ARCANES, la lettre

Sous les pavés


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Sous les pavés", dédiée à l'archéologie.

SOUS LES PAVÉS


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Cour Henri IV du Capitole à Toulouse, vers 1873-1884, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1Fi47 (détail).

Tours de passe-passe au Capitole


septembre 2024

Quand on entre au Capitole, l’hôtel de ville toulousain, l’œil se porte immanquablement sur une porte monumentale au fond de la cour centrale. Le point qui focalise d’abord l’attention est naturellement la statue du roi Henri IV qui la domine. Puis on est ensuite attiré par un grand texte en lettres d’or sur marbre noir qui s’étale sur toute la largeur du passage : HIC THEMIS DAT JURA CIVIBVS, APOLLO FLORES CAMŒNIS, MINERVA PALMA ARTIBVS qu’on traduit Ici Thémis donne la loi aux citoyens, Apollon les fleurs aux poètes, Minerve les palmes aux artistes. Cette inscription avait été placée là en 1771 pour témoigner qu’on rendait la justice au Capitole et qu’il abritait les académies des Jeux-Floraux et des Arts. Depuis cette date, on pourrait croire qu’elle n’a jamais bougé. On l’aperçoit, bien à sa place, sur les gravures du 19e siècle, les premières photographies connues du Capitole ou les cartes postales anciennes.
Et puis un jour, aux archives municipales de Toulouse, on tombe sur le cliché que nous présentons et que certains détails permettent de dater : après la restauration de la cour des années 1872-1873, mais avant la construction de la façade orientale du Capitole en 1884 qu’on ne voit pas en arrière-plan. Premier réflexe : elle est bien floue cette photo pour ne pas distinguer l’inscription HIC THEMIS… Mais en se rapprochant, on réalise qu’en fait elle n’est plus là ! En effet, on distingue à sa place un très long laïus qu’on ne parvient malheureusement pas à déchiffrer à cause de la petitesse des lettres. Il faudra alors consulter les notes de Ferdinand de Guilhermy, conservées à la Bibliothèque nationale à Paris, pour en savoir plus. Après de précédentes visites à Toulouse, il y revient en novembre 1873 pour examiner les restaurations en cours, s’étonne de ne plus voir l’inscription d’origine et transcrit le texte qui la remplace. Texte que nous pourrons ensuite retrouver dans les annales conservées aux archives municipales de Toulouse : c’était une inscription commémorant, en 1552, la construction du portail du Grand Consistoire. Cet ancien bâtiment du Capitole, situé derrière la porte que nous étudions, avait été démoli au début du 20e siècle.

Alors pourquoi vouloir rappeler son souvenir en 1873 en sacrifiant une inscription bien plus spectaculaire ? Mystère. En tout cas, cela ne plut pas à tout le monde. Les photographies postérieures à 1884 que nous connaissons montrent que l’inscription HIC THEMIS fit rapidement son retour. En fait, ce n’était pas son premier tour de passe-passe. On sait par le témoignage de l’archéologue Alexandre Dumège qu’elle avait déjà momentanément disparu en 1848 avant d’être promptement rétablie.

Structure de l’âge du barbecue ou foyer à galets chauffés reconnu par des préhistoriens pas-si-nuls, site de Laubis à Seilh, 2017, photographie Maïténa Sohn, Service archéologique de Toulouse Métropole.

Nul ne peut pas être archéologue


juillet-août 2024

C’est clairement spécifié dans l’un des principaux articles du code du Patrimoine : « Nul ne peut effectuer sur un terrain lui appartenant ou appartenant à autrui des fouilles ou des sondages à l'effet de recherches de monuments ou d'objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie. » Sauf qu’en lisant jusqu’au bout, on trouve la nuance : « …sans en avoir au préalable obtenu l'autorisation. » Donc, en théorie, un nul pourrait quand même être autorisé à fouiller. Un manuel lui sera alors peut-être utile. Dans une collection de publications à couverture jaune très connue, on ne trouve pas encore de tome intitulé L’Archéologie pour les Nuls. Mais La Préhistoire pour les Nuls est déjà disponible. Et on y parle d’ailleurs de Toulouse. 

Dans les années 1960, les archéologues y ont été confrontés à une énigme sur le site néolithique de Saint-Michel-du-Touch. Des centaines d’empierrements, de forme circulaire ou rectangulaire, ont d’abord été interprétés comme des fonds de cabanes. Mais des préhistoriens pas-si-nuls, observant que les galets qui les composaient étaient brûlés, ont fini par comprendre qu’il s’agissait de structures de combustion dédiées à la cuisson. Dorénavant bien identifiés, on repère maintenant fréquemment de ces foyers à galets chauffés sur de nombreux sites de la préhistoire récente ou de la protohistoire ancienne, comme on le voit sur l’illustration ci-jointe. Il n’en reste pas moins que l’étonnante concentration observée sur le site toulousain pourrait faire penser que notre ville a connu un véritable « âge du barbecue… » .

Médaille récompensant le concours de poésie de la société des Lanternistes de Toulouse, dessin publié dans le Mercure galant d'avril 1694.

Lumière dans la nuit, Ariège dans les débris


juin 2024

C'est en 1640 que fut créée, à Toulouse, la société des Lanternistes, précurseur de l'académie des sciences, inscriptions et belles-lettres, et non pas de la compagnie d'éclairage public. En effet, cette curieuse dénomination ne vient pas des lanternes utilisées par les sociétaires pour se rendre à leurs réunions nocturnes, mais plutôt de leur désir d'éclairer les esprits. C'est ce qui transparaît de leur devise apposée sur la médaille en argent qu'ils distribuaient comme prix de leur concours de poésie annuel : Lucerna in nocte. Comme le montre le dessin que nous présentons, cette légende entourait une étoile à l'avers, tandis que le revers montrait Apollon jouant de la lyre et légendé Apollini Tolosano. Avant de disparaître en 1704, les Lanternistes instituèrent aussi un concours de louange au Roi, récompensé cette fois-ci par une médaille en or portant d'un côté le portrait de Louis XIV et de l'autre Pallas s'appuyant sur un bouclier aux armes de Toulouse. Il semble qu'aucune de ces précieuses médailles ne soient parvenues jusqu'à nous. Le numismate toulousain Emmanuel Delorme, probablement frustré de ne pas posséder un original dans sa collection, fit même fabriquer en 1885 des reproductions en cuivre de la médaille Lumière dans la nuit.

Il faudra bien de la chance pour retrouver, lors de fouilles, l'une de ces raretés numismatiques, voire l'une des copies de Delorme. Pourtant, des médailles, on en exhume parfois. Lors d'une intervention récente dans le sous-sol de l'église Saint-Exupère, la cellule archéologique de Toulouse Métropole a découvert, parmi des débris jonchant une ancienne loge funéraire, la médaille d'une exposition-concours tenue à Foix en octobre 1894. Personne n'a su expliquer comment, à partir du centre du département de l'Ariège, elle avait fait son chemin jusqu'à la crypte d'une église toulousaine.

Graffiti animalier sur tesson de poterie gauloise découvert dans le quartier Saint-Roch à Toulouse, infographie Marc Comelongue, d’après un dessin d’André Glory paru dans Gallia en 1947.

L’oie qui fait cygne


mai 2024
Quand on cite Toulouse, on peut penser au Capitole. Et quand on évoque le Capitole, on peut se rappeler du mythe des oies qui l’ont défendu d’une attaque des Gaulois. Sauf que cette histoire concerne le Capitole antique de Rome, pas l’édifice toulousain bien plus récent. Alors, pas d’oie à Toulouse durant l’Antiquité ? Peut-être que si.

Lors de fouilles effectuées dans le quartier Saint-Roch par Léon Joulin, au début du 20e siècle, de nombreuses céramiques gauloises ont été découvertes. L’une d’elles est exceptionnellement décorée de graffitis animaliers et, conservée au musée des Toulousains de Toulouse dans les années 1940, elle y fut dessinée par André Glory.
Comme le montre son croquis que nous présentons ici, on y trouve, accompagnant cerf et sanglier, une silhouette d’oiseau à long cou que cet archéologue a pu interpréter comme une oie… ou comme un cygne.
Effectivement ce bec bossu, c’est peut-être un signe. On peut aussi y voir un flamant rose, mais là on passe du Capitole à la Camargue.
Portraits des capitouls et tour occidentale du pont de la Daurade, anonyme, Chronique 132, 1437-1438, Annales manuscrites de la Ville de Toulouse, 1er Livre des Histoires, 1352-1516. Mairie de Toulouse, Archives municipales, BB273.

On nous raconte des histoires


avril 2024

Sous l’Ancien Régime, la commune de Toulouse publiait ce que l’on a maintenant l’habitude d’appeler des "Annales", pour immortaliser les actions les plus remarquables de l’administration de l’année passée. Mais, quand on consulte ces manuscrits, on s’aperçoit que les titres originels de ces chroniques annuelles utilisent plutôt le terme "Histoires". On les embellissait aussi avec des enluminures où les archéologues peuvent faire quelquefois leur marché. Pour exemple, nous présentons ici l’illustration montrant une tour qui défendait l’ancien pont de la Daurade, rebâtie durant l’exercice 1437-1438. Image précieuse car, même si la pile qui la supportait existe encore, cette tour fut rasée en 1734. Malheureusement, beaucoup de ces enluminures ont été détruites lors d’un autodafé pendant la Révolution. On sait d’ailleurs qu’on perdit à cette occasion la représentation de l’écroulement du Pont Vieux en 1485, qui aurait pu constituer un témoignage exceptionnel sur cette structure mal connue.

Les textes mêmes de ces "Livres des Histoires" abondent évidemment d’indications utiles pour reconstituer Toulouse disparu. Il faut toutefois rester prudent. Ces bilans étaient rédigés par un administrateur dont on peut se douter qu’il avait été témoin d’une partie des évènements qu’il décrivait. Et pour le reste, il pouvait s’appuyer sur les procès-verbaux des délibérations des conseils municipaux. Mais la synthèse conduit parfois à des approximations. Les Annales nous apprennent, par exemple, que l’on construisit un nouveau pont, dit de Clary, en 1613. Jeté sur la Garonne entre l’île de Tounis et le quartier Saint-Cyprien, elles nous disent aussi qu’on acheta la maison du teinturier Guillaume Pinel que l’on démolit pour aménager l’entrée du pont. Démolie ? Pas si sûr, en tout cas pas tant que ça. Si l’historien se plonge dans les archives les plus précises dont il dispose, c’est-à-dire les devis de travaux, il comprendra alors que, si le rez-de-chaussée de la maison fut bien dégagé pour servir de passage, ses deux étages furent néanmoins laissés en place. L’archéologue pourra ainsi, au lieu d’indiquer faussement que la maison Pinel fut détruite en 1613, nous apprendre que l’on inventa, cette année-là à Toulouse, un nouveau concept architectural : la maison-pont.

Grenouille sculptée dans un bénitier de l’église Saint-Paul de Narbonne, photographie Frédéric Vialelle, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Fouille à la grenouille


mars 2024
Les Égyptiens ont produit, durant l’Antiquité, des lampes en terre cuite représentant une grenouille et l’une d’elles a été retrouvée à Bordeaux vers 1910. Elles restent malgré tout rares en Europe et aucune des fouilles effectuées jusqu’à présent à Toulouse n’a apparemment révélé ce type d’objet. Néanmoins, une petite grenouille en bronze, servant de pendentif, fut recueillie lors de recherches sur le site gaulois de Vieille-Toulouse.

Un archéologue médiéviste ou moderniste aura, quant à lui, peut-être tendance à rechercher des grenouilles dans les bénitiers d’église, influencé par la proverbiale expression. Mais il faut avouer qu’à Toulouse, ni même aux alentours, la pêche ne sera pas bonne. Il faudra qu’il explore le département voisin de l’Aude pour enfin trouver, dans l’église Saint-Paul de Narbonne, le joli batracien taillé dans le marbre dont nous présentons une photographie. Il pourrait d’ailleurs en trouver d’autres tout près de là, à l’abbaye de Fontfroide, ou plus loin dans les Corbières, dans l’église de Montjoi. Mais si vous tenez absolument à dégoter un amphibien toulousain, on peut vous suggérer d’aller examiner, au musée des Augustins, un chapiteau provenant de la Daurade qui représente l’histoire de Job. Le diable qui y est sculpté a quelquefois été décrit comme ayant les traits d’un crapaud. Mais c’est assez subjectif, comparé à la rainette narbonnaise.