales. Or, sa fabrication provoquait non seulement de mauvaises odeurs, mais aussi de sérieux risques d'incendie. C'est pourquoi on avait essayé, à Toulouse, aux XVII e et XVIII e siècles, de confiner cette activité dans un bâtiment un peu à l'écart des habitations, en l'occurrence l'une des tours des fortifications séparée de la ville par un boulevard intérieur appelé les « escoussières ». Cette « tour de la fondaison du suif », démolie vers 1818, est encore visible sur le cadastre révolutionnaire dit Grandvoinet (voir illustration) et se situait au milieu de l'actuelle rue du Rempart Saint-Étienne. Sa structure polygonale était d'origine gallo-romaine, comme l'a confirmé une fouille effectuée en 1963 par l'abbé Baccrabère.
Le risque d'incendie était bien réel. En 1779, de la matière graisseuse, récupérée sur des peaux traitées par un artisan et mise à bouillir sans surveillance dans un chaudron, provoqua la destruction de plusieurs maisons de la rue des Blanchers. Étonnamment, le sieur Descars, seule victime de ce sinistre, n'a pas péri directement par le feu. N'arrivant pas à retrouver l'argent caché dans sa maison en proie aux flammes, il fut foudroyé, désespéré, par une attaque. Sa femme était passée avant lui et avait déjà mis le magot à l'abri… mais il l'ignorait.
Jeton de compte imitant un agnel d'or des XIVe-XVe siècles découvert à Balma, infographie Marc Comelongue, Service de l'Inventaire patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole.

Un mouton, deux moutons, trois moutons…


janvier 2019
Si les archéologues sont généralement familiers avec la notion de comptoir, c'est surtout en dehors des heures de boulot… Ils en trouvent rarement au fond de leurs sondages. Revenons donc à la définition de comptoir. Qu'y fait-on ? On y compte. Au Moyen Âge, on utilisait des jetons pour cela, qui imitaient souvent des monnaies officielles. Mais ils étaient beaucoup plus fins et légers, et ne contenaient que peu de métal noble, généralement du cuivre pour former un alliage de type laiton. Un de ces jetons a été retrouvé récemment sur le site de l'ancien château de Balma, lors d'un diagnostic du Service archéologique de Toulouse Métropole, dirigé par Guillaume Verrier. Dans l'image qui accompagne ce texte, vous pourrez apprécier l'une des caractéristiques des jetons découverts en fouille : à cause de leur constitution, ils sont souvent en très mauvais état. Celui de Balma est une imitation de l'agnel d'or, monnaie frappée en France aux XIVe et XVe siècles. Ce nom vient de l'agneau pascal gravé sur l'une des faces : tourné vers la gauche, il relève la tête en arrière vers une croix ornée d'un étendard plantée derrière son dos. Difficile d'apprécier cette scène sur un jeton abîmé, mais pourtant l'agneau est presque toujours discernable car son corps est figuré par des globules imitant les boucles d'une toison. Ensuite, on peut s'interroger s'il était pertinent d'utiliser des représentations de moutons pour compter…
Orifices de pots acoustiques visibles, au-dessus de l'orgue, dans la voûte de l'église de la Dalbade à Toulouse, 2018, photographie Marc Comelongue, Atelier du Patrimoine et du Renouvellement urbain.

Paléo-écho


décembre 2018
Les archéologues du futur trouveront peut-être, à l'emplacement d'un studio d'enregistrement de la banlieue toulousaine, les vestiges d'un microphone ou, mieux encore, d'une bande magnétique où quelques particules encore aimantées permettront, par exemple, de découvrir la voix lancinante d'une chanteuse de doom métal du début du XXI e siècle. Qu'en concluront-ils ? Que nous étions tous occultistes ? Ou que la jeunesse d'alors était bien désespérée ?
Les archéologues d'aujourd'hui retrouvent quelquefois des artefacts ayant trait à la musique. Cela va de modestes trompes d'appel médiévales en céramique à la magnifique coupe romaine en verre représentant des lyres retrouvées lors de la fouille de la station de métro François-Verdier à Toulouse en 2002-2003. Mais des vestiges liés à la voix ? Eh bien, il en existe : ce sont les pots acoustiques. Ces poteries ventrues, mais à ouverture étroite, sont méconnues car elles sont quasi-invisibles, prises dans la maçonnerie des voûtes des églises médiévales. Elles y agissent comme des petites caisses de résonance qui amplifient le son. À Toulouse, en levant les yeux et en regardant bien attentivement (car leur orifice est vraiment petit), vous pourrez en découvrir dans la cathédrale Saint-Étienne ou dans les églises des Jacobins, du Taur ou de la Dalbade. Dans cette dernière, elles ne sont d'ailleurs présentes que sur une partie de la voûte, car cette dernière a été en partie détruite puis reconstruite, mais cette fois-ci sans pots à écho, à la suite de l'effondrement du clocher en 1926. Cela fait donc de la Dalbade, à l'instar de certaines guitares, une église semi-acoustique…
Plaque commémorative datée de 1712 encore en place au moment de la démolition du moulin du Château narbonnais, cliché direction des Travaux publics, 5 mai 1942, Ville de Toulouse, Archives municipales, 1Fi938

Pain de Garonne


octobre 2018

Pour avoir du pain, il faut de la farine. Pour avoir de la farine, il faut du blé. Mais surtout il faut pouvoir le moudre. À Toulouse, cette tâche fut essentiellement assurée pendant des siècles par deux grands moulins à eau installés sur la Garonne, celui du Château narbonnais au sud de la ville et celui du Bazacle au nord. Mais les inondations du fleuve provoquaient souvent des dégâts durables et ces deux usines pouvaient alors être indisponibles au même moment. C'est ce qui arriva par exemple en 1712, poussant la ville au bord de la disette. En effet, il existait peu de solutions de remplacement. Les quelques moulins à eau installés sur la rivière de l'Hers, à l'est de Toulouse, ou sur le canal du Midi, ne suffisaient pas à compenser la production. De plus, il y avait étonnamment peu de moulins à vent autour de la ville, pourtant pays de vent d'autan. Les plus proches étaient les moulins jumeaux disparus de Pouvourville que je vous invite à découvrir dans l'arrière-plan d'un tableau exposé au musée du Vieux-Toulouse.

La sensibilité des Toulousains à ce type d'événement les avait incités à installer un espace « commémoratif » sur la façade du moulin du Château narbonnais. On pouvait y voir, jusqu'à sa démolition en 1942, des petites plaques indiquant la hauteur atteinte par la Garonne lors de ses débordements les plus importants ainsi que trois longs textes gravés, récupérés sur des bâtiments antérieurs, rappelant des épisodes de destruction-reconstruction en 1680, 1714 ou 1712, comme nous l'avons évoqué. L'une d'elle est conservée au musée des Augustins de Toulouse mais les autres semblent avoir disparu. Heureusement, les Archives municipales en conservent plusieurs photographies.

Voûtes de l'église de Saint-Etienne à Toulouse en 1833. Adrien Dauzats (dessinateur) et Godefroy Engelmann (lithographe) - Ville de Toulouse, Archives municipales, 38Fi10/3 (détail).

L’archéologie, c’est extra[do]


septembre 2018

Pour ce numéro d'Arcanes, il fallait donc dénicher du [do] dans l'archéologie toulousaine… En passant devant la cathédrale Saint-Étienne, nous avons pensé que seule une intervention divine pourrait résoudre cette question. Une fois franchi le portail, nous avons levé les yeux au ciel avant d'esquisser une prière et… la solution était là. Et même deux solutions, puisque la voûte d'une église possède un intra[dos] et un extra[dos]. Les archéologues s'intéressent surtout aux intrados, parties les plus visibles et souvent agrémentées de décors propices aux commentaires. Bizarrement, à Saint-Étienne, l'info est sur l'extrados.

En effet, un article paru dans le journal La France Méridionale en novembre 1844 nous apprend que des ouvriers travaillant dans les combles de l'église, au-dessus des voûtes, venaient d'y découvrir des vestiges de squelettes d'enfants morts à la naissance.
Ainsi, à une époque reculée, avait-on solutionné le délicat problème de l'enterrement des enfants décédés avant d'être baptisés et qui ne pouvaient pas être ensevelis, d'après le dogme, dans un cimetière sanctifié. La voûte d'une église comme dernière demeure avait alors paru une solution préférable, plus « sainte » qu'une terre non bénite.

Musée Saint-Raymond. Inscription de dédicace funéraire : "Cupitus, fils de Tolosanus, à Tolosanus son père, à Cornelia Domestica, sa mère, à Iulia Graphis, sa soeur, à lui-même, au siens et à leur descendants". Ier ou IIe s.après J.-C. Découverte à Toulouse en 1776-1777 et conservée au Musée Saint-Raymond sous le numéro d'inventaire 31013. Jacques Gloriès - Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi3922.

Toulousain en capitale


juillet - août 2018

En cette année 2018, il serait bon de rappeler que nous pouvons fêter un 1600e anniversaire : celui de la fondation du royaume wisigothique en Europe occidentale dont Toulouse fut la première capitale dès 418. Et ce jusqu'en 508, date où les Francs obligèrent les Wisigoths à se retirer dans la région de Narbonne et en Espagne. Mais il ne nous reste presque rien de cet épisode tolosano-royal.

Nous chercherons donc la capitale dans d'autres témoignages anciens : les inscriptions romaines qui utilisaient cette forme graphique plutôt que la minuscule. Mais ce n'est guère plus facile. Les découvertes d'exemplaires d'épigraphie antique sont étonnamment rares à Toulouse. A croire que le moindre bout de marbre ou de calcaire ancien a finalement été recyclé pour fabriquer de la chaux dans un four tel que celui qui est présenté, après sa mise au jour lors de fouilles archéologiques, dans la cave du musée Saint-Raymond.

Mais ce musée conserve néanmoins un cippe funéraire inscrit, dont nous présentons la photographie, découvert vers 1776-1777 au sud de la ville, aux alentours de la chapelle Saint-Roch. Ce monument avait été élevé par un certain CVPITVS pour honorer sa famille, et notamment son père TOLOSANVS dont on peut très aisément deviner l'origine. Difficile d'être plus explicitement toulousain.

Sépulture découverte lors d'un diagnostic archéologique en 2013 dans le Nord toulousain, Photographie Vincent Buccio, Service archéologique de Toulouse Métropole.

Chouette ! Pas de bol…


juin 2018
Nous avons l'habitude de voir les archéologues fouiller minutieusement avec une truelle, voire des outils de dentiste. C'est le cas quand ils sont en terrain connu où ils sont sûrs de la présence de vestiges. Mais l'activité archéologique actuelle, dite préventive, consiste souvent à sonder des espaces inexplorés dont on ignore à priori s'ils recèlent ou pas une occupation ancienne. Cette recherche à grande échelle nécessite des outils adaptés pour ne pas perdre un temps démesuré dans l'évacuation des couches stériles et c'est ordinairement une pelle mécanique qui est utilisée pour creuser par tranches successives de quelques centimètres. Dans cette situation, le moment de la découverte est habituellement un curieux mélange de joie et de frustration que tous les archéologues doivent apprendre à gérer. En effet, généralement, le coup de godet révélateur s'ensuit instantanément d'un « Quelle chance ! J'ai trouvé quelque chose ! », suivit immédiatement d'un « Quelle malchance ! Je l'ai quand même bien bousillé. ».
Ceci est surtout vrai lors de la découverte de nécropoles. Vous n'aurez aucun mal à deviner quel est le premier squelette découvert, reconnaissable par un stigmate bien particulier : le syndrome du « demi-crâne » dont la partie supérieure a été immanquablement emportée par le dernier coup de godet avant le passage à la fouille fine… Cette règle, intangible, s'est encore vérifiée, comme le montre la photo ci-jointe, lors d'un diagnostic effectué par le Service archéologique de Toulouse Métropole en 2013  dans le Nord toulousain.
Ce genre de péripétie reste heureusement dans la plupart des cas sans grande conséquence scientifique. Par contre le découvreur de la célèbre Vénus de Lespugue, qui a transformé instantanément, d'un coup de pioche, ce chef-d'œuvre de l'art préhistorique en puzzle d'ivoire lors de sa découverte en 1922, a du faire des cauchemars pendant bien longtemps.
Blason à l'abeille de François-Joseph Cormouls, capitoul en 1724-1725, Extrait des Annales manuscrites de la ville de Toulouse, 11e livre des Histoires, 1713 - 1760, Archives municipales de Toulouse, BB283.

Hypoglycémie archéologique


mai 2018

Les participants à la première croisade en Orient s'implantèrent durant le 12e siècle dans des contrées syriennes productrices de canne à sucre et purent alors exporter son produit dérivé en Occident jusqu'à la reprise de Jérusalem par Saladin en 1187. Ceci est particulièrement possible pour Toulouse qui eût un rapport privilégié avec ces événements à travers le fils du comte de Toulouse Raymond IV, Bertrand, qui fut, avec ses descendants, comte de Tripoli durant cette période. Mais aucun archéologue ne retrouvera trace de ce sucre qui était d'ailleurs plus utilisé pour la pharmacie que pour l'alimentation : mission insoluble pour un produit trop soluble.

L'aliment sucré consommé chez nous fut surtout le miel. Alors combien de ruches découvertes sur des sites archéologiques de la région ? Aucune et il sera bien difficile de retrouver des vestiges de ce qui n'était en général qu'un simple tronc de bois évidé. Tout aussi exceptionnel serait aussi de retrouver le corps d'une abeille carbonisée, comme ce fut le cas sur un site étrusque en Italie. Pourtant des abeilles « archéologiques » sont célèbres telles les 300 exemplaires en forme d'applique vestimentaire, en or cloisonné de grenats, découverts en 1653 à Tournai dans la tombe de Childéric Ier, père de Clovis. Récupérées par Louis XIV (mais il n'en reste plus que deux dans les collections de la Bibliothèque nationale après un vol en 1831), elles devinrent si symboliques de la dynastie royale mérovingienne que Napoléon repris cet emblème à son compte.

A Toulouse, on connaît un capitoul qui portait une abeille sur son blason, par chance encore visible sur l'une des quelques miniatures des livres des Annales capitulaires rescapées des destructions révolutionnaires : François-Joseph Cormouls, élu en 1724-1725 (BB283, vue 128). Le choix de ce motif est-il lié à ce nom de famille dont l'étymologie renvoie au cormier, arbre éminemment butinable ?

Carte du ciel du 13e siècle, basilique Saint-Sernin de Toulouse, 2009. Jean-François Peiré, DRAC Occitanie.

Le ciel et l'amer


avril 2018

Demandez à un archéologue ce qu'évoque pour lui le terme « amer », il vous répondra très probablement « bière »... Mais cette boisson, déjà fabriquée par les Gaulois, a-t-elle laissé des traces archéologiques ? En fait, il semble que l'on peut associer à sa fabrication de grandes jarres, souvent munies d'un trou de soutirage, et des vases de ce genre ont bien été retrouvés dans la région toulousaine sur des habitats de la fin de l'âge du Fer. Mais malheureusement les parois de ces poteries ont été soumises à une analyse chimique qui n'a décelé aucune trace de boisson fermentée. Résultat : au revoir la piste d'une bibine celtique locale…

Mais « l'amer » a un sens plus méconnu : celui d'un repère utile à la navigation. On peut penser que dès le Moyen Âge le clocher de la basilique Saint-Sernin fut pour Toulouse l'élément du paysage urbain le plus visible, mais de là à imaginer que les bateliers qui descendaient la Garonne, ou plus tard parcouraient le canal du Midi, s'en sont servi comme phare… Le repère n'est peut-être pas là où on le cherche et il ne faut pas regarder l'extérieur de Saint-Sernin mais plutôt parcourir ses entrailles. Et dans une galerie un peu cachée, on aura la surprise de découvrir, dessinées sur un mur depuis le 13e siècle, deux cartes du ciel qui ont permis à des astronomes médiévaux de repérer les planètes avec le soleil en guise d'étoile d'amer...

Musée Saint-Raymond. Plaque-boucle découverte lors des fouilles de la station de métro Esquirol en 1990-1991. Jacques Gloriès - Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi3796.

Garnie ceinture


mars 2018

Les invasions barbares en Gaule à la fin de l'Antiquité ont amené l'adoption généralisée d'un accessoire vestimentaire particulier : la plaque-boucle, c'est-à-dire une boucle de ceinture agrémentée d'une plaque décorative. Cette décoration s'est traduite par une fleuraison de styles ethniques ou régionaux. Les burgondes, installés dans l'actuelle Bourgogne, portaient souvent des plaques ajourées dessinant une croix encadrée par deux griffons tandis qu'en Aquitaine on en étamait la surface : on pouvait ainsi croire qu'elles étaient en argent alors qu'elles étaient fabriquées en bronze.
Les wisigoths qui ont occupé Toulouse au 5e siècle affectionnaient particulièrement les plaques-boucles « garnies », c'est-à-dire avec une surface cloisonnée où on incluait, suivant ses moyens, des grenats ou des verroteries. C'est d'ailleurs un objet de ce type qui a été découvert en 1990-1991 lors des fouilles de la station de métro Esquirol, rare témoin du royaume wisigoth de Toulouse conservé maintenant au musée Saint-Raymond.

Statue antique, conservée au Musée Saint-Raymond de Toulouse, ayant contracté une jaunisse après sa découverte sur le site de Chiragan à Martres-Tolosane au 19e siècle. Photographie Jean-François Peiré - Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi3871.

Cure de rajaunissement


février 2018

Les archivistes sont évidemment confrontés au jaunissement, altération normale du papier composant les documents qu'ils conservent. Les archéologues, beaucoup moins. Peu d'objets enterrés anciennement virent au jaune. Ceux qui le sont à l'origine conservent leur couleur s'ils sont en or, matériau inaltérable. Mais s'ils sont en alliage cuivreux leur éclat doré est passé au vert à cause de l'oxydation. Cependant si vous visitez l'exposition permanente ou les réserves du Musée Saint-Raymond de Toulouse vous remarquerez que certaines sculptures antiques sont visiblement atteintes de jaunisse. Alors que s'est-il passé ?

Découvertes pour la plupart au cours du 19e siècle, leur séjour en terre les avait souvent couvertes de concrétions calcaires que l'on jugea alors opportun de nettoyer. Mais les techniques de restauration étant à cette époque moins maîtrisées qu'aujourd'hui, on utilisa un peu hasardeusement de l'acide qui a bien dissous les concrétions qu'on voulait éliminer mais qui a malheureusement aussi quelquefois fait virer le marbre clair, dans lequel elles étaient taillées, au jaune, voire au roux. En voulant rajeunir, on a finalement rajauni…

Monnaie d'Herennius Etruscus (250-251) représentant Mercure tenant une bourse et un caducée, publiée dans Henry Cohen, Description historique des Monnaies frappées sous l'Empire romain, 1885.

Il y a des jours où on a envie de la faire…


janvier 2018

… sa valise. Je m'explique. Cette rubrique est censée traiter de l'archéologie toulousaine en suivant le thème du mois, cette fois-ci « valise ». J'avoue être resté hermétique à ce mot et, sans demander l'avis du rédacteur en chef de cette newsletter, je vais me permettre d'adapter un peu le sujet en optant pour un contenant un peu plus petit, la « bourse ». J'ai donc choisi entre la bourse et l'avis…

La tâche sera ainsi plus facile car les archéologues, surtout les numismates, sont quelquefois amenés à parler de bourse. En effet dès que quelques monnaies sont découvertes groupées mais sans trace d'emballage, il est tentant d'évoquer la perte, ou la dissimulation volontaire, d'une bourse dont le tissu ou le cuir n'aurait pas résisté au temps. Cette hypothèse a ainsi été présentée par Vincent Geneviève, archéologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives, à propos d'un lot de six monnaies romaines du 2e siècle après J.-C. retrouvées en 2002 lors d'une fouille aux alentours de Toulouse, à Cornebarrieu plus exactement (vous pouvez lire son article dans la Revue de Comminges de juillet-décembre 2004). On trouve d'ailleurs sur certaines monnaies antiques la représentation d'une bourse, en attribut du dieu Mercure par exemple, comme le montre notre illustration.

Il faut ajouter que, lorsque le Musée de Toulouse a acheté la collection d'antiquités du Comte de Clarac en 1843, celle-ci comprenait un fragment de toile, trouvé lors d'une fouille à Pompéi en 1813, qui avait servi à envelopper un trésor de 438 monnaies d'or, d'argent et de bronze. Plutôt qu'une bourse, on peut parler dans ce cas de sac.

Tabouret découvert lors des fouilles du Métro Esquirol en 1990-1991 - Auteur du cliché non identifié - Archives du Service archéologique de la Région Occitanie.

Archéologie du tabouret


décembre 2017

Pour qu'un objet archéologique en bois enterré puisse traverser les siècles, il faut un milieu de conservation soit très sec, de type désertique, soit très humide, mais anaérobie c'est-à-dire sans oxygène. Pour le désert, la région Occitanie n'est pas encore concernée, mais au rythme du réchauffement climatique…

A Toulouse il faut donc plutôt compter sur des puits ou des égouts anciens comblés pour faire ce type de trouvaille. Ce fut le cas en 1990-1991 sur le chantier de fouille de la station de Métro Esquirol, dirigé par Raphaël de Filippo. En effet il y fut découvert une portion du grand égout central de la ville romaine, la cloaca maxima, qui avait fini par se boucher au milieu du Moyen Âge. C'est dans son comblement que furent extraits plusieurs artefacts en bois dont le tabouret trépied dont nous présentons ici le cliché.

Vous remarquerez le sens évolué du design, ayant fait préférer un siège hexagonal à une forme plus simple, circulaire ou carrée. Il était aussi accompagné de très belles pièces de vaisselle en bois tourné, comme des coupes ou des gobelets, qui révèlent la vision tronquée que nous pouvons avoir de la vie quotidienne de nos ancêtres à force de ne découvrir que des ustensiles en poterie ou en verre.

Représentation de saint Jacques de Compostelle sur une fresque des enfeus de l'hôtel Saint-Jean à Toulouse, Photographie Jean-François Peiré, © Inventaire général Région Occitanie, 1997, 19973101693ZA.

J'ai le bourdon…


novembre 2017

… disait le pèlerin au Moyen Âge.

Non pas qu'il fallait être en dépression pour traverser l'Europe en visitant les lieux saints, mais plutôt s'appuyer sur son bourdon qui désigne en fait un long bâton, accessoire indispensable du marcheur au long cours. En résumé, être en canne et avoir une canne.

Cet accessoire est naturellement associé aux images de saint Jacques dont la tombe à Compostelle reste l'un des spots de pèlerinage les plus courus (ou plutôt marchés). On peut d'ailleurs le voir représenté sur une fresque médiévale conservée dans les enfeus découverts en 1997 à l'hôtel Saint-Jean à Toulouse.

Matériellement et archéologiquement parlant, ces bourdons en bois ont laissé peu de traces sauf pour leur embout ferré que l'on retrouve fréquemment, seul conservé, dans les tombes de pèlerins comme dans le cimetière toulousain récemment fouillé, toujours à l'hôtel Saint-Jean qui servait d'étape (quelquefois dernière) aux pérégrinateurs.

Affiche d'interdiction d'accès à un chantier de fouilles archéologiques, probablement vers 1970, Imprimerie du Viguier à Toulouse, collection Marc Comelongue.

WAR(chéo)NING !


octobre 2017

En dehors des journées portes ouvertes organisées pour satisfaire votre curiosité, les archéologues vous interdisent souvent l'accès à leur chantier de fouilles comme le montre l'affiche « vintage » présentée ici, imprimée à Toulouse probablement vers 1970. C'est d'abord pour votre sécurité et vous éviter de tomber dans les trous qu'ils ont tendance à creuser un peu partout. Et puis ils détestent qu'on leur pique des objets sous leur nez. Le pillage est malheureusement habituel comme lors des recherches menées dans la rue des Trente-Six-Ponts à Toulouse en 2014, où de nombreux crânes furent dérobés dans la nécropole médiévale qu'on était en train de dégager.

Cette culture du secret a pu être poussée assez loin car certains rapports de fouilles produits par la Circonscription des antiquités historiques de Midi-Pyrénées dans les années 1970 portent un étonnant tampon indiquant « Rapport confidentiel – Reproduction et utilisation scientifiques interdites » !

Utilisation scientifique interdite ? Pourtant, bravant ce curieux oukase, nous n'avons pas hésité à utiliser les renseignements qu'ils contiennent pour compléter la carte archéologique de Toulouse Métropole qui est en cours de construction sur le site UrbanHist. Nous pourrons toujours dire qu'il s'agit là de médiation, et non de science…

Plan reconstitué de Toulouse antique, dans Bernard Dupuy des Grais, "Tolosae antiquae chorographia", 1713, Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms. 1254.

Carte archéo vintage


septembre 2017
Si vous recherchez une carte archéologique de Toulouse, vous pouvez consulter la plus ancienne d'entre elles à la Bibliothèque municipale de Toulouse. Elle apparaît dans un manuscrit intitulé Tolosae antiquae Chorographia écrit par Bernard Dupuy des Grais en 1713. Sa vision de la ville à l'époque gallo-romaine est très particulière. On y reconnaît bien, sur la rive gauche de la Garonne, l'amphithéâtre de Purpan et le tracé de l'aqueduc qui amenait l'eau des sources de Lardenne. On y voit même la mystérieuse construction de Peyrolade, détruite au 19e siècle, qui se trouvait à l'emplacement de l'actuelle école Lespinasse. Pour le reste, l'extrême schématisation de la trame urbaine présentée sera plus utile aux joueurs de marelle qu'aux archéologues qui seront plus avisés de consulter la couche «  Vestiges connus de Tolosa » sur le site UrbanHist +.
Trophée de l'ancienne porte narbonnaise, copie du dessin de Servais Cornouaille publié par Antoine Noguier en 1556, extrait de Bernard Dupuy des Grais, Historia Tolosae, 1719-1720, Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms 1254.

A-t-on trop fait pour célébrer la victoire ?


juillet-août 2017
Pour exalter la vertu guerrière, on avait l'habitude de présenter aux citoyens du monde romain un trophée après chaque victoire. Originellement, on choisissait un arbre qui était habillé avec les armes pris aux ennemis : casques, cuirasses, boucliers, lances… Mais pour pérenniser et diffuser ce message, on passait souvent au stade de la représentation, que ce soit sur des pièces de monnaies ou des bâtiments publics, où apparaissait aussi quelquefois l'image des vaincus dépouillés de leurs vêtements, assis et entravés au pied du tronc qui portait les preuves de leur défaite.
A Tolosa, c'était sur le fronton de la porte dite narbonnaise, à l'entrée sud de la ville romaine, que l'on pouvait voir un tel tropaeum sculpté dans la pierre. Enfoui et caché après l'Antiquité, il ne fut redécouvert que vers 1555, lorsqu'on entreprit de démolir le Château narbonnais qui avait remplacé, durant le Moyen Âge, la porte antique de même nom. Ce monument fut détruit dans la foulée mais, heureusement pour nous, décrit et représenté en gravure par Antoine Noguier dans son « Histoire tolosaine » de 1556, produisant ainsi le plus ancien rapport de fouille archéologique disponible pour Toulouse.
Musée Saint-Raymond, Miroir étrusque en bronze gravé de la fin du IVe siècle avant J.-C., Carte postale, Edition d'Art Larrey, Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi3826.

Antique réflexion


juin 2017

Avant l'invention du miroir moderne combinant verre transparent et feuille métallique réfléchissante, on utilisait durant l'Antiquité du métal brut poli pour essayer de capter son image. Les Étrusques fabriquaient des miroirs en bronze dont le dos était orné d'un décor gravé. Le Musée Saint-Raymond de Toulouse a la chance d'en posséder un bel exemplaire représentant un devin, dénommé Calchas, examinant des entrailles. Sa provenance reste inconnue, mais n'est vraisemblablement pas régionale.
En ce qui concerne Toulouse, il faut s'intéresser au gué du Bazacle pour trouver trace de miroirs antiques. En effet, cette zone de hauts-fonds de la Garonne, située au nord de la ville ancienne, a été explorée par les archéologues au début des années 1970. Plusieurs fragments de miroirs romains y ont alors été découverts mais, cette fois-ci, c'est l'argent qui avait été utilisé, de préférence au bronze (qui est peut-être quelquefois difficile à couler ?).
Que faisaient-ils là ? Un de nos ancêtres gallo-romains, traversant le cours d'eau à pied et découvrant que ses traits se reflétaient parfaitement dans l'eau, a-t-il décidé de se débarrasser de son miroir devenu inutile ? L'a-t-il plus simplement perdu lors d'un faux pas ? Il y a une explication plus logique. Les berges de la ville ont servi de dépotoirs pendant des siècles et des milliers d'objets ont ainsi été entraînés par le courant. Or le Bazacle, premier obstacle qu'ils rencontraient dans leur dérive, est un seuil rocheux parsemé de trous. Les objets métalliques, les plus lourds, s'y sont trouvés naturellement piégés.

PS : Archéologie en bords de Garonne, visites guidées gratuites les 16 et 17 juin à 14 heures dans le cadre des Journées nationales de l'archéologie.

Boîte aux lettres pour bébés de l'Hôtel-Dieu de Toulouse... Cliché numérique. Marc Comelongue - Service de l'Inventaire patrimonial et de l'Archéologie de Toulouse Métropole, 2017.

Une nouvelle définition en archéologie du bâti : le « Merci Maman » ?


mai 2017

C'est en tout cas le nom que l'on pourrait donner à une structure architecturale dont Toulouse montre un bel exemple. En haut du grand escalier de l'Hôtel-Dieu, à droite de l'entrée principale, on peut voir une niche traversant le mur. Il s'agit d'un guichet un peu spécial, aménagé à l'époque moderne, qui servait à déposer les enfants que l'on voulait abandonner à l'institution hospitalière (vous y verrez même une poupée emmaillotée qui y a été placée pour reconstituer sa fonction).

En fait, il est dénommé « tour » à cause du plateau en bois, pivotant sur un axe, disposé en son milieu. Il permettait de déposer anonymement le bébé par l'extérieur et de le mettre rapidement à l'abri en tournant le plateau vers l'intérieur. Ensuite, l'avenir des bambins délaissés semble avoir été assuré.

Quand, en 2015, le Service archéologique de Toulouse Métropole a fouillé le cimetière de l'hôpital, situé sous l'actuel port Viguerie, seuls des ossements d'adultes ont été mis au jour...

Basilique Saint-Sernin. Dépose et ouverture du sarcophage dit de Guillaume III Taillefer, Comte de Toulouse, par l'équipe de Jean-Louis Laffont, en présence de Dominique Baudis. 23 mai 1989. Négatif N&B, 24 x 36 mm. Patrice Nin - Ville de Toulouse, Archives municipales, 15Fi8085.

J'ai essayé de renouer le fil de l'archéologie toulousaine…


avril 2017

et je suis d'abord allé voir tout naturellement du côté de la rue des Filatiers. Comme son nom l'indique, elle attira des fileurs, des tailleurs, des chaussetiers, des couturiers, des brodeurs… mais malheureusement pas beaucoup les archéologues ! Heureusement Gérard Villeval sauva l'honneur en 1961 en recueillant quelques fragments de céramiques antiques, dont une lampe décorée d'un chrisme, lors de travaux de voirie devant le numéro 5 de cette rue. Et puis il y a bien ce culot sculpté d'une tête d'ange (pas de filatier…) découvert lors d'une démolition en 1975 au numéro 35.

En fait, pour essayer de garder une trame à cette histoire, il faut avoir le courage de mettre son nez ailleurs, dans des endroits un peu particuliers : les sarcophages. Milieux clos par fonction, nous aurons des chances d'y découvrir des tissus encore conservés et de retrouver le fil de notre quête. C'est ce qui s'est passé en 1989 lorsqu'on a dû déplacer l'un des tombeaux de l'enfeu des Comtes de la basilique Saint-Sernin, qui avait besoin d'être restauré. L'occasion était trop belle et une fouille minutieuse de son contenu fut dirigée par Christine Dieulafait et Eric Crubézy. Résultat : des ossements dont certains appartiennent probablement à un membre de la famille comtale toulousaine des alentours du 10e siècle. Il avait été inhumé habillé avec chausses, chemise et tunique de toutes matières : lin, coton, soie, laine. Un vrai festival fibrique et « filique »...

« Ci-gît un non-préhistorien »... Sépulture du chanoine Pouech au cimetière de Sabarat (Ariège). Photographie Marc Comelongue, Toulouse Métropole, Service de l'inventaire patrimonial et de l'archéologie.

Des hommes préhistoriques, il n'y en a point...


mars 2017
Les archéologues actuels ont peu de problèmes avec la censure (à part avec quelques comités de lecture particulièrement tatillons...). Mais certains de leurs prédécesseurs ont pu pratiquer l'auto-censure, tout particulièrement ceux qui étaient aussi religieux. Nous ne parlons pas ici de l'abbé Breuil et de ses contemporains qui surent réconcilier Foi et Préhistoire, mais de la génération précédente dont l'un des plus connus dans notre région est l'abbé Pouech (1814-1892) qui fut chanoine de Pamiers. Il a été le premier explorateur des grottes et des dolmens de l'Ariège où il découvrit les traces des premiers habitants de nos contrées qu'il qualifia certes de pré-celtiques, mais encore « enfants de Noé ».
Lors de ses premières investigations dans la caverne du Mas-d'Azil, il imagina même d'abord que les silex qu'il trouvait avaient servi de briquets pour allumer des feux aux protestants qui s'étaient retranchés dans la grotte lors du siège de la ville voisine en 1625. L'anecdote est véridique et, parmi les assiégeants catholiques commandés par le maréchal de Thémines, ce furent d'ailleurs les Toulousains qui furent choisis pour essayer, sans succès, d'investir ce refuge souterrain. Pourquoi cette troupe en particulier ? Peut-être parce que certains d'entre eux connaissaient déjà cette immense grotte qui depuis déjà au moins un siècle servait de mine de salpêtre, matière première que les marchands de Toulouse achetaient pour fabriquer leur poudre noire.
En 1873, à l'occasion de la découverte d'un éléphant fossile près de Pamiers, la presse signala que l'abbé Pouech possédait une collection concernant l'homme préhistorique. Dans un droit de réponse cinglant, il répliqua : « Des hommes préhistoriques, il n'y en a point. Au point de vue chrétien, ce terme, homme préhistorique, est un non sens ou une hérésie... Quand je vois mon nom rapproché de ce terme fâcheux, que je repousse si énergiquement cependant, de peur d'en être en quelque sorte rendu garant et solidaire, je ne puis, je ne dois, je ne veux en aucune manière le laisser passer sans protestation. Je possède, c'est vrai, des ossements humains trouvés exactement dans les conditions de ceux qu'on appelle préhistoriques, mais ils ne sont pour moi que les os des enfants d'Adam, et probablement aussi de Noé. Je ne sors pas de la Bible. »
Le chanoine Pouech est souvent présenté comme l'un des pionniers de la Préhistoire. Peut-être devrions-nous cesser de le qualifier ainsi ? Cette réflexion est venue à l'auteur de ces quelques lignes lors d'une visite sur sa tombe au village ariégeois de Sabarat. « Ci-gît un non-préhistorien », en quelque sorte... Pour les taphophiles invétérés, la sépulture de l'abbé était localisée sous le porche de l'église au moins jusqu'aux années 1970, mais aujourd'hui son nom apparaît sur le caveau de sa famille, dans le cimetière.
Localisation du site antique de Sarabelles dans Urban-Hist et fragment de mosaïque découvert sur place en 1986. Illustration Marc Comelongue, Toulouse Métropole, Service de l'inventaire patrimonial et de l'archéologie et Ville de Toulouse, Archives municipales.

Si l'on veut parier sur la couleur d'une tesselle romaine à Toulouse...


février 2017

… les lois de probabilité nous invitent à choisir le blanc. En effet, même les mosaïques les plus colorées utilisent cette teinte et les roches claires pyrénéennes (calcaires, marbres, quartz) ne manquaient pas pour fabriquer des petits cubes immaculés. De plus, si les scènes mythologiques et de la vie quotidienne, ou les motifs floraux et animaliers, en technicolor, sont ceux qui nous viennent à l'esprit, il faut savoir que la plupart de ces pavements étaient simplement bicolores, blanc (souvent dominant) et noir, à motifs géométriques simples. Ce sont ces derniers que l'on retrouve le plus souvent dans l'ancienne ville romaine de Tolosa. Les mosaïques signalées le plus précocement au 19e siècle étaient de ce type (rue Peyrolières en 1858 et rue Cujas en 1872), de même que la dernière retrouvée dans les fouilles de la station de métro des Carmes en 2002-2003.

Les établissements ruraux autour de Toulouse possédaient aussi des sols mosaïqués, tel celui de Sarabelles fouillé vers 1973 par Patrice Cabau et Pierre Prost, sous la responsabilité de Claude Prost. Localisé à l'extrémité orientale de l'actuelle rue Maurice Hurel, près de la Cité de l'Espace, ce site était à l'époque au bord de l'Hers. Ceux qui connaissent cet endroit pourront alors s'étonner car l'Hers coule maintenant à environ 150 mètres plus à l'est. Alors que s'est-il passé ? Dans les années 1980, on lança la construction de la rocade de Toulouse et le secteur de Sarabelles posait problème à cause de la présence de l'aérodrome de Lasbordes dont les nouvelles infrastructures devaient rester suffisamment éloignées par sécurité. On décida alors de se lancer dans des travaux pharaoniques consistant à combler le lit de l'Hers pour construire l'autoroute à sa place, tandis que l'on recreusait une nouvelle rivière le long des pistes d'aviation. C'est d'ailleurs en visitant ce chantier en 1986 que l'auteur de ces lignes, qui ignorait alors l'existence d'un habitat antique en ce lieu, ramassa par hasard un petit morceau de mosaïque sur son emplacement qui avait été égratigné par les engins de terrassement. Comme vous pouvez le voir sur l'illustration ci-jointe, ayant pour fond la localisation du site archéologique dans Urban-Hist, la probabilité a bien été respectée car, sur les quatre tesselles composant ce fragment, deux sont effectivement blanches (les deux autres étant noires).

Gobelet romain en verre moulé découvert lors des travaux de la place du Capitole en 1971 et conservé au musée Saint-Raymond. Cliché Jean Dieuzaide - Ville de Toulouse, Archives municipales, 9Fi3828 (détail).

Vas-y Py-Py !


janvier 2017

En 1971, un parking souterrain fut construit sous la place de Capitole. À cette époque, l'archéologie préventive n'était pas organisée comme aujourd'hui et les archéologues n'ont pas pu intervenir en amont du projet d'aménagement. Ils ont néanmoins pu suivre les travaux et étudier le vestige le plus important mis au jour par cette excavation : la porte nord de l'enceinte romaine de Toulouse.

En revanche, en l'absence de fouilles fines, seuls quelques objets anciens ont pu être récupérés, et parmi eux, miraculeusement au vu du contexte, un magnifique gobelet en verre datant du Ier siècle de notre ère. Sa valeur vient de son décor moulé représentant une course de char à quatre chevaux, des quadriges. On y aperçoit aussi des éléments de l'architecture du cirque où se déroulait la compétition et quelques lettres d'une légende latine : VADERE PYRAME. Nous pouvons la traduire par « Vas-y Pyrame !», ce dernier étant un conducteur de char, un aurige, qui fut célèbre dans tout l'Empire romain au point d'avoir des bibelots déclamant son nom.

Parallèle à travers les siècles, dans les années 1960-1970 le coureur cycliste le plus connu en France était Raymond Poulidor, au point d'avoir rendu célèbre l'expression « Vas-y Pou-Pou ! »...

Tour des Hauts-Murats vue en coupe, dessin, Jules Chalande. Ville de Toulouse, Archives municipales, 40Z71/2.

C'est la grille qui fait la prison...


décembre 2016

...comme le montre ce dessin effectué par Jules Chalande pour illustrer un article paru en 1921 et conservé aux Archives municipales de Toulouse. Il montre ce qui fut d'abord un élément de la défense de la ville à l'époque romaine, qu'on utilisa ensuite, une fois des barreaux posés sur sa fenêtre, comme cachot jusqu'aux années 1960 dépendant de la prison des Hauts-Murats dont l'origine remonte à la fin du 13e siècle.

Celle-ci était le premier lieu de détention construit par les inquisiteurs dominicains, non seulement à Toulouse mais aussi dans toute la chrétienté, et avait servi à enfermer les propagateurs du catharisme, prisonniers qu'on appelait « immurati », les « emmurés », ce qui a peut-être donné après déformation le nom « Hauts-Murats » (à moins que ce soit plus simplement la hauteur des murs...). Cette geôle, où les « hérésie riders » finissaient leur course et où peur faisait nique au son des plaintes, fonda la légende noire de l'Inquisition...

Pile et arche de l'ancien pont de la Daurade. Photographie non datée, auteur inconnu. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2Fi1587.

Arche ! Eh ! Oh ! Où vas-tu ?


novembre 2016

C'est la question que peuvent se poser les Toulousains lorsqu'ils traversent le pont Neuf en direction de Saint-Cyprien et qu'ils aperçoivent sur leur droite une arche en briques jaillissant de l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques et rejoignant une plate-forme posée sur un pilier au milieu de la Garonne. Sacré investissement pour aménager une terrasse les pieds dans l'eau, pourrait-on se dire... Nous sommes en fait devant les vestiges d'un projet bien plus ambitieux, car cette arche et la pile qui la jouxte, qui semblent aller nulle part, ne furent pas les seules et appartiennent à un ancien pont traversant le fleuve. De son point d'ancrage sur la rive droite, il tirait son nom le plus commun : le « pont de la Daurade ». Mais il reçut plusieurs autres dénominations : « pont Neuf » lorsqu'il succéda au 12e siècle à un premier « pont Vieux », puis à son tour « pont Vieux » lorsqu'il fut abandonné au début du 17e siècle au profit de l'actuel pont Neuf, et même « pont Couvert » car il était protégé par un toit à deux pentes. De plus, la pile restante que nous voyons découverte aujourd'hui portait en fait une tour de défense qui fut arasée en 1734.

Nos ancêtres ont pu aussi voir pendant longtemps exactement le même panorama, une arche et une pile isolée dans la Garonne, au niveau de l'actuelle place Saint-Pierre. Ce furent en effet les derniers vestiges visibles, avant leur destruction vers 1710, du pont méconnu du Bazacle, apparaissant dans les textes dès 1218 mais déjà abandonné au milieu du 16e siècle.

Une troisième arche de pont mystérieuse existe à Toulouse. Elle se trouve enfouie à 3 mètres de profondeur sous le tronçon nord de la rue de la Descente de la Halle aux Poissons et n'est accessible que par les caves des immeubles voisins. Les arche-eh-oh-logues pensent qu'il faut la rattacher au premier « pont Vieux » de Toulouse qui aboutissait vraisemblablement dans ce secteur après avoir traversé la Garonne et le bras de la Garonnette.

Exemple de faïence des ateliers de Paterna. Bol de céramique verte et manganèse, Paterna, 16e siècle, musée de la Ville (Valence). Joanbanjo (own work) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons https://commons.wikimedia.org/wiki/File%3ABol_de_cer%C3%A0mica_verda_i_mangan%C3%A9s%2C_Paterna%2C_segle_XIV%2C_Museu_de_la_Ciutat_(Val%C3%A8ncia).jpg.

Olé !


octobre 2016

En 1998, à l'occasion de la construction d'une résidence au 13 rue des Couteliers, une fouille préventive d'urgence a été dirigée par Jean-Louis Hillairet. Elle a permis de mettre au jour, non pas le trésor des Tectosages, mais un dépotoir du 15e siècle rempli de choses follement excitantes pour les archéologues qui, on le sait, se réjouissent de faire les poubelles de nos ancêtres.

Voilà que notre archéologue aux yeux ébaubis se retrouve face à des restes de faune, ainsi que de la verrerie et de la poterie, notamment des bols à oreilles en faïence, importés des ateliers espagnols de Paterna.

Située dans la région de Valence, cette ville est un foyer important de production de faïence dès le 13e siècle, selon une technique apprise des Arabes, et dont la situation au bord de la Méditerranée favorise les exportations dans le sud de la France et l'Italie.

Vestiges du mur romain du square Charles-de-Gaulle, vers 1993. Photographie couleur, 10 x 15 cm. Auteur inconnu. Ville de Toulouse, Archives municipales, 1 Fi 1955.

Du neuf ?... en archéologie ?


septembre 2016

Ordinairement non, si l'on considère que c'est la science du passé. Tout ce qui est trop récent est donc normalement hors cadre ou bien suspect. Les archéologues sont en effet quelquefois confrontés à des faux. La plupart d'ailleurs ont subi le fameux bizutage qui consiste à dissimuler un objet contemporain (fourchette, capsule de bouteille, pièce d'euro...) à l'endroit qu'on leur donna à explorer lors de leur premier chantier de fouille. Mais les « vrais » faux existent aussi. Par exemple à la grotte ariégeoise de Massat où l'on découvrit, dans les années 1940-1950, des pseudo-sculptures préhistoriques réalisées et disséminées par un plaisantin atteint de la fièvre de falsification, mais, heureusement, suffisamment mal faites pour être démasquées. Il faut noter que ce département voisin connaît malheureusement depuis quelques années la recrudescence d'un virus (pas de la dengue, mais plutôt du dingue...) pathogène du bon sens qui a infecté un auto-proclamé esthète  confondant émotion artistique et divagation malsaine, son projet étant d'enterrer dans toutes les cavernes des galets sur lesquels sont gravées des vulves qui laisseront sûrement dans l'expectative les découvreurs à venir...

Neuf et archéologie peuvent néanmoins faire bon ménage dans le domaine de la restauration. La photographie que nous présentons montre le fragment de rempart romain qui avait été redécouvert et mis en valeur dès 1893 à Toulouse dans l'actuel square Charles-de-Gaulle, près du donjon du Capitole. Son parement hybride, alternant rangs de briques et de moellons calcaires, fut restauré vers 1993 et l'on prit alors le soin de séparer les galets neufs de remplacement et les anciens authentiques par une lame en zinc, visible sur le cliché, avant que l'altération ne permette plus de faire la différence. Ainsi, les pierres situées à droite de la lame de séparation sont « fausses » et celles de gauche sont « vraies »... Euh ! Ou bien l'inverse ? Je ne sais plus... Où sont mes notes ?

Plan du projet de redressement du Canal du Midi et de l'alignement des allées Lafayette (maintenant Jean-Jaurès), 1841. Plan d'Urbain Maguès, 41,2 x 26,8 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 7 D 491.

Quand on est archéologue, on est quelquefois content d'avoir trouvé sa voie...


juillet-août 2016

surtout quand elle est romaine. A Toulouse, la route antique qui conduisait à Narbonne, la « voie narbonnaise », est apparue à plusieurs reprises depuis 1991 lors de fouilles aux alentours de la place Saint-Michel. Auparavant elle ne s'était dévoilée qu'une fois dans les années 1960, sur la commune voisine de Ramonville-Saint-Agne. Néanmoins, sa présence à la limite méridionale de l'agglomération toulousaine était avérée depuis 1886 par une voie détournée... la trouvaille d'un accessoire « de bordure », c'est-à-dire d'une borne dite milliaire servant à indiquer la distance (les milles), gravée au nom de Décence, empereur romain du milieu du 4e siècle de notre ère.

Toulouse a exploré d'autres voies lors de son histoire, et notamment une voie d'eau... qui loin de couler la ville, l'a au contraire développée, car il s'agit du canal du Midi. Mais c'est un sujet sur lequel un archéologue voit double... En effet le canal a très longtemps tracé une boucle peu commode dans le secteur de l'actuelle gare et dans les années 1840, lassés de suivre cette fausse voie..., on décida de creuser un nouveau tronçon, plus rectiligne, tel qu'il est aujourd'hui alors que l'ancien chenal était remblayé (il faudrait donc parler des « canaux » du Midi...). Peut-être remettra-t-on ce tronçon oublié un jour au jour ?

Voir aussi : le redressement du bief de Bayard et plan 7D491.

 

surtout quand elle est romaine. A Toulouse, la route antique qui conduisait à Narbonne, la « voie narbonnaise », est apparue à plusieurs reprises depuis 1991 lors de fouilles aux alentours de la place Saint-Michel. Auparavant elle ne s'était dévoilée qu'une fois dans les années 1960, sur la commune voisine de Ramonville-Saint-Agne. Néanmoins, sa présence à la limite méridionale de l'agglomération toulousaine était avérée depuis 1886 par une voie détournée... la trouvaille d'un accessoire « de bordure », c'est-à-dire d'une borne dite milliaire servant à indiquer la distance (les milles), gravée au nom de Décence, empereur romain du milieu du IVe siècle de notre ère.

Toulouse a exploré d'autres voies lors de son histoire, et notamment une voie d'eau... qui loin de couler la ville, l'a au contraire développée, car il s'agit du canal du Midi. Mais c'est un sujet sur lequel un archéologue voit double... En effet le canal a très longtemps tracé une boucle peu commode dans le secteur de l'actuelle gare et dans les années 1840, lassés de suivre cette fausse voie..., on décida de creuser un nouveau tronçon, plus rectiligne, tel qu'il est aujourd'hui alors que l'ancien chenal était remblayé (il faudrait donc parler des « canaux » du Midi...). Peut-être remettra-t-on ce tronçon oublié un jour au jour ?

 

surtout quand elle est romaine. A Toulouse, la route antique qui conduisait à Narbonne, la « voie narbonnaise », est apparue à plusieurs reprises depuis 1991 lors de fouilles aux alentours de la place Saint-Michel. Auparavant elle ne s'était dévoilée qu'une fois dans les années 1960, sur la commune voisine de Ramonville-Saint-Agne. Néanmoins, sa présence à la limite méridionale de l'agglomération toulousaine était avérée depuis 1886 par une voie détournée... la trouvaille d'un accessoire « de bordure », c'est-à-dire d'une borne dite milliaire servant à indiquer la distance (les milles), gravée au nom de Décence, empereur romain du milieu du IVe siècle de notre ère.

Toulouse a exploré d'autres voies lors de son histoire, et notamment une voie d'eau... qui loin de couler la ville, l'a au contraire développée, car il s'agit du canal du Midi. Mais c'est un sujet sur lequel un archéologue voit double... En effet le canal a très longtemps tracé une boucle peu commode dans le secteur de l'actuelle gare et dans les années 1840, lassés de suivre cette fausse voie..., on décida de creuser un nouveau tronçon, plus rectiligne, tel qu'il est aujourd'hui alors que l'ancien chenal était remblayé (il faudrait donc parler des « canaux » du Midi...). Peut-être remettra-t-on ce tronçon oublié un jour au jour ?

Basilique Saint-Sernin, vers 1910, Enfeu contenant les sarcophages des comtes de Toulouse, Carte postale, 9 x 14 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9 Fi 2951 (détail).

La cuve a chaud, la chaux couve...


juin 2016
Au crépuscule de l'antiquité, durant les 4e et 5e siècles de notre ère, les sculpteurs ont profité de la présence de gisements de marbre dans les Pyrénées pour tailler des sarcophages de grande qualité. Les plus beaux ont été décorés, sur leur couvercle et les panneaux de la cuve, avec des motifs géométriques ou végétaux, des chrismes, des animaux ou des personnages formant parfois des scènes complexes. Diffusés dans le sud-ouest de la France, plusieurs ont été retrouvés à Toulouse, mais pas toujours dans leur destination première. En effet, ces monuments se sont prêtés au recyclage.
Souvent d'ailleurs pour le même usage, inhumer des corps, mais à une époque plus récente (suivant l'adage : qu'importe, de la cuve, l'âge). C'est ainsi que, comme le montre l'image que nous présentons, plusieurs de ces tombeaux ayant accueilli au haut Moyen Âge les corps de représentants de la famille comtale toulousaine, se trouvent à Saint-Sernin dans une chapelle attenante à la porte du transept méridional. Mais il faut remarquer que l'un d'eux est une copie, un moulage, car l'original a été déplacé en 1989 pour assurer sa conservation et placé depuis à l'intérieur de la basilique.
On a pu aussi les réutiliser pour décorer des bâtiments et certains de ceux qui se trouvent actuellement conservés au musée Saint-Raymond avaient servi autrefois de linteau ou de montant de porte au monastère de la Daurade ou à l'église disparue de Saint-Michel-du-Touch. Même un simple fragment peut avoir été mis en valeur sur une façade comme à Saint-Sernin, tout à côté des sépultures comtales dont nous venons de parler.
Bien évidemment, d'aucuns n'ont aussi pas manqué de remarquer que l'on pouvait en faire de parfaits abreuvoirs, d'ailleurs souvent recyclés plus tard en bacs à fleurs (les sarcophages à saxifrages...), et les archéologues ont aussi su faire leur marché en parcourant les cours de fermes autour de Toulouse, comme à Saint-Orens-de-Gameville ou à Fourquevaux.
Au crépuscule de l'antiquité, durant les 4 e et 5 e siècles de notre ère, les sculpteurs ont profité de la présence de gisements de marbre dans les Pyrénées pour tailler des sarcophages de grande qualité. Les plus beaux ont été décorés, sur leur couvercle et les panneaux de la cuve, avec des motifs géométriques ou végétaux, des chrismes, des animaux ou des personnages formant parfois des scènes complexes. Diffusés dans le sud-ouest de la France, plusieurs ont été retrouvés à Toulouse, mais pas toujours dans leur destination première. En effet, ces monuments se sont prêtés au recyclage.
Souvent d'ailleurs pour le même usage, inhumer des corps, mais à une époque plus récente (suivant l'adage : qu'importe, de la cuve, l'âge). C'est ainsi que, comme le montre l'image que nous présentons, plusieurs de ces tombeaux ayant accueilli au haut Moyen Âge les corps de représentants de la famille comtale toulousaine, se trouvent à Saint-Sernin dans une chapelle attenante à la porte du transept méridional. Mais il faut remarquer que l'un d'eux est une copie, un moulage, car l'original a été déplacé en 1989 pour assurer sa conservation et placé depuis à l'intérieur de la basilique.
On a pu aussi les réutiliser pour décorer des bâtiments et certains de ceux qui se trouvent actuellement conservés au musée Saint-Raymond avaient servi autrefois de linteau ou de montant de porte au monastère de la Daurade ou à l'église disparue de Saint-Michel-du-Touch. Même un simple fragment peut avoir été mis en valeur sur une façade comme à Saint-Sernin, tout à côté des sépultures comtales dont nous venons de parler.
Bien évidemment, d'aucuns n'ont aussi pas manqué de remarquer que l'on pouvait en faire de parfaits abreuvoirs, d'ailleurs souvent recyclés plus tard en bacs à fleurs (les sarcophages à saxifrages...), et les archéologues ont aussi su faire leur marché en parcourant les cours de fermes autour de Toulouse, comme à Saint-Orens-de-Gameville ou à Fourquevaux.
Enfin un recyclage plus radical a pu exister. Lors de fouilles sur le site du musée Saint-Raymond en 1994-1996, un four à chaux daté des 5 e-6 e siècles de notre ère a été découvert. Il contenait des restes de son dernier chargement et on s'aperçut, avec étonnement, que les chaufourniers avaient brisé et utilisé sans état d'âme comme matériau à transformer en chaux des sarcophages sculptés, privés ainsi du statut de futures pièces de musée pour devenir un vulgaire composant de mortier.
Musée Saint-Raymond, paire de fibules découverte en 1983 à l'église Saint-Pierre-des-Cuisines, bronze, dernier quart du Ve s. après J.C. Carte postale, 9 x 14 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 9 Fi 3798 (détail).

Gothe Gaule...


mai 2016

En l'an 418, Toulouse devint la capitale du royaume wisigoth, d'abord dépendant de Rome puis totalement autonome. Cette parenthèse royale fut stoppée en 508 par la victoire d'autres conquérants venus de l'Est, les Francs, sur leurs cousins germains, obligeant nos amis Goths à une retraite en Espagne, forcés de plier leurs gaules gothes de peur de subir le calvaire, l'hallali goth ou la mort gothe (ou gothe mort, ça marche dans les deux sens). L'ambiance n'était plus à l'Allez, Goth, rie !

Mais avais-tu apporté des changements de visu, Goth ? Le plus évident fut certainement dans l'habillement et un goût plus marqué pour l'utilisation de deux accessoires, témoignage de l'art goth, ou plutôt du goth faste : les plaques-boucles et les fibules. Certes, les romains employaient déjà de gros ceinturons garnis de plaques, mais leur usage avait plutôt été réservé jusque-là aux militaires. Et les fibules étaient bien connues depuis la période gauloise, mais jamais elles n'avaient atteint la taille et la sophistication du décor (à gogo) que leur donnèrent ces barbares. Par chance, deux d'entre elles (les femmes goûtaient ces gotheries par paire) ont été retrouvées dans une tombe lors de fouilles sur le site de l'église primitive de Saint-Pierre-des-Cuisines en 1983 et sont maintenant conservées au Musée Saint-Raymond. Fabriquées en bronze et de forme ansée asymétrique, les appendices digités qui les ornent les rapprochent d'autres exemplaires découverts dans les lointaines contrées danubiennes visitées par ces envahisseurs avant leur goth trip en Gaule.

Dernier écart goth sur ce sujet (en essayant de ne pas faire de coquille), une autre innovation importante de cette époque fut l'adoption progressive de l'inhumation habillée. Cette coutume amenait les défunts, non seulement le Gaule gotha mais aussi les gens du peuple, à être enterrés avec tout leur costume. Elle offre ainsi plus de chances aux archéologues d'en retrouver les éléments les moins fragiles c'est-à-dire les parures métalliques, en explorant, toujours à la merci d'un lumbago, d'anciens cimetières (de Wisigoths ou autres Goths) où quelquefois aussi un Lombard gît, alors que ces deux peuples ont eu des destins bien séparés. A chacun son ego.  D'ailleurs ne dit-on pas faire le distinct Goth, ou un isolement par Lombard-Goth ?

Thermes romains de la place Saint-Etienne de Toulouse remontés près de la Grande Halle de L'Union, cliché Marc Comelongue, avril 2016, Ville de Toulouse, Archives municipales.

Thermobiles… Thermigrants…


avril 2016

Les thermes sont certainement l'un des éléments les plus typiques de l'architecture romaine, qu'ils soient publics ou privés. Archéologiquement, leur présence est souvent révélée par des vestiges de bassin mais surtout d'hypocauste, dispositif de chauffage par le sol dont on retrouve essentiellement les pilettes, régulièrement espacées et construites avec des briques carrées, qui supportaient le plancher sous lequel pouvait ainsi circuler l'air chaud produit par un foyer.

Plusieurs de ces édifices ont été retrouvés dans et autour de Toulouse, et eurent des destins variés. Quelques-uns furent détruits par des aménagements, comme ceux découverts en 1974 au n° 11 de la rue du Languedoc ou en 1973 à Sarabelles dans la vallée de l'Hers. D'autres furent conservés en place comme la natatio, c'est-à-dire la piscine, de la cité d'Ancely au quartier de Purpan ou l'hypocauste de la villa de Gramont à Colomiers.

Enfin les thermes dégagés sur la place Saint-Etienne à Toulouse en 1986, à l'emplacement d'un futur parking souterrain, ont pu exceptionnellement bénéficier d'une « migration ». En effet, Georges Beyney, alors maire de L'Union et féru d'archéologie, proposa de démonter ce monument et de le sauver en le reconstruisant sur sa commune, où l'on peut encore l'admirer à côté de la Grande Halle. Exemple précurseur de coopération patrimoniale entre des municipalités qui allaient communier plus tard au sein de Toulouse Métropole.

Cartel provisoire du Musée de Montségur (09) utilisé lors du prêt de ses collections au Musée des Augustins de Toulouse pour l'exposition « Archéologie et vie quotidienne aux XIIIe-XIVe siècles en Midi-Pyrénées » en 1990. Ville de Toulouse, Archives municipales, 1084 W 142.

La promotion de l’archéologie a souvent été soutenue par le milieu associatif


mars 2016

Dans les années 1980-1990 à Toulouse, c'était le but de l'APAMP, Association pour la Promotion de l'Archéologie en Midi-Pyrénées. Cette structure (combative...) a notamment participé à l'organisation de l'exposition « Archéologie et vie quotidienne aux XIIIe-XIVe siècles en Midi-Pyrénées » au Musée des Augustins en mars-mai 1990, et surtout à l'édition de son catalogue qui reste une source majeure pour l'étude du mobilier médiéval. Cette manifestation avait permis de rassembler de nombreux objets conservés dans les collections des musées de la région. Celui de Montségur dans l'Ariège, réceptacle des fouilles effectuées dans le célèbre château « cathare », comptait parmi les contributeurs les plus importants avec 138 pièces prêtées et avait été obligé d'orner temporairement ses vitrines dégarnies avec des photographies de substitution, comme le montre le cartel que nous présentons ici.

De nos jours, ce projet est porté, entre autres, par les associations ARCHÉOLOGIES, ex-ADPMP (Association pour le Développement de la Préhistoire en Midi-Pyrénées), basée à Montauban ou APAREA (Action de Promotion et d'Aide à la Recherche en Archéologie) rattachée à l'Université de Toulouse 2 Jean-Jaurès.

Plan de l'île de Tounis et des terriers donnant sur le canal du château Narbonnais dit de la Petite Garonne. Dressé à l'occasion du procès entre les religieuses Sainte-Claire du Salin et le premier président Le Mazuyer. Attribué à Hilaire Pader. Dessin sur parchemin, 58 x 36 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales de Toulouse, 61 Fi 1 (détail).

Deux échelles sur un même plan ?


février 2016

Lorsqu'on parcourt l'avenue de la Garonnette, ancien bras de la Garonne qui séparait l'île de Tounis du quartier de la Dalbade et maintenant mis hors d'eau, nous pouvons encore deviner que l'ancienne berge était par endroit abrupte. Pour franchir ce talus qui pouvait dépasser les six mètres, les riverains avaient aménagé des passages raides assimilables à des échelles. C'est d'ailleurs le nom donné à l'une des rues disparues de Toulouse qui se trouvait dans ce secteur. Cette ruelle de « l'escaleta » permettait, par deux courts tronçons en escalier de rejoindre le fil de l'eau, au sud et en contrebas de l'extrémité orientale du pont de Tounis. Maintenant invisible, elle a laissé la place à un immeuble aux numéros 8-10 de l'actuelle rue de Pont de Tounis, en face la Maison de l'Occitanie. Par chance un plan de 1650, conservé aux Archives municipales, permet de retrouver son tracé.

Et l'on peut aussi apercevoir sur ce document une autre échelle… planimétrique cette fois-ci. Cette « Eschele de Cinquante Canes » est d'ailleurs agrémentée d'un joli dessin de compas.

Pierre tombale du 13e siècle, portant l'épitaphe du notaire Jean Dominique, décédé en 1283. Phot. Joachim Hocine, ville de Toulouse, 23 juillet 2015.

Révolution et matériaux de récupération


janvier 2016

La Révolution française, parangon des changements de régime s'il en est, a engendré, on le sait, de nombreuses destructions de monuments et objets, symboles d'un pouvoir honni. Des édifices ou parties d'édifice sont démolis. Par souci d'économie, les propriétaires récupèrent tout ce qui peut servir à une nouvelle construction. C'est pourquoi on retrouve parfois des fragments de sculpture ou de pierre tombale encastrés dans des murs du début du 19e siècle. Ainsi, les fouilles archéologiques de la place Saint-Sernin qui ont eu lieu cet été, ont mis au jour une pierre tombale, remployée dans un mur, portant une épitaphe mentionnant le décès en 1283 de Jean Dominique, notaire à Toulouse.
Pour en savoir plus sur ces découvertes, rendez-vous à l'exposition de la Fabrique Toulouse Métropole, située au rez-de-chaussée de la médiathèque José-Cabanis, Saint-Sernin, patrimoine oublié, patrimoine révélé, jusqu'au 7 février 2016.

A gauche, gravure de Germain Chambert publiée dans Monumens religieux des Volces-Tectosages…, par Alexandre Dumège, Toulouse : Bénichet Cadet imprimeur-libraire, 1814. A droite, dessin de Saint-Elme Gautier publié dans Catalogue des Bronzes antiques de la Bibliothèque nationale, par Ernest Babelon et J.-Adrien Blanchet, Paris : Ernest Leroux éditeur, 1895.

Quand on est un Amour romain, on fait joujou avec…


décembre 2015
… un papillon. En tout cas, c'est ce que nous montre une statuette en bronze publiée par l'archéologue toulousain Alexandre Dumège en 1814. Découverte à Caraman, elle rentra très précocement au Musée de Toulouse car on la trouve déjà inventoriée dans le catalogue de l'an VIII de la République. Certains ont pu avancer que cet insecte pouvait symboliser l'âme, tandis que d'autres, peut-être plus férus en entomologie,  ont cru plutôt voir un scarabée les ailes ouvertes…
Et quand on est un petit garçon romain, on a des joujoux plus gros…
… comme le cygne que l'on voit représenté sur une autre statuette en bronze, découverte à Toulouse en 1864 et conservée dans les collections de la Bibliothèque Nationale.

… un papillon. En tout cas, c'est ce que nous montre une statuette en bronze publiée par l'archéologue toulousain Alexandre Dumège en 1814. Découverte à Caraman, elle rentra très précocement au Musée de Toulouse car on la trouve déjà inventoriée dans le catalogue de l'an VIII de la République. Certains ont pu avancer que cet insecte pouvait symboliser l'âme, tandis que d'autres, peut-être plus férus en entomologie, ont cru plutôt voir un scarabée les ailes ouvertes…

Et quand on est un petit garçon romain, on a des joujoux plus gros… comme le cygne que l'on voit représenté sur une autre statuette en bronze, découverte à Toulouse en 1864 et conservée dans les collections de la Bibliothèque Nationale.

Extrait du plan de Toulouse dressé après les inondations des 23 et 24 juin 1875, édité par la Dépêche du Midi dans une brochure au profit des victimes de la catastrophe. En couleurs avec indications de la partie submergée en bleu et des bâtiments effondrés en rouge, 50 x 41 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 20 Fi 45 détail.

J’aurais bien aimé être pérenne…


novembre 2015

Se lamentait la petite église située sur le côté nord du rond-point de la Patte-d'Oie, alors que l'on venait de la bénir avant sa mise en service, ce jeudi 6 mai 1875.

En fait, son destin était déjà scellé car il était entendu qu'elle ne devait être que provisoire en attendant la construction de la future église du Sacré-Cœur du faubourg Saint-Cyprien dont on posait, ce même jour, la première pierre quelques mètres plus au nord, du côté de la rue de Tournefeuille (actuelle rue Adolphe Coll).

Mais la suite est encore plus triste car son statut allait passer inopinément de provisoire à celui d'éphémère puisque, un mois et demi plus tard, elle sera détruite par la terrible inondation des 23 et 24 juin. Probablement un record en termes de rentabilité d'un investissement immobilier… Il nous en reste seulement une silhouette imprimée sur un plan recensant les dégâts de cette catastrophe.

 

Strigile d'origine étrusque conservé au musée de Toulouse et provenant de la collection Edward Barry, extrait du Traité de médecine de A. C. Celse, traduction nouvelle par le Dr A. Védrènes, Paris : G. Masson, 1876.

Archéo doloris


octobre 2015

Si l'archéologie moderne fait appel à des anthropologues dès que des restes humains sont découverts, leur démarche ne s'arrête pas aux observations de terrain. Elle se poursuit en laboratoire au service de la paléopathologie, c'est-à-dire l'étude des traces de maladies et de traumatismes chez les populations du passé. Toulouse a récemment contribué à cette science, par exemple en 2002 lors de la fouille du cimetière Saint-Michel où un corps a montré une colonne vertébrale particulièrement déformée. On peut aussi évoquer les fosses communes médiévales contenant des victimes de la peste découvertes au n° 16 de la rue des 36 Ponts en 2014. Nous n'avions néanmoins pas le cœur à montrer dans cet article l'image du squelette d'un Toulousain décédé dans la douleur, c'est pourquoi nous avons choisi d'illustrer les soins plutôt que les maux.
Lorsque le docteur Védrènes publia, en 1876, une nouvelle traduction du traité de médecine de l'auteur latin Aulus Cornelius Celsus, il orna cet ouvrage avec des dessins d'objets antiques. Or Celse indique qu'il utilisait un strigile pour verser du liquide dans l'oreille de ses patients. Le coté actif de ce petit instrument en bronze consistait en une longue cannelure courbe (un peu comme une mini chistéra…) fixée à une poignée recourbée permettant la suspension à un anneau et l'exemplaire présenté par Védrènes se trouvait alors au musée de Toulouse et provenait des collections d'Edward Barry. En effet cet archéologue toulousain, décédé en 1879, avait pu acquérir plusieurs instruments médicaux antiques qui avaient été présentés lors de l'exposition universelle de 1867 à Paris et lors de l'exposition artistique de Toulouse en 1875. Il faut néanmoins préciser que le strigile était aussi, et essentiellement, un ustensile de toilette utilisé pour nettoyer la peau en la raclant lors du bain.

Extrait du plan de Toulouse de 1663 par Nicolas Berey (Musée Paul-Dupuy, inv. 20.6.1) montrant les ruines de l'aqueduc antique. Tirage photographique couleur, 13 x 18 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 2 Fi 1305 détail.

L’anticographie ?


septembre 2015

Ou la représentation des vestiges antiques sur une carte…

Toulouse peut passer pour pionnière dans cette activité puisque deux de ses plus anciennes cartes, celles de Melchior Tavernier en 1631 et de Nicolas Berey en 1663, illustrent des vestiges d'arches de l'aqueduc qui alimentait la ville à l'époque romaine.

L'archéologie sera reprise en compte au 19e siècle dans les différentes versions du « Plan du territoire de la commune de Toulouse » par Joseph Vitry. Celles de 1838 et 1852 (conservées aux Archives municipales sous les cotes 20 Fi 7 et 20 Fi 97) montrent évidemment les ruines de l'amphithéâtre de Purpan mais localisent de manière plus imprécise des cimetières gallo-romains au Férétra et à Terre Cabade. De plus elles affirment que les principales voies d'accès à la ville sont d'anciennes voies romaines.

Extrait du « Plan général du territoire de la commune de Toulouse» de 1860 par Joseph Vitry avec localisation des vestiges de l'aqueduc antique par les lettres majuscules M, N, O et P. Lithographie, 82 x 96 cm. Ville de Toulouse, Archives municipales, 21 Fi 6 détail.

 

Une version plus tardive de 1860 (21 Fi 6) apporte, quant à elle, des renseignements supplémentaires concernant le tracé de l'aqueduc antique sur la rive gauche de la Garonne repéré par les lettres majuscules M, N, O et P.

De nos jours, c'est Urban-Hist, le portail internet du patrimoine toulousain, qui perpétue cette tradition de cartographie archéologique.

Croix de cimetière médiévale à texte occitan conservée au musée des Augustins de Toulouse. Infographie Marc Comelongue d'après un dessin de Paul Mesplé.

Difficile de retrouver des traces archéologiques de l'occitan…


juillet-août 2015

En effet, les rédacteurs d'épitaphes ont souvent préféré la noblesse et l'autorité du latin pour nous transmettre leur message. Néanmoins il existe au musée des Augustins de Toulouse une série de croix de cimetière, datées du 14e siècle, portant des formules rédigées en langue vulgaire telles Aisi jac / Ci-gît ou Dio laja / Que Dieu l'aie. Depuis leur redécouverte dans les sous-sols du musée en 1903 et leur publication dans le catalogue d'Henri Rachou en 1912, ces objets passent pour être d'origine inconnue. La faute en incombe aux générations successives d'archéologues toulousains qui ont si souvent décrié le premier d'entre eux, Alexandre Dumège, au point de ne prendre même plus le temps de le lire en détail. Il suffit pourtant de consulter son article intitulé « Notes sur quelques inscriptions sépulcrales provenant du cimetière de la paroisse St-Michel, à Toulouse », paru dans les Mémoires de l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse de 1854, pour y reconnaître ces croix et localiser leur lieu de trouvaille...

Mais existe-t-il des publications archéologiques en occitan ? A l'issue du Congrès national des Sociétés savantes, tenu à Toulouse en 1971, deux tomes intitulés « Archéologie occitane » furent bien publiés, mais l'on y trouve aucune trace d'un quelconque mot de patois... Il faut remonter le temps jusqu'en 1886 et se déplacer jusqu'aux pré-Pyrénées ariégeoises pour lire sous la plume de Jean Cabibel, curé de Montardit, une « Escursiou scientifico et pittouresco a la grotto d'Enlèno ». L'auteur précise qu'il s'agit d'un « pouèmo tragi-coumiqué» mais décrit bien ce que les chercheurs du 19e siècle ont pu voir dans la caverne d'Enlène, sur la commune de Montesquieu-Avantès, où « lous mes petits coulouers soun remplits cado cop de caousos entassados ». Important habitat magdalénien du Paléolithique supérieur, la grotte recelait « betcop de silex » et de nombreux « coutèts, flèchos, gueillos, rasclets, pigassos et martets, tout è d'os ou dè peïro ». Plus tard, elle abrita une importante nécropole de l'Age du Bronze laissant « forço densès humainos » et quelques objets de parure comme « uno petito dens traoucado per un bout » ou « une lamo de brounzo, à bossos rèpussados, coumo testos de claous roundis et d'un bèch bert ». Il faut noter que la grotte d'Enlène devrait bientôt faire l'objet d'une publication de synthèse sous la direction de Robert Bégouën, à qui l'on doit récemment l'édition de deux importants ouvrages sur les cavernes ornées paléolithiques voisines du Tuc-d'Audoubert et des Trois-Frères.

Antoninianus de Tranquilline conservé au Musée Saint-Raymond et portrait de Charles-Clément Martin de Saint-Amand conservé au Musée des Augustins, infographie Marc Comelongue d'après clichés Musée des Augustins et Jacques Rougé.

Aussitôt trouvé, aussitôt fondu...


juin 2015

Tel fut le destin de nombreuses découvertes archéologiques sous l'Ancien Régime, et notamment des trésors monétaires, car la loi spécifiait qu'ils devaient obligatoirement être vendus à l'hôtel des monnaies de la ville la plus proche pour être fondus et récupérer le métal précieux. L'état, qui avait le monopole de la frappe de la monnaie, s'assurait aussi la maîtrise du marché de la matière première indispensable à sa fabrication. Les sanctions prévoyaient la confiscation et une amende, censées prévenir toute velléité de commerce parallèle et surtout l'exportation hors des frontières du royaume. Néanmoins certains amateurs d'antiquités ont essayé de lutter contre cette logique anti-archéologique.

Le Musée Saint-Raymond, musée des Antiques de notre ville, conserve un important médaillier antique provenant principalement d'un dépôt par l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, constitué à partir de 1763 grâce à l'achat de la collection numismatique de Charles-Clément Martin de Saint-Amand. On y trouve plusieurs monnaies romaines rares aux noms de Pacatien, empereur au règne éphémère (fin 248-début 249), et des impératrices Sabine Tranquilline ou Cornelia Supera. Or ces pièces proviennent d'un même trésor découvert en 1752 près du village ariégeois de Sainte-Suzanne. D'abord dissimulée aux autorités, cette énorme trouvaille de plusieurs dizaine de milliers de monnaies en argent fut rassemblée, après enquête, par le juge des Monnaies à Toulouse. C'est là qu'intervint Martin de Saint-Amand qui, certainement grâce à son poste dans l'administration comme receveur des tabacs, put examiner le lot juste avant sa refonte et acquérir pour sa collection les exemplaires les plus intéressants. La situation est donc paradoxale : c'est donc parce que tout avait été organisé pour qu'il soit finalement détruit en quasi totalité que les monnaies les plus rares de ce trésor ont pu être sauvées. En dehors de leur intérêt purement numismatique ou esthétique, elles peuvent aussi nous renseigner sur des faits historiques. La découverte de plusieurs monnaies, si rares, de Pacatien dans le sud de la France a ainsi été interprétée comme le témoignage de la présence d'une armée romaine provenant des provinces danubiennes, seules contrées où cet empereur usurpateur avait pu exercer, si brièvement, son pouvoir.

Panneau central du sarcophage dit de «La Chasse de Méléagre » conservé au Musée Saint-Raymond de Toulouse, infographie Marc Comelongue d'après Raffaele Garrucci, Storia della arte cristiana,1879.

Archéologue cherche Castor... ou castor ?


mai 2015

Si c'est le héros des mythologies grecque et romaine qui vous intéresse, c'est-à-dire Castor, jumeau de Pollux, il faut se tourner vers le Musée Saint-Raymond. Appelés Dioscures et fréquemment représentés comme des cavaliers armés d'une lance, certains historiens ont cru reconnaître les deux frères sur le panneau central de l'un des plus beaux sarcophages conservés au Musée des Antiques de Toulouse. Ils y encadreraient une scène légendaire où Méléagre tua le sanglier de Calydon. Néanmoins quelques archéologues plus prudents n'y voient que la représentation d'une banale scène de chasse. Par contre si l'on recherche dans le médaillier du musée, nous devrions y trouver Castor, cette fois-ci clairement désigné par son nom, sur le revers d'une monnaie en argent au nom de Geta. Elle fut probablement frappée en l'an 200 de notre ère alors que ce dernier n'était encore que césar sous la tutelle de son père, l'empereur Septime Sévère, au moment où il devint patron de la classe des chevaliers, événement clairement illustré par l'image d'un dieu cavalier. Cette pièce avait d'abord appartenu à l'amateur d'antiquités Charles-Clément Martin de Saint-Amand, puis fut acquise après sa mort en 1763 par l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse. Celle-ci déposa ensuite sa collection numismatique au musée de la ville en 1847.

Mais si vous recherchez des castors, ciblez plutôt les réserves du Muséum d'Histoire naturelle de Toulouse. Le paléontologue Edouard Harlé y signala, en 1899, des restes de ces rongeurs provenant des grottes de Peyre dans l'Aveyron ou de Miguet dans l'Ariège. Concernant le territoire communal, on peut aussi signaler que des ossements de castor furent découverts lors des fouilles qu'André Muller effectua, entre 1972 et 1987, sur le site protohistorique du Cluzel, au nord-ouest du village de Pouvourville.

Travaux autour du Palais des Sports dans les années 1980, Service Technique de la Communication, Ville de Toulouse, IVR73_04313984NUCB.

Sport... Mort... gestion des corps


avril 2015

Après la destruction de la caserne Compans-Caffarelli, le premier bâtiment construit sur son emplacement fut le Palais des Sports, lieu dédié aux manifestations sportives et aux concerts de musique « électrifiée » pendant une vingtaine d'années, à partir de 1983. D'autres aménagements furent bâtis alentour et le creusement d'un parking souterrain réserva une macabre surprise, le 30 novembre 1989. Ce jour-là, des ouvriers découvrirent, dans une cavité maçonnée à 7 mètres de profondeur, une cinquantaine de squelettes humains. Les archéologues dépêchés sur place conclurent à une datation très récente, au vu de la fraîcheur relative des ossements, et passèrent le relais aux experts médicaux-légaux. Ces dépouilles furent inhumées, quelques jours plus tard, dans le cimetière de Cornebarrieu sans que leur origine soit clairement établie : exécutions sommaires pendant la seconde guerre mondiale, victimes de l'épidémie de grippe espagnole de 1918 ou ossuaire rassemblé lors de la désaffectation au 19e siècle du cimetière protestant qui se trouvait non loin de là, rue du Béarnais ? Qui saura ?

Le Palais des Sports fut, quant à lui, démoli en 2004 et remplacé par une nouvelle structure, suite aux dommages irréparables subis lors de l'explosion d'AZF en 2001.

Joseph Mandement sur un radeau, explorant un lac de la grotte de Niaux, infographie Marc Comelongue, d'après un cliché paru dans le journal L'Illustration du 21 février 1925, Archives municipales de Toulouse, REV301

Des médiums aux médias, les moyens  de l’archéologie…


février-mars 2015

Nous avions déjà croisé Joseph Mandement dans un précédent numéro d'Arcanes où nous avions appris que ce toulousain était l'auteur d'un film sur la Préhistoire des Pyrénées et du Périgord diffusé dans les années 1930-1940 et qu'il tenait, à la même époque, une chronique hebdomadaire dans la Dépêche du Midi sur ses découvertes dans les châteaux et les cavernes de l'Ariège. Voici donc pour la partie médias.
Pour la partie médiums, nous avons le témoignage d'une lettre écrite le 10 novembre 1918 par Mandement au préhistorien Emile Cartailhac, dans laquelle il explique que ses recherches étaient guidés par ses défunts parents par l'intermédiaire de son épouse qui était médium. En voici un extrait :

« Mon cher Maître,
 Je vais vous dire la chose la plus étonnante, la plus invraisemblable, la plus folle d'aspect (et j'avoue que si je n'étais pas « scientifiquement » sûr de ce que j'avance et si je n'étais pas, d'autre part, certain que vous avez reconnu en moi des qualités d'homme honnête et sérieux, je n'oserais aller plus loin). Donc la voici. Je vous ai dit que je m'occupais de spiritisme. Je suis, en effet, un privilégié ayant comme médium ma femme… Mes guides permanents sont mon père et ma mère. Je savais qu'ils me suivraient pas à pas dans mon voyage et me protégeraient à chaque instant. Mon père m'avait fait espérer un succès complet et m'avait recommandé beaucoup de prudence et surtout de ne pas faire d'ascension. Je vous assure n'avoir eu qu'une crainte, c'est dans la salle du grand éboulis [à la grotte de Niaux]. A Lombrive [autre grotte ariégeoise], j'ai fait demi-tour sur une crevasse béante – par ordre – il nous sera donné plus tard de savoir si l'appel était exact… A mon retour ici je n'ai pu, la semaine dernière, le temps étant pluvieux et par conséquent contraire aux séances, car quand l'atmosphère est basse, les esprits ont de la gêne dans leur respirations et leurs mots sont pénibles et entrecoupés, avoir que quelques propos intéressants ma famille... Aujourd'hui, le temps s'étant remis au beau, j'ai pu avoir ce soir une conversation assez longue avec mon père. En voici le résumé :
« Je te félicite d'avoir tourné ton intelligence et tes efforts vers des choses scientifiques qui intéressent l'Humanité… Mais je veux te dire mon fils, ceci qui te surprendra, bien que tu aies la foi et sois déjà versé dans le spiritisme, c'est que dans les lieux où tu as travaillé, où vous avez scruté tant de questions qui remontent aux premiers âges, vous étiez accompagnés d'une foule innombrable d'êtres qui ont vécu certains deux ou trois générations et que certains d'entre eux vous frôlaient, comme pour vous souffler l'explication des mystères que vous étudiez…. »
Voilà, mon cher Maître, presque mot à mot la conversation que je viens d'avoir. Vous voyez combien elle est curieuse et grosse de promesses... Nous avons peut-être la possibilité d'avoir le fin mot de tous les mystères des grottes... Je vous certifie d'avoir eu l'impression durant notre visite à Niaux d'être suivi par plus que par mes parents. Mon père m'a dit qu'ils étaient une foule innombrable... »

Cet étonnant courrier fait partie de la correspondance passive d'Emile Cartailhac conservée par l'Association Louis Bégouën. Ces archives font actuellement l'objet d'une campagne de numérisation avec un autre lot de correspondances Cartailhac acquis récemment par le Muséum d'Histoire Naturelle de Toulouse et conservé aux Archives municipales. Elles seront prochainement mises en ligne via le site internet des archives mais aussi par l'Université de Toulouse, autre partenaire de ce projet, sur le portail Tolosana qui présente déjà des documents sur les préhistoriens et paléontologues Edouard et Louis Lartet.

Pour conclure, on sait que Joseph Mandement fit aussi beaucoup appel aux pouvoirs médiumniques de son épouse dans la grotte du Mas-d'Azil pour guider des travaux de désobstruction qui lui permirent de découvrir de nouvelles salles, notamment une importante galerie ornée de dessins paléolithiques. Mais les esprits les plus cartésiens diront que, sur un site comme le Mas-d'Azil, il suffit de creuser assez longtemps pour tomber immanquablement sur quelque chose d'intéressant…

 

Borée et Zéphyr par Pierre Lucas (1692-1752), infographie Marc Comelongue d'après photographies Daniel Martin / Musée des Augustins, musée des beaux-arts de Toulouse.

Toulouse est un pays de vent. Pour « autan », il est difficile de donner une image concrète d'un élément aussi éthéré.


janvier 2015

Dans l'Antiquité, l'allégorie a été utilisée pour résoudre ce problème et l'on peut voir sur les vases produits en Grèce des personnages ailés comme Zéphyr, incarnant le vent d'ouest, ou Borée, représentant l'âpre bise soufflant du nord. En 1843, la ville de Toulouse a acquis de nombreuses poteries grecques ayant appartenu au Comte de Clarac et les Archives municipales en conservent l'acte de vente accompagné d'un inventaire détaillé. Mais ce dernier n'indique pas de représentation d'un moindre souffle d'air dans cette collection maintenant conservée au Musée Saint-Raymond. Tout n'est cependant pas perdu pour les musées toulousains car les artistes des 17e-18e siècles ont repris ces thèmes et le Musée des Augustins possède ainsi deux statuettes en terre cuite représentant Zéphyr, en jeune homme aux joues gonflées, et Borée, en vieil homme grimaçant, de la main de Pierre Lucas (1692-1752). Deux autres sculptures de Zéphyr par François Lucas (1736-1813), fils du précédent, et Marc Arcis (1652-1739) sont aussi conservées dans les réserves du musée des beaux-arts de Toulouse.

www.augustins.org

Coupe grecque à figures rouges découverte au Cluzel en 1976. Infographie Marc Comelongue, des Archives municipales de Toulouse, d'après les archives d'André Muller conservées au Service Régional de l'Archéologie de Midi-Pyrénées.

Un objet archéologique a bien sûr un intérêt par lui-même, mais quelquefois aussi par le périple qu'il a parcouru.


décembre 2014

L'illustration que nous présentons montre un fragment de coupe dite à figures rouges découvert lors de fouilles effectuées en 1976 par André Muller au Cluzel, près de Pouvourville, au sud de la commune de Toulouse. Sa technique ornementale mettait en œuvre un vernis noir dont on se servait pour révéler, en quelque sorte en négatif, des motifs dans les zones non couvertes. Ceux-ci apparaissaient alors en rougeâtre, couleur de l'argile cuite, et nous pouvons apercevoir sur notre exemplaire le visage et les mains tendues d'un personnage sur le médaillon central.
Cette façon de faire n'était pas locale et fut seulement utilisée dans le monde grec et en Italie méridionale au début du second âge du fer. On imagine donc le périlleux voyage de cet objet, somme toute assez fragile, de la Grèce, dont nous savons qu'il est effectivement issu par les caractéristiques de sa pâte, jusqu'à une maison toulousaine du 5e siècle avant notre ère. Les moyens étaient à cette époque bien moins développés que ceux qui permettront, quatre siècles plus tard, de transporter facilement des produits manufacturés dans tous les recoins de l'empire romain. Arrivé sans casse à destination, cet objet exotique a fini par subir, manifestement, le sort commun de toutes les poteries. On le laissa  tomber et il se brisa. Espérons seulement que son propriétaire ait pu en profiter un long moment. Pas très facile de repasser commande...

Cuves de la tannerie découverte en 2013 sous la place Saint-Pierre, cliché Marc Comelongue. Archives municipales de Toulouse, n.c. (détail).

Il est difficile de décrire un site archéologique par son odeur. Elle s’est souvent dispersée depuis longtemps…


octobre-novembre 2014

Il ne nous reste plus que notre imagination pour essayer de recenser les vestiges les plus ex-odorants. En milieu urbain, on pense immédiatement aux latrines, retrouvées fréquemment en fouille. Certaines pouvaient être de véritables monuments comme la tour, et le pont qui y menait, qui servait de lieu d'aisance au couvent des Carmes. Nous en avons déjà parlé dans un précédent numéro d'Arcanes.
L'artisanat pouvait aussi être source de nuisances olfactives. C'est le cas des tanneries qui étaient souvent installées en ville au Moyen Âge et à l'époque moderne. Le Service archéologique de Toulouse Métropole, dirigé par Pierre Pisani, vient d'ailleurs d'étudier les ruines de l'une d'entre elles, sous l'actuelle place Saint-Pierre en bord de Garonne. Ses structures les plus caractéristiques sont les cuves où les peaux étaient mises à tremper, comme le montre la photographie que nous présentons.

Il faut enfin évoquer un édifice très particulier : les fourches patibulaires. Destinées à exposer les corps des condamnés, l'odeur de chair en décomposition qui envahissait le voisinage participait à l'effet de terreur qu'elles étaient censées engendrer. Toulouse en possédait deux sous l'Ancien Régime. Celles du nord se trouvaient à l'embranchement des actuelles avenues de Fronton et des Etats-Unis (Barrière de Paris). Les Archives municipales possèdent le plan d'une « amélioration » qui y fut apportée en 1777 (DD 315) : une roue en fer permettant de varier la « présentation » des cadavres… On ne connaît plus le lieu exact de celles du sud qui devaient se situer aux alentours de la chapelle du Férétra.

Les odeurs peuvent être aussi à l'origine d'un monument. En effet lorsque les Augustins durent justifier l'installation de leur monastère à l'intérieur de Toulouse, dans un procès soutenu contre le chapitre de la cathédrale au 14e siècle, ils déclarèrent que leur premier couvent des faubourgs s'était trouvé trop près des fossés de la ville où s'accumulaient des immondices malodorants. Pour répliquer à cet argument, les chanoines trouvèrent des témoins pour attester que l'air de Toulouse était alors partout de « qualité » égale…

En bas et à droite du plan, vestiges d'une arche et d'une pile hexagonale du pont du Bazacle sur la Garonne, Cadastre de 1680. Archives municipales de Toulouse, CC 130.

Le pont d'Avignon a sa chanson "mès a Tolosa un pont es mai conegut gràcias a una canso"


septembre 2014
Le pont en question est celui du Bazacle, probablement le moins connu de tous ceux qui ont enjambé la Garonne au cours des siècles. La « canso » (en occitan ancien, cançon en occitan moderne) est quant à elle une chanson au sens médiéval du terme, c'est-à-dire un long poème épique écrit en vers, en l'occurrence la Chanson de la Croisade albigeoise. Ce manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale (Ms Fr. 25425 ) décrit, en occitan, les événements qui ont ensanglanté le Midi entre 1209 et 1219. Au mois de juin de cette dernière année, Toulouse s'apprête à soutenir un nouveau siège contre l'armée croisée commandée par le prince Louis et...

... Sus lo pont del Bazagle, qu'es faitz novelamens
Son li arquer mirable, que tiron primamens,
Que defendol ribatge e los abeuramens
Que lunha naus no i venga ni negus malvolens


C'est-à-dire

Sur le pont du Bazacle, nouvellement construit,
Sont postés de remarquables archers, tirant serré,
Qui défendent le rivage et les abreuvoirs
Afin qu'aucun bateau ni aucun ennemi n'y vienne


(Chanson de la croisade, éd. Martin-Chabot, t. III, l. 214 v. 100-103 et note 12, p. 316-318)

Voici donc un indice important sur l'édification de ce pont qui peut être complété par deux autres documents : un testament de l'année 1218, conservé aux Archives départementales de la Haute-Garonne, dans lequel un certain Pons Fournier a fait un don pour son entretien, et peut-être une autre mention de la Canso ayant trait au retour à Toulouse du comte Raymond en septembre 1217. Celui-ci en effet, nous dit le poète, intravit Tholosam mense septembris, non ponte, sed vado sub Vadaculo (entra à Toulouse au mois de septembre non par le pont mais par le gué en-dessous du Bazacle).

Encore cité dans une enquête de 1406, il fut certainement définitivement ruiné lors de la grande inondation de 1413. Ce pont du Bazacle se trouvait quelques mètres en aval de l'actuel pont Saint-Pierre comme en témoignèrent longtemps une arche et une pile, seuls vestiges restés visibles jusqu'à 1710 environ au port de Bidou, qui est devenu l'actuelle place Saint-Pierre. Les plans et le cadastre de la ville du 17e siècle en ont fort heureusement gardé la trace.
Procès-verbal de découverte de la première pierre du monument à Goudouli, 12 mai 1922, dans Travaux publics et voirie. - Fonctionnement : registre de copies de lettres et rapports. Archives municipales de Toulouse, ING 181, pièce n° 265

"Savez-vous où se trouve le monument supportant la statue du poète toulousain Goudouli ?


juin 2014

- Oui, bien sûr ! Au centre de la place Wilson, au milieu d'une belle fontaine.

- Mais n'avait-il pas été prévu de l'ériger initialement sur l'ancienne place Matabiau, l'actuelle place Jeanne-d'Arc ?

- C'est exact ! Mais ce premier projet n'a jamais vu le jour.

- Il s'en est quand même fallu de peu car la première pierre a bien été posée sur la place Matabiau, un certain mercredi 9 août 1898 à 3 heures de l'après-midi, dans le cadre des festivités organisées autour des Cadets de Gascogne.

- Et vous avez des preuves de ça ?

- Oui ! Il suffit de consulter le numéro de l'Express du Midi daté du lendemain sur le site de la Bibliothèque municipale de Toulouse. Et puis aux Archives municipales vous trouverez le récit de la redécouverte quasi-archéologique de cette pierre ! »
 
En effet, l'Ingénieur de la Ville témoigne que la première pierre du monument de Goudouli a bien été retrouvée et descellée le 12 mai 1922, à 10 heures du matin, sur la place Matabiau. Elle contenait un nœud de ruban tricolore et des débris de parchemin illisibles, mais, au grand regret de l'Ingénieur, « contrairement à la légende, il n'existait aucune pièce de monnaie dans cette pierre »… Pas très poétique comme préoccupation...

« Plan de Tolose divisé en huict capitoulats » (détail), 1678, Albert Jouvin de Rochefort, Gravure sur cuivre ; Nicolas de Fer, Paris, 52 x 62,5 cm. Musée Paul-Dupuy, Inv. 1.341.

Quelques fantômes errent dans les arcanes de l'archéologie toulousaine et certains d'entre eux sont de sexe féminin.


mai 2014

Nous avons fait connaissance, dans le précédent numéro d'Arcanes, avec le spectre pariétal d'une jeune fille qui hante les caves de l'hôtel Saint-Jean. Cette fois-ci nous allons évoquer une reine répondant au surnom curieux de Pédauque ou Pé-d'auco, forme occitane que l'on peut traduire en français par Pied-d'oie.

L'historien Nicolas Bertrand nous a conté, le premier en 1517, son histoire : Pédauque, alias Austris de son vrai nom, aurait été la fille d'un certain Marcellus, ancien roi de Toulouse. Atteinte de la lèpre, elle se serait alors convertie au christianisme. Bertrand nous donne aussi des indications topographiques. Résidant sur la rive gauche de la Garonne, dans l'actuel quartier Saint-Cyprien, elle y aurait construit des bains portant son nom, attrait pour l'eau bien compréhensible pour une reine au pied palmé. Elle aurait aussi bâti un pont sur la Garonne et aurait été ensevelie à l'église de la Daurade. Ces endroits ont-ils créé la légende ou bien la légende a-t-elle trouvé des lieux pour s'enraciner, selon le paradoxe bien connu de l'œuf ou de la poule, à laquelle les Toulousains aurait substitué une oie ?

En tout cas, Bertrand n'a pas tout inventé puisque le cadastre de 1478 confirme, dès cette époque, l'existence des Bainhs de la Regina Pedauca. Ce site, décrit au 18e siècle par l'ingénieur de Saget et disparu depuis, semble avoir été un réservoir lié à l'aqueduc antique qui avait alimenté Tolosa romaine. Aqueduc qui, d'ailleurs, avait traversé la Garonne sur le pont de Pedauco, comme le montre et le nomme le plan de Jouvin de Rochefort gravé vers 1680, époque où il n'en restait plus que les piles ruinées.

Enfin pour l'église de la Daurade, la présence de la reine avait longtemps été attestée par un couvercle de sarcophage décoré où la scène centrale, Jésus ressuscitant Lazare, était encadrée par des pieds palmés, preuve évidente pour des témoins crédules. Démonté au 18e siècle, ce monument est maintenant conservé au Musée Saint-Raymond et nous vous invitons à le découvrir pour vous rendre compte par vous-mêmes que ces fameux pieds d'oie ne pourraient être que de simples rideaux dont les plis supérieurs forment un éventail au contact de la tringle qui les supporte…

Au final, cette histoire curieuse, et pas complètement élucidée nous en convenons, aura fait couler beaucoup d'encre et user beaucoup de plumes (d'oie évidemment).

Enfeus de l'église Saint-Jean lors de leur dégagement, auteur Jean-François Peiré, 1997. Inventaire général Région Midi-Pyrénées, 19973101685ZA, détail.

Si vous entendez un archéologue crier « en-feu » « en-feu » !, il est inutile d'appeler les pompiers ou de s'enfuir en courant…


avril 2014

Au contraire, il vaut mieux rester pour profiter d'une trouvaille intéressante car les enfeus n'ont rien à voir avec une quelconque émission de flamme mais puisent leur étymologie dans le verbe « enfouir ». Ce sont en fait des tombeaux monumentaux aménagés dans une arcature murale.

A ce sujet, Toulouse a d'ailleurs été récemment le théâtre d'une découverte exceptionnelle. Lors du réaménagement de l'Hôtel Saint-jean, ancien prieuré de l'ordre de Malte, en 1997, il a été constaté l'existence d'un espace inaccessible délimité par quatre murs montant de la cave jusqu'au premier étage et formant un réduit entièrement comblé de gravas. Rien de tel pour réveiller la curiosité des archéologues et les inciter à creuser pour découvrir, avec surprise, l'incroyable façade d'une église disparue ornée de deux enfeus, chacun ayant un intérêt particulier. Pour l'un, ce sont des peintures du 13e siècle représentant saint Jacques, des anges et un mystérieux personnage auréolé et cornu qui pose bien des questions aux historiens de l'art. L'autre contient un très beau sarcophage orné d'une gisante sur son couvercle, c'est-à-dire une statue couchée représentant une jeune femme dont on ignore encore l'identité malgré son blason à tour crénelée gravé dans la pierre. Espérons que ces merveilles seront bientôt restaurées et accessibles à la visite.

Sarcophage à la gisante, auteur Jean-François Peiré, 1998. Inventaire général Région Midi-Pyrénées, 19983100654XA.

Sarcophage à la gisante, auteur Jean-François Peiré, 1998. Inventaire général Région Midi-Pyrénées, 19983100654XA.

Attention : il ne faut pas confondre « enfeu de Saint-Jean » et « feu de la Saint-Jean »…

Coupe hémisphérique en céramique sigillée découverte à Montans, tirage papier, auteur Elie Rossignol, 1862. Collection Marc Comelongue.

Les Toulousains du début de l'époque romaine avaient une couleur préférée pour leur vaisselle de table : le rouge.


mars 2014

Cette céramique recouverte d'un vernis écarlate et souvent décorée, notamment de représentations humaines ou animales, a été nommée « sigillée » par les archéologues car elle porte aussi quelquefois une estampille au nom du fabricant, sigillum en latin. Sa fabrication quasiment industrielle n'était assurée que par quelques centres spécialisés et c'est surtout à Montans, dans le Tarn, que Toulouse s'approvisionna aux 1er et 2e siècles de notre ère.

Ce goût pour la poterie antique montanaise perdura d'ailleurs quelques temps puisqu'on en importa à Toulouse au 19e siècle… Il faut quand même avouer que le contexte était un peu différent. Vers 1860, l'archéologue tarnais Elie Rossignol retrouva et fouilla les fours de production romains de Montans, récoltant ainsi de nombreux restes de vases ou de moules ayant servi à les fabriquer. Sa collection était si intéressante que le Musée de Toulouse décida de l'acquérir. Entre temps, Elie Rossignol avait pris soin de photographier les plus beaux spécimens comme le montre l'illustration présentée ici, à laquelle on peut juste reprocher sa monochromie incapable de révéler ce rouge si caractéristique.

Porte de l'ancien Grand Consistoire, photographie NB, Adolphe Giraudon, vers 1885-1932. Archives municipales de Toulouse, BA 4/14.

Si les Capitouls qui dirigeaient Toulouse sous l'Ancien Régime étaient élus pour un an, ils avaient l'habitude de présenter leur action sur un calendrier qui en couvrait deux.


février 2014

L'explication en est toute simple. A l'instar de nos années scolaires actuelles, leur mandat courait en fait sur deux années, commençant et finissant au mois de décembre. Ce système de double date était surtout visible sur les blasons capitulaires que nos édiles locaux apposaient sur tous les bâtiments qui étaient construits sous leur responsabilité. Malheureusement, il ne reste pratiquement plus de ces sculptures que l'on voyait dans toute la ville avant que le vandalisme révolutionnaire ne les efface. L'une d'elles avait déjà été présentée dans un précédent Arcanes, le numéro 26 d'août 2012. Arborant la date 1600-1601, elle décorait l'ancienne École de médecine, rue des Lois, et orne maintenant une salle de la Faculté construite sur les allées Jules-Guesde. Un autre exemple représente prestigieusement la sculpture toulousaine au Louvre. Il s'agit de la porte du Grand Consistoire qui fut démoli en 1885 pour aménager l'actuel square Charles-de-Gaulle, derrière le Capitole. Vendue à des collectionneurs, elle fut d'abord remontée dans un parc, comme le montre la photographie que nous présentons, avant d'être finalement donnée au musée parisien par Maurice Fenaille en 1932. Elle porte comme date ce qu'on lit ISSI-ISSZ, conséquence de la fantaisie du sculpteur, et qu'il faut évidemment lire 1551-1552.

Extrait d'un courrier de l'abbé Bertrand à Michelet d'Ennery, 16 juin 1782. Archives municipales de Toulouse, 1 Z 485

Quand un archéologue du 18e siècle écrit à l'un de ses collègues, il s'enquiert d'abord de savoir s'il est vivant…


janvier 2014

C'est ainsi que l'abbé Bertrand, antiquaire toulousain, indique dans sa réponse datée du 16 juin 1782 à Michelet d'Ennery, numismate parisien, qu'il a survécu à l'épidémie de suette qui venait de tuer près de 200 personnes à Toulouse en une douzaine de jours.

En fait celle-ci avait épargné les enfants et les vieillards, les « antiques » comme le dit la lettre, et plutôt frappé les « modernes et du moyen age », selon l'étonnante échelle des âges utilisée par l'abbé. Cette maladie contagieuse, qui s'est manifestée pour la dernière fois en France au début du 20e siècle, reste mal connue faute d'avoir pu l'étudier récemment.

Ce courrier est une acquisition récente des Archives municipales et son autre intérêt réside en ce que notre survivant abbé y indique qu'il possède une monnaie en or blanc montrant à l'avers une tête barbarement dessinée accompagnée de la légende Tholosa, et au revers une croix entourée des mots moneta maior. C'est, semble-t-il, la première fois qu'est mentionné ce que l'on peut aisément identifier comme un tiers de sou d'or mérovingien au nom de Toulouse datant du 7e siècle, époque où la qualité des monnaies, que ce soit pour la matière ou pour le dessin, était souvent médiocre. L'archéologue Alexandre Dumège qui connaissait cette pièce de la collection Bertrand, l'a d'ailleurs publiée et décrite ainsi dans sa réédition de l'Histoire Générale de Languedoc en 1840.