L'image du moi(s)
Chaque mois, petit billet d'humeur et d'humour à partir d'images conservées aux Archives. Forcément décalé !
« On choisit ses copains mais rarement sa famille » disait un chanteur populaire des années quatre-vingt. Phrase à méditer à l’approche des fêtes de fin d’année. Car, à y regarder de plus près, on a tous un grand-père un peu réac’ qui passe son temps à vilipender les jeunes et la société qui part à vau-l’eau. On a tous un cousin un peu dingue qui collectionne les armes de guerre dans un coin perdu de la montagne. On a tous une belle-sœur férue d’astrologie qui ne peut absolument pas s’entendre avec les « Scorpions ». Réunissez tout ce beau monde pour une soirée, et saupoudrez le tout de jalousies et de querelles intestines, et vous obtiendrez un résultat bien éloigné du fameux esprit de Noël.
Et pourtant, même ces réveillons, virant parfois à la catastrophe, en viendraient presque à nous manquer dans le contexte actuel. D’autant qu’il faut être honnête, ça se passe aussi souvent très bien. Pour ma part, j’ai de nombreux souvenirs amusants avec mes oncles. Il y en avait un qui était inspecteur des impôts et qui, après un verre ou deux, traitait à peu près tout le monde de « bourgeois capitaliste ». Je me souviens du regard ahuri de ma nièce lorsque cela lui est arrivé pour la première fois. À l’opposé, un autre parlait exclusivement de la Bourse et du CAC 40 dans des termes si ésotériques que personne ne pouvait soutenir une discussion avec lui plus d’une minute.
Et puis il y avait mon préféré. Petit bonhomme, mais grand mangeur, grand buveur et grand fumeur ; toujours à essayer de modérer ses excès sans jamais y parvenir. Passé du maoïsme orthodoxe au catholicisme traditionnel, lorsqu’il engageait la conversation cela faisait toujours des étincelles. Il achetait systématiquement les derniers gadgets à la mode et des cadeaux incroyables à ses enfants, et y jouait des heures durant. Une véritable tempête miniature dont le rire ravageur emportait tout sur son passage. Salut Tonton ! Si tu pouvais descendre du ciel, de temps en temps, ce serait chouette.
En général, je ne suis pas superstitieux, mais quand vient septembre, je ne fais pas trop le malin. Mes mains ne semblent pas avoir assez de doigts à croiser pour conjurer le mauvais sort. La moindre promenade se rallonge singulièrement pour éviter chats noirs, échelles et autres corbeaux. Certes, ce mois a été le théâtre d’évènements assez terribles, mais l’honnêteté m’oblige à reconnaître que ces manies n’y sont en rien reliées. Elles trouvent leur origine dans un micro-cataclysme annuel : la rentrée des classes.
Eh oui ! Qu’y puis-je ? Je suis un « hater » de rentrée. Et je l’ai toujours été. C’est ainsi qu’enfant, après avoir tenté en vain tous les stratagèmes d’évitements rationnels, j’en suis venu aux croyances moins cartésiennes. Par exemple, réussir un ricochet de huit coups était le gage du déclenchement d’une grève générale la veille de la date fatale. Traverser le quartier sans marcher sur aucune lézarde du goudron aurait pour conséquence l’apparition de fissures sur les murs de l’école au point de la rendre insalubre pour des élèves, etc.
C’était déjà absurde à l’époque, ça l’est d’autant plus aujourd’hui. Et pourtant, bien que je sois adulte et déscolarisé, la perspective de septembre réactive en moi ces tocs irrationnels. Comme s’il était possible d’éviter l’inévitable. Il y aura toujours une rentrée, il faut s’y résoudre. Et puis c’est tout de même le temps des retrouvailles avec les copains et des rencontres avec de nouvelles têtes. Une occasion rituelle de briser la glace. Mince ! Sept ans de malheur !
« Sors ! Sors ! Sors ! ». Cette injonction lancée par les candidats d’un célèbre jeu télévisé se déroulant dans un fort au large de l’île d’Aix, a dû trotter dans la tête de nombre de nos concitoyens durant les mois de confinement. Au point sûrement d’en devenir une obsession. D’autant qu’à l’issue de cette période, tous n’ont pas pu, pour diverses raisons, aller respirer l’air de nos campagnes. C’est donc avec impatience qu’ils ont guetté l’arrivée du mois considéré comme celui des vacances par excellence, j’ai nommé : août.
Il ne doit pas seulement cette réputation aux aoûtats, le cauchemar des campeurs. Ni aux aoûtiens, qui pourraient aussi bien s’appeler « aoûtistes », alors que les juilletistes seraient ridicules en « juilletiens ». Mais bien à l’ « août-back », cet arrière-pays momentanément vidé de sa population, où les commerces affichent tous le même panneau : « Fermé pour cause de congés annuels », et qui symbolise si parfaitement la période estivale. Certes, ledit pays n’est pas aussi sauvage que son homonyme australien, mais il est au moins aussi désert.
Car tous les ex-reclus vont partir se mettre au vert, et surtout au soleil, histoire de perdre leur teint d’endive. Allez ! Hâlez ! À la plage ou à la montagne. Allez ! Hâlez ! Sur un transat ou à vélo. Faites le plein de vitamine D. Vous aurez, en plus de l’habituelle marque du maillot ou du sempiternel bronzage agricole, le tout nouveau carré blanc Corona qui viendra élégamment agrémenter votre visage. Une péripétie bien futile alors que, dans l’ombre d’une fosse nasale, le virus guette.
Je m’adresse à toi, le « tongiste » en bob Ricard et maillot lycra ; à toi, le « bermudiste » en chaussures bateau et chapeau de paille ; à vous tous les touristes autochtones de France. Cette année, vous verrez peu le teint écrevisse des Anglais brûlés par le soleil ; vous ne pourrez plus vous moquer des Birkenstock aux pieds blafards de nos amis d’Outre-Rhin ; les Belges et leur sempiternelle « petite bière » ne seront plus là pour égayer vos soirées ; quant aux Hollandais, à ne pas confondre avec les précédents, bien que cumulant les mêmes caractéristiques, les accents gutturaux de leur langue ne résonneront plus dans les campings nudistes. Cette année, il n’y aura que vous, et les professionnels du tourisme français comptent bien sur votre présence.
Ce sera donc à vous d’aller visiter le musée des Châteaux en allumettes à Treffléan (Morbihan) ou celui de la Boîte ancienne en fer blanc à Francescas (Lot-et-Garonne) ou encore celui du Peigne et de la Plasturgie à Oyonnax (Ain). À vous d’aller goûter des spécialités locales sur les marchés nocturnes en écoutant le vendeur vous en détailler toutes les étapes de fabrication (vous auriez préféré les connaître avant dégustation). L’occasion pour vous d’acheter un porte-clés en bois flotté réalisé par un artisan-philosophe qui, malgré tout, garde le sens des affaires au vu du prix. À vous les taureau-piscine et leurs vachettes faméliques pataugeant dans une piscine gonflable, harcelées par des cacous de plage frimant devant leurs cagoles. À vous toutes ces réjouissances estivales et pas question d’en esquiver une. Le pays a besoin de vous.
Une fois n'est pas coutume, le mois de juin sera, pour de nombreux écoliers, collégiens et lycéens, le temps du retour en classe. Il paraît qu'ils en meurent d'envie. C'est possible. Pour ma part, sans vouloir sombrer dans le complotisme, je pense que les parents ont fomenté une vaste conspiration visant à se débarrasser, pour quelques semaines, de leurs chers bambins avant de devoir les récupérer pour les vacances. Il suffit d'écouter les interviews d'enfants « impatients » pour s'en convaincre : les même mots, les mêmes idées, les mêmes regards inquiets vers leurs père et mère au bord de la crise de nerf.
Ceci dit, juin est une période particulière pour les marmots scolarisés. Si j'avais dû choisir, à l'époque, mon mois d'école favori, il se serait immédiatement porté sur le sixième de l'année. D'une part, c'était le dernier et d'autre part on ne croulait pas sous le travail. Je me souviens même qu'au primaire des tombolas étaient organisées pour nous occuper. J'y avais gagné un magnifique Goldorak en plastique. Seulement, l'élève qui, dans un premier temps, l'avait donné en lot, a finalement voulu le récupérer à la sortie. Notre désaccord a pris un cours pugilistique. De retour à la maison, j'ai senti dans le regard courroucé de ma mère que mon accoutrement, mi-dépenaillé, mi-déchiré, manquait singulièrement d'élégance.
Qui aurait pu prévoir, il y a quelques semaines encore, que des hordes d'enfants piafferaient d'impatience à la simple idée d'aller user leur fond de culotte sur les chaises spartiates des écoles, collèges et lycées ?
Qui aurait pu imaginer, en dehors des natifs des lieux, que la possibilité d'un voyage à Castres ou Lavelanet nous remplissent d'une joie incommensurable ?
Qui aurait pu croire, contre toute attente, que la perspective de retourner au bureau ou à l'usine suscite un tel engouement au sein de la population ?
Sûrement pas moi.
Et pourtant, en ce mois de mai 2020, toutes ces choses que nous faisions par habitude, avec plus ou moins d'allant, se trouvent présentement nimbées d'une aura désirable. Se lever aux aurores, se doucher, petit-déjeuner sur le pouce, prendre sa voiture, éviter les embouteillages (ou pas), ce n'est plus juste une routine : maintenant, c'est devenu beau. L'expression « faire de sa vie une œuvre » prend dès lors une signification singulièrement concrète. Tout est question d'état d'esprit. Mais ne nous berçons pas d'illusions : ce sentiment sera fugace et vivra probablement ce que vivent les roses… ou les brins de muguet.
Vue depuis sa fenêtre, la ville paraît irréelle. Une sorte de théâtre dans lequel passent quelques silhouettes de figurants. Le spectacle est encore plus saisissant quand vient la nuit. Les effets de lumière ajoutent encore à l’illusion. On croirait, comme sur cette photographie, que les bâtiments ont été peints sur une toile à la façon des anciens décors d’opéra. Ou alors, c’est juste le confinement qui nous tape sur le système.
Néanmoins, qui s’est aventuré dans les rues de Toulouse ces dernières semaines a forcément eu cette étrange sensation, au vu des devantures de commerce fermées et de l’absence de passants, de déambuler à l’intérieur d’un film catastrophe ou de visiter la ville au mois d’août.
Le fléau est réel, nous le savons, mais il vient faire écho aux représentations imaginaires qui constituent notre psyché. On pense à ces fictions post-apocalyptiques telles Le monde, la chair et le diable (1959) où le survivant hagard d’une guerre nucléaire marche dans les rues d’un New York désert.
En conclusion et pour rester sur la Big Apple, je paraphraserai un célèbre groupe de rap parodique des années 1990 : « New York, Los Angeles, Boston ou Toulouse, c’est le même destin. Alors prends-toi en main ! ». Et c’est grâce à ceux qui se prennent en main que nous parvenons à voir la lumière au bout du tunnel et accessoirement au bout du mois d’avril.
Lorsque les beaux jours faisaient leur apparition, au mois de mars, nous en profitions tous pour ressortir nos vélos. Il fallait serrer quelques vis, graisser un moyeu, regonfler une chambre à air, et nous étions fin prêts. Prêts à quoi ? A faire probablement les choses les plus stupides envisageables sur deux roues : s'accrocher aux voitures, organiser des tournois de chevaliers cyclistes - où les participants s'escrimaient à faire tomber leurs adversaires à coups de lances de bois, ou encore à se lancer dans des courses à fond dans la descente la plus raide du voisinage qui se terminait, bien sûr, par un magnifique virage. J'y ai frôlé, je crois, plusieurs fois la mort et de nombreuses Renault 5 ou Peugeot 205.
Mais la péripétie cycliste la plus stupide que j'ai pu commettre de ma vie a certainement été d'emprunter le vélo d'un copain allemand. Ces satanées bicyclettes d'Outre-Rhin et leur fameux retropédalage « verboten ». Car sur ce type d'engin, si vous aviez le malheur de faire tourner le pédalier dans le mauvais sens, vous bloquiez instantanément la roue arrière. Quand on a fait ses premières armes sur ces machines, cela va de soi. Mais quand ce n'est pas le cas, c'est plus compliqué.
Effectivement, le cerveau a beau être au courant, le reste du corps demeure parfois aux abonnés absents. Ainsi, vous abordez un tournant à grande vitesse et vous essayez, pour le faire idéalement, de repositionner la pédale d’un cycle teuton par un léger mouvement arrière, et vous vous vautrez lamentablement. Mais le plus difficile, ce n’est pas la chute, le plus difficile c’est de garder sa dignité en traversant le quartier, boitillant, sanguinolent, traînant derrière soi les vestiges d’une bicyclette d’emprunt.
Ainsi, malgré ses promesses sucrées, février nous apporte essentiellement des tracas morbides. Soit on est malade, et ce n'est pas bien drôle, soit on vit dans l'inquiétude de le devenir, et c'est épuisant. Et comme si cela ne suffisait pas, on est tenus de suivre en direct l'évolution des épidémies saisonnières : la grippe est à Tataouine, la gastro à Trifouillis et la bronchite à peu près partout. Pour « couronner » le tout, de temps en temps, une pandémie apparaît. Non contente de se diffuser dans les populations du monde entier, elle contamine les médias. En quelques jours, tout le monde est sommé de se rendre à l'évidence : la peste noire 2.0 est à nos portes. Viralité, quand tu nous tiens...
À l'instar des jours, il existe des soirées « avec » et des soirées « sans ». Bizarrement, la fête du jour de l'an fait souvent partie de cette seconde catégorie. Non pas qu'elle soit systématiquement ratée, mais généralement, quand tout se passe bien, on ne s'en souvient pas. En revanche, on a tous en mémoire quelques grands ratages qui, rétrospectivement, nous paraissent cocasses, mais qui, sur le moment, ne nous amusent guère. Ainsi l'expression consacrée « plus tard on en rira » est modérément appréciée par le fêtard malade à la recherche d'une pharmacie de garde dans la ville déserte.
Autre cas de figure, vous décidez avec votre bande d'amis, de faire la tournée des bars pour ladite soirée et de passer minuit place du Capitole. Mais malheureusement vous n'avez pas songé que l'un des comparses, lorsque l'alcool commence à couler, a une fâcheuse tendance à l'embrouille via la distribution de noms d'oiseaux, voire de châtaignes. La nuit se passe donc en infinies négociations pour éviter la bagarre générale. À défaut d'amusement, vous faites l'apprentissage de la diplomatie en terrain éthylique.
Grand classique de la Saint-Sylvestre encore. On vous propose de célébrer la fin de l'année avec des gens super dans une grande maison, loin de tout, où on pourra faire une fête d'enfer jusqu'à pas d'heure. On peut même vous y emmener. Vous faites l'erreur d'accepter. Une fois sur place vous constatez que si la demeure paraît vaste, c'est qu'elle est quasi vide. Quant au ravitaillement, on a fait dans le basique. Vous vous retrouvez donc coupé du monde avec une demi douzaine d'individus que vous connaissez à peine, du pastis, des chips, et vous vous dites que les heures à venir vont être vraiment longues.