
Arcanes, la lettre
Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archives ou de ressources en ligne. Ainsi, des thèmes aussi variés que la mode, la chanson, le cinéma, le feu sont abordés...
Avec le temps des cerises vient aussi le nouveau numéro d’Arcanes, embrassant une thématique éminemment saisonnière. À l’instar des pies et autres merles, nous pourrons donc picorer ici et là dans des articles tous plus alléchants les uns que les autres.
Il est amusant de constater qu’en France nous avons le téléphone arabe alors que les États-Unis ont un « grapevine telegraph », nettement plus fruité. Sachant cela, le tube « I heard it through the grapevine » devient nettement plus compréhensible. Marvin Gaye entend dire des choses, mais ce ne sont pas les grappes de raisins qui lui parlent. Elles ont néanmoins beaucoup parlé à Jean Dieuzaide qui les a photographiées, notamment leur cueillette, et plus largement, s’est intéressé aux gestes ancestraux du monde rural.
On peut d’ailleurs se demander comment nos ancêtres faisaient pour survivre aux banquets gargantuesques, tel celui donné par les Capitouls le 28 mai 1770. Il paraît qu’en ces temps, on prouvait sa puissance en présentant les produits les plus frais. En revanche, il était très mal vu de les manger, et les plats repartaient à peine entamés. Il existait ainsi un fort commerce de revente des reliefs de ces agapes.
Toutefois, que cela ne vous empêche pas de goûter à notre salade d’archives, à base de Derrida, Margel et Chabin. Elle est riche de concepts éclairants et d’idées séminales, mais pas toujours très digeste. Un peu de sport ne vous fera aucun mal.
Pourquoi ne pas alors arpenter la rue de la Pomme, qui tient son nom fruitier de la salle de jeu de paume qui s’y trouvait. Outre cet ancien terrain de tennis sans raquettes, elle recèle bien d’autres mystères, dont des décors énigmatiques et des fenêtres disparues.
C’est aussi pour faire revivre des vies disparues et oubliées que nous améliorons sans cesse notre base, pour rendre accessible le plus grand nombre de documents de nos fonds dans les meilleures conditions. Vous rêviez de connaître les histoires qui affolaient la noblesse française au 18e siècle ? Vous pouvez désormais y accéder chronologiquement à travers la correspondance de la marquise de Livry et de la présidente Dubourg : une nouvelle interface, fruit d’un travail collectif.
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Une personnalité dont je n’ai pas retenu l’identité aurait déclaré que Dieu, dans sa grande clémence, a donné la soif aux humains pour qu’ils puissent profiter du raisin. Etrangement, dans ces moments, un grand verre d’eau me semble plus approprié et le raisin, je m’en empiffre sans modération lorsque la saison arrive (avec une préférence pour le muscat qui poussait sur la vigne grimpante dans le jardin de mes grands-parents). Je vous laisse tirer les conclusions que vous préférez quant au vin.
En revanche, je peux vous parler de ce que j’observe dans le fonds photographique de Jean Dieuzaide que j’ai la chance d’entretenir tous les jours comme une vigneronne cultive sa vigne. L’agriculture y tient une bonne place, notre photographe montrant une inclination pour le monde rural, ses paysages, ses habitats, ses productions, l’organisation et les gestes du travail de la terre par les animaux, les femmes et les hommes. Parmi ces sujets, la vigne et le raisin témoignent d’un intérêt persistant, mais aussi d’une commande constante de photographies viticoles.
À partir de 1951 l’activité de Yan, qui se présente comme photographe reporter, se diversifie. Il pratique la photographie d’illustration pour plusieurs maisons d’éditions, travaillant ainsi pour Arthaud, Alpina, Zodiaque, Braun, Privat, entre autres. Il s’agit, dans ces années, de relancer le tourisme et de valoriser les richesses régionales : patrimoine religieux, industriel, mobilier, bâti, immatériel, paysages. La France est un pays de vin, chaque région productrice souhaite mettre en avant son terroir et ses pratiques ancestrales. Les commandes que Dieuzaide honore comptent inévitablement des passages dans les vignobles, de préférence au moment des vendanges. Nous conservons ainsi des reportages en Armagnac, Gascogne, dans le Tarn, en Gironde (notamment au Château Lafite), dans le Minervois, à Banyuls, Moissac, en Haute-Garonne, Charentes Maritimes, Anjou et en Alsace.
La plupart de ces photographies sont issues de reportages ou de commandes spécifiques réalisés pour des éditeurs, mais sont regroupées dans l’album « Agriculture », consultable sur place et sur rendez-vous.
Messieurs les capitouls ont l'honneur de vous convier au somptueux festin organisé en l'honneur de madame la Première Présidente1, qui se tiendra dans les salons l'hôtel de ville de Toulouse, ce 28 mai 1770.
Au menu, nous proposons des pâtés et entremets froids, des jambons glacés, des galantines… Vous avez déjà l'eau à la bouche ? Ce ne sont pourtant là que les amuse-gueules.
Poursuivons donc cette farandole de saveurs avec les « grosses entrées », les salades variées, les plats de rôtis, les entremets chauds, les vins…, sans oublier les desserts.
Imaginez-vous devant une immense table longue de 60 pieds, où, aux quatre coins figurent des croquandes représentant les chasses au sanglier, au cerf, au lion et au lièvre. Une table ornée de beaux « plateaux montés en figures de cristal et porcelaine »2. De cette vaisselle d'exception, étincelante d'aventurine et de poudre de verre de différentes couleur, débordent et ruissellent agrumes divers et variés tels qu'oranges, citrons, cédrats, bergamotes...
Poursuivons dans cette lancée juteuse avec nos toutes dernières compotes qui se déclinent avec abricots, pêches, coings rouges, reines-claudes, mirabelles, poires, cerises, pommes, groseilles, amandes vertes, fraises3, et autres encore.
Et comme nous sommes complètement givrés, vous pourrez enfin vous laissez griser sans modération par les fabuleux fromages glacés ainsi que les succulentes glaces aux fruits. Bien entendu, « orgeat et limonade à discrétion ».
En espérant que cette invitation vous donnera la pêche.
Que les festivités commencent !
Dernière minute : veuillez noter qu'en raison d'une météo peu amène, le sieur Bertally, artificier, se voit contraint de repousser au 4 juin le feu d'artifice initialement prévu à l'issue du banquet.
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1 - Anne-Marie-Charlotte Leroy de Sanguin, épouse Drouyn de Vaudeuil.
2 - Les devis et factures des fournisseurs de ce banquet se trouvent dans le registre de pièces à l'appui des comptes du trésorier de la ville, CC 2800.
3 - Ces dernières, « s'il y en a », nous précise aimablement le fournisseur.
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Parce qu’elles ont le pouvoir de transformer le temps en mémoire et le passé en histoire, les archives sont au cœur d’interrogations philosophiques, comme celles de Serge Margel et ses archives fantômes1, ou psychanalytiques avec Derrida et son mal d’Archives2. Quel rapport les archives entretiennent-elle à réalité, à l’inconscient ?
« L’archive, si ce mot ou cette figure se stabilisent en quelque signification, ce ne sera jamais la mémoire ni l’anamnèse en leur expérience spontanée, vivante et intérieure. Bien au contraire : l’archive a lieu au lieu de défaillance originaire et structurelle de ladite mémoire3 ».
L’archive est une trace, une preuve. « Son contenu est l’expression d’un fait, d’un projet, d’une requête, d’une décision et est indissociable de ce fait, de ce projet, de cette requête, de cette décision. C’est pourquoi la première lecture que l’on fait de l’archive doit intégrer les motifs de son élaboration, c’est-à-dire la poursuite d’une action donnée et le contexte dans lequel elle prend place. (…) L’archive a vocation à servir de preuve à l’action qu’elle supporte. (…) C’est ainsi que les archives constituent la source de l’Histoire par excellence4. »
Alors, les archives ne racontent pas de salade ? A priori non… Ou si l’intention de l’auteur est d’en raconter. Les archives pourront toujours être utilisées comme source pour construire un discours ou servir d’illustration à un propos, indépendamment de l’action dont le document témoigne. Des chercheurs peu scrupuleux pourront toujours détourner un discours.
Et lorsque Arcanes vous parlera de légume, il sera temps de vérifier que la constitution des fonds d’archives n’est pas le fruit du hasard.
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1 - Serge Margel, Les Archives fantômes, Paris, Nouvelles éditions Lignes, 2013 (LES ARCHIVES FANTÔMES - Serge Margel - Éditions Lignes (editions-lignes.com))
2 - Jacques Derrida, Mal d’archives : une impression freudienne, Paris, Galilée, 1995.
3 - Id, op. cit.
4 - Maire-Anne Chabin, Je pense, donc j’archive, Paris, L’harmattan, 1999 (Je pense.... Chapitre 2 - Tout est archive - Le blog de Marie-Anne Chabin (marieannechabin.fr).
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