ARCANES, la lettre

Dans les fonds de


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Dans les fonds de", dédiée à la présentation de documents issus de nos fonds.

DANS LES FONDS DE


[Fou, ou possédé, cabriolant sur son lit]. Gravure anonyme, vers 1659. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-81.862.

… à dormir debout


avril 2024

Dans l'inépuisable fonds d'archives des affaires criminelles des capitouls, nombre de situations décrites, tant par les plaignants que les témoins, nombre d'excuses fournies par les accusés, donnent quelquefois matière à de véritables histoires à dormir debout sorties tout droit de l'imagination des uns et des autres.
Les plus flagrantes se trouvent dans les plaintes pour cas (supposés) d'adultère. Là, les plaintes portées par les maris1 donnent déjà le ton : invariablement leurs épouses volages se prostituent outrageusement, dilapident les biens du foyer et, pour la bonne mesure, s'arment de poignards, de pistolets et de poison afin se débarrasser de ces maris gênants. Tout ceci n'est que rhétorique attendue, bien loin de la réalité et, finalement, assez peu efficace.
Lors du procès fait à Honorée C. en 1772 ; la plainte portée par Joseph Dardene, son mari, est en tout point conforme à cette norme, si ce n'est qu'en plus l'épouse, un temps enfermée au couvent du Refuge2, s'en est évadée « par le secours de ses draps et de quelques personnes inconnues qui lui tinrent la main pour cet effet »3.

Mais le meilleur reste à venir : en effet, les témoins soigneusement choisis par les plaignants, s'en donnent à cœur-joie. C'est à qui inventera avoir assisté aux scènes les plus scabreuses, presque orgiaques. La chose est d'autant plus perceptible lorsqu'il s'agit de jeunes témoins qui, quelquefois peu au fait des choses de l'amour, s'ingénient à inventer des situations qui défient les lois de la mécanique des corps et de la gravité.
Nous vous en ferons grâce ici, nous bornant au seul cas de mademoiselle de L, fille d'un conseiller au parlement, et épouse de monsieur de P., substitut du procureur général au parlement4.
En 1741, après avoir quitté son mari pour la deuxième ou troisième fois dans l'année, supposément pour rejoindre un comédien, elle aurait vidé les armoires de la maison conjugale. Jusque là, tout reste plausible. Et voilà que les témoins viennent déposer. Ils se complaisent à lui attribuer une troupe entière de galants, mais cela reste timide, on ne leur rien vu faire ensemble. Voilà qui est gênant dans un tel procès. Heureusement pour monsieur de P., la déposition de Jeanne G. vient à point : selon elle, mademoiselle de L. serait enceinte du fameux comédien, mieux, ils auraient fait cela au nez et à la barbe du mari alors qu'il dormait profondément. Et puis vient le pompon : « elle avoit toujours eu des galans depuis l'âge d'onze ans , auquel tems elle étoit penssionnaire à Grenade. Que pour sortir du couvent elle se frottoit les bras et les mains avec des orties pour se faire venir du mal, dizant à la suppérieure du couvent qu'elle avoit la gale et qu'elle avoit besoin de s'aler baigner ».
D'autres témoins, plus timides pourtant, évoquent qui un escalier dérobé, qui une porte condamnée que l'on fait rouvrir, qui un déguisement d'amazone ; bref, nous sommes littéralement transportés dans un roman ; à tel point que l'on pourrait presque imaginer que ces témoins ont lu l'Histoire de dom B…, ouvrage licencieux précisément édité en cette même année 1741.
Trois siècles plus tard, nous ne pouvons qu'être fascinés par ces contes souvent immoraux, mais qui finalement portent en eux une morale : le mensonge exagéré ne paie pas, puisque quasiment aucun de ces maris n'arrivera à obtenir gain de cause devant les capitouls ; pire certains se voient ensuite poursuivis pour diffamation et subornation de témoins.

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1. Les femmes ne peuvent pas poursuivre leurs époux sur ce chef d'accusation.
2. Lieu de « pénitence » pour les femmes mariées.
3. A.M.T., FF 816/2, procédure # 026, du 23 février 1772.
4. A.M.T., FF 785/3, procédure # 062, du 2 mai 1741.

Parapluie. Facture néerlandaise. Vers 1770-1780, avec restauration visible d'éléments vers 1890-1910. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° BK-1967-92.

Il fait un temps de...


mars 2024

Nos fonds d'archives n’ont jusqu'à présent révélé aucun grand cataclysme comparable à cette pluie et invasion de grenouilles évoquée parmi les dix plaies d'Égypte ; mais on y trouve toutefois au fil des chroniques des capitouls nombre d'événements climatiques extrêmes qui ont frappé leurs contemporains."Pluviôse" - série des mois du calendrier républicain. gravure de Salvatore Tresca, d'après une oeuvre de Louis Lafitte, vers 1792-1794. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-2017-6023-5.
À Toulouse comme ailleurs, les chercheurs ont su mettre en évidence les grands cataclysmes, les dérangements du temps comme les cycles réguliers du climat. Cette histoire globale, qui a su mobiliser historiens et scientifiques les plus divers, a suscité depuis une quinzaine d’années un formidable écho dans nos préoccupations actuelles.
Mais il reste encore tout un pan à explorer, cette fois à une échelle microscopique. Quel était le ressenti de chacun devant une ondée, une grosse pluie, un orage, un coup de vent ? Comment prévoyait-on le temps avant l'invention de la grenouille du bocal et de l'échelle ? Comment s'habillait-on en cas de pluie ? Quelles activités cessaient en laissant passer l'orage et quelles autres en faisaient fi.
Après avoir posé des premiers jalons lors du VIe Congrès des archivistes de l’Arc Alpin1, les sources d'archives liées au ressenti climatique à Toulouse sous l'Ancien Régime ne cessent d’émerger : chroniques des Annales manuscrites, registres de délibérations, de comptabilité, des rondes du guet, sans oublier les procédures criminelles des capitouls qui révèlent des possibilités souvent insoupçonnées.
Le ressenti de nos aînés face à une météo aussi bien ordinaire que déchaînée attend désormais son chercheur ; un atelier public y sera d'ailleurs consacré en automne prochain, avec comme point de départ une mort suspecte dans une flaque...

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1 - Dont les actes ont été publiés dans La Gazette des archives, n°230, 2013-2. "Les sources d’archives pour l’étude du climat et de l’environnement", pour Toulouse, voir plus particulièrement p. 230-238.

"Ventouse donnée à Ragotin", planche gravée [entre 1705 et 1772] d'après Jean-Baptiste Oudry, d'une série illustrant des scènes du Roman Comique de Scarron. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-71.706.

Fai(te)s-moi mal Johnny Johnny...


février 2024

Après l’atelier « Champs Troubles » du 3 février dernier – où les participants se sont penchés sur les déboires de Nicolas Ramondis, ce pauvre jardinier de Matabiau qui n’a pas vraiment été à la fête en 1741-1742 –, la prochaine session des Samedis des Archives est programmée pour le 2 mars prochain. Ça s'appelle « Corpus corporis » et ça va faire mal – Johnny ou pas !
Cette matinée sera exclusivement consacrée aux plaies et aux bosses sous l'Ancien Régime. En solo ou en duo, chacun des participants va pouvoir travailler sur de nombreux verbaux (certificats) de chirurgiens décrivant les maux de leurs contemporains qu'ils viennent panser après une rixe ou un accident. Transcrire il faudra, certes, mais cela nécessitera ensuite d'adapter l'information pour la restituer en la cartographiant sur le corps1. Ceux qui le souhaitent pourront aussi se frotter à des relations d'autopsie.
De la narration de simples ecchymoses pour le moins malheureuses de ces victimes, à l'écriture froide et précise des autopsies, voilà un programme alléchant qui réjouira petits et grands.
Ces trois heures intensives seront ponctuées de temps plus légers :
- on proposera une sélection de plaintes où les victimes racontent la violence subie et les maux engendrés, elle sera à comparer aux verbaux de chirurgiens correspondants, avec de drôles de surprises en perspective, on l'imagine ;
- on parlera des soins adaptés à toutes les blessures. Évidemment, il sera beaucoup question de saignée, mais pas exclusivement. On évoquera même cette importance capitale accordée au poumon de mouton ou au pigeon dans des cas bien spécifiques ;
- le chirurgien Bagnéris sera mis à l'honneur, pas tant pour ses compétences médicales que pour son dédain affiché pour toute forme d'orthographe connue. Transcrire le moindre de ses certificats relève du casse-tête linguistico-phonétique ; nous nous y essayerons tout de même ;
- enfin, en avant-première, vous aurez droit à une présentation de la version beta de « Corpus Corporis », un module actuellement en cours d'élaboration qui viendra enrichir Urbanhist.

Rendez-vous vite sur l'espace presse de notre site pour réserver vos places.

1- Nous ne fournirons pas de corps, juste des schémas - à remplir.