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De la sellette à la selle, il n'y a qu'un pas

"De algemeene drukkery" [Le besoin général], détail d'une vignette sur une planche de quinze, gravée chez Dirk van Lubeek à Rotterdam (vers 1800-1816). Rijksmuseum Amsterdam, RP-P-1936-522.

De la sellette à la selle, il n'y a qu'un pas


novembre 2025

Lorsqu'un accusé est interrogé par les capitouls sur la sellette, c'est un peu comme si son sort était déjà scellé ; en effet, ce dernier interrogatoire annonce généralement que l'individu est passible, au mieux d'une peine infamante, sinon d'une peine afflictive – qui va le toucher dans son corps. 

Cela dit, notre accusé, bientôt condamné, ne sait pas encore ce qui l'attend. Il ne sera même pas présent lors du prononcé de sa peine ; pour cela, il lui faut attendre, bien au chaud dans les geôles de l'hôtel de ville, qu'un greffier vienne lui lire la sentence. Ce temps d'attente dans les prisons n'est guère une invitation à la rêverie, et certains vont mettre à profit les dernières heures avant le fouet, la marque au fer rouge ou la corde, pour tenter de se faire la belle : c'est maintenant ou jamais. 

Là, deux solutions s'offrent à eux : soit percer un trou dans le mur, soit prendre la voie souterraine par les latrines. La deuxième option est certainement la plus périlleuse puisque Pierre Barthès, dans ses chroniques, relate un échec cuisant arrivé en 1742 : « La nuit du 4 au 5 de ce mois, troix prisonniers du Sénéchal [...] ayant formé le dessein de s'en aller, tentèrent leur évasion par les lieux communs de cette même prison, où, étant descendus l'un après l'autre, ils s'étouffèrent dans la matière contenue dans ce lieu, d'où on les sortit le lendemain dans l'état qu'on peut s'imaginer. On les lava et on les exposa pendant le jour, tout nuds à la veue du public dans la cour du Sénéchal, et la nuit suivante on les mit tous les troix dans un trou au cimetière du Taur »1. Bref, voie sans issue. 

Mais, quarante ans plus tard, ayant probablement su tirer des leçons de l'expérimentation malheureuse de leurs prédécesseurs, les nommés Coustele, Montagut, Bouquiès, Marie-Anne Rousse et Martine retentent l'expérience dans les prisons de l'hôtel de ville. Les hommes commencent par percer un mur qui les sépare des prisons des femmes, rejoignent celles-ci, puis se rendent incontinent dans les lieux communs à elles destinés. Là, unissant leurs efforts, la petite équipe de quatre déplace « la pierre formant les sièges pour lesdites latrines, qui est de six pams quatre pouces de longueur sur deux pams deux pousses de largeur et sept pouces d'épaisseur »2, enlève une « des barres de fer qui traversoit le trou du milieu de lad[i]te pierre où s'échapent les matières fécales ». Ils touchent presque au but, finissent d'agrandir le trou, se retrouvent dans une courette sans issue qui sert de poulailler3 et, par miracle, une échelle à bras s'offre à eux. Le reste est un jeu d'enfant : il suffit de grimper les barreaux, de pousser la fenêtre du logis des demoiselles Lozes, épouse et fille du bedeau des capitouls, de traverser leur appartement – devant des Lozes stupéfaites – et de là passer à la rue. Voilà, c'est fait : nos comparses doivent pousser un grand soupir de soulagement, ils sont libres4

Pour en savoir plus sur ces deux thématiques qui a priori n'ont rien en commun, n'hésitez pas à vous plonger dans la lecture des dossiers des Bas-Fonds : Le grand soulagement (n° 24, de décembre 2017), et La grande évasion (n°33, de septembre 2018).

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1- Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms. 699, p. 101, entrée du 5 septembre 1742.
2- FF 826/7, procédure # 151, du 24 décembre 1782.
3- Oui, un poulailler au cœur de l'hôtel de ville !
4- Sauf que la seule Martine n'en profitera guère, elle sera reprise peu après.