Arcanes, la lettre

Dans ma rue


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici les articles de la rubrique "Dans ma rue", consacrée au patrimoine urbain toulousain.

DANS MA RUE


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Buste couronnant la 3e fenêtre de la tour pouvant représenter Arnaud de Brucelles. Photo. Fradier, Sophie © Ville de Toulouse ; © Toulouse métropole, 2020.

Brucelles à Toulouse


novembre 2025

 

Les Brucelles composent une famille dont le nom a figuré à quatre reprises dans les annales capitulaires, entre le 15e et le 16e siècles. Arnaud de Brucelles est le dernier de cette lignée à occuper cette fonction en 1534/1535. Cet homme a laissé, par ailleurs, son nom à un hôtel particulier de la rue des Changes

 

Dissimulé par une façade sur rue en pan de bois de style gothique, proche de celle de l’hôtel Boscredon mitoyen, l’édifice s’organise sur une parcelle de taille réduite autour d’une cour centrale. Malgré cette emprise modeste, tous les éléments prestigieux d’un hôtel particulier sont là : deux corps de bâtiment reliés par une spectaculaire galerie en pierre et une tour d’escalier considérée comme étant l’une des plus hautes de Toulouse. Cette dernière se distingue également par l’abondance de son décor sculpté. Ses fenêtres, aux encadrements en pierre flanquées de colonnes cannelées, sont coiffées de bustes féminins et masculins en haut-relief dont deux, vêtus à la mode du 16e siècle, pourraient représenter le commanditaire et sa femme.  

 

Selon l’historien Jules Chalande, Arnaud de Brucelles, marchand drapier, achète l'hôtel en 1527 et le fait largement reconstruire dans un style Renaissance vers 1532-1533. Il se base, pour proposer cette date, sur l'augmentation subite du montant de la taille l'année suivante. Toutefois, la date de 1544 est gravée sur l'arc du deuxième étage de la galerie sur cour. Il pourrait s'agir là du souvenir d'une seconde campagne de travaux concernant la construction des galeries en pierre, réunissant le bâtiment sur rue et la tour, venues remplacer d’anciennes structures en bois très courantes à la période moderne.

Ancien collège Saint-Raymond, devenu presbytère de Saint-Sernin, aujourd’hui musée Saint-Raymond. Années 1880. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 1FI9107.

0 + 0 = la tête à Toto


octobre 2025

Les professionnels de l’architecture et de l’urbanisme ne sont pas tous d’accord, mais il semble cependant qu’un consensus s’impose peu à peu : la conservation et l’adaptation d’un bâtiment ancien à de nouveaux usages a moins d’impact environnemental que sa destruction et la reconstruction d’un nouveau bâtiment [1]. Le 19e siècle employait un mot qui s’est aujourd’hui perdu pour exprimer cette manière de faire : « l’appropriation ». Et ce siècle a fait un grand usage de cette pratique, notamment grâce à la nationalisation des biens nobles et religieux qui a suivi la Révolution. C’est ainsi que l’école des beaux-arts s’est installée dans l’ancien couvent de la Daurade, entre-temps devenu manufacture des tabacs ; l’hôpital militaire prend place dans l’ancien couvent des religieuses Notre-Dame du Sac, le musée « d’art décoratif ancien et exotique » s’établit dans l’ancien collège Saint-Raymond. Si l’appropriation des biens nationaux a parfois commis de nombreux outrages sur ces édifices anciens – on pense bien sûr à la disparition de la plupart des cloîtres des établissements religieux – elle a aussi permis que certains chefs-d’œuvre de l’architecture toulousaine parviennent jusqu’à nous. On peut y ajouter encore – et parmi de nombreux autres ! – l’église des Jacobins, les anciens collèges, l’hôtel Dubarry, l’hôtel de l’archevêché, etc. L’administration adapte ces bâtiments, pour nombre d’entre eux devenus monuments historiques, et y installe des services publics : écoles, musées, bibliothèque, préfecture, trésor public, etc. Les Archives conservent de nombreuses occurrences de ce mot jusqu’au milieu du 20e siècle. La seconde guerre mondiale marque la rupture : l’ancien monde est dépassé, l’avènement du béton, économique et facile à utiliser, permet la démolition totale de quartiers anciens et leur reconstruction selon les normes hygiéniques et esthétiques du temps.  

La table rase n’est plus d’actualité, mais le terme d’appropriation dans le sens qui lui était donné au 19e siècle n’est pas réapparu pour autant. Relevant plutôt de l’intime, il est utilisé dans le domaine de l’architecture pour traduire le fait de faire sien, matériellement ou symboliquement, un lieu, un logement ou le quartier où l’on vit. On lui préfère aujourd’hui les termes d’adaptation, de rénovation, de restauration ou de réemploi. De nombreux architectes ont aujourd’hui à cœur de faire avec l’existant. On peut citer à cet égard les deux chantiers menés par la Poste à Toulouse, le bâtiment Art déco à Saint-Aubin et celui en cours de transformation de l’ancienne poste des Minimes, qui affichent leur adéquation avec les considérations environnementales actuelles.

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[1] https://www.envirobat-oc.fr/Reno-vers-le-futur-le-RDV-des-pros-de-la-renovation-en-Occitanie  

Notre-Dame la Daurade, chapelle de l’immaculée Conception, détail de la Vierge, peinture de Bernard Bénezet. Photo B. A. (c) Mairie de Toulouse, 2022.

Trouble des sentiments


septembre 2025

Qu’ont en commun les églises de Saint-Nicolas, Notre-Dame la Daurade, Saint-Etienne, Saint-Sernin et du Notre-Dame du Taur ? Si vous donnez votre langue au chat, sachez qu’elles sont ornées d’un cycle pictural signé par Bernard Bénezet (1835-1897). Formé à l’école des Beaux-arts de Toulouse puis dans l’atelier d’Hyppolite Flandrin à Paris, cet artiste se spécialise comme son maître dans la peinture monumentale religieuse, reprenant à son compte l’idéal classique du peintre parisien.

Après son échec en 1861 au Prix de Rome qui lui aurait permis de partir se former quelques années dans la ville Eternelle, il retourne à Toulouse où il obtient une reconnaissance rapide de son travail. Proche du milieu catholique, Bénezet reçoit de nombreuses commandes dans la région toulousaine durant toute la seconde moitié du 19e siècle, essentiellement des œuvres religieuses (peinture murale ou de chevalet). L’artiste, empreint d’un fervent régionalisme, recherche une peinture d’inspiration médiévale, et n’hésite pas à plaquer ses silhouettes sur des fonds d’or, accentuant l’expression dramatique des personnages, dont les visages et la gestuelle sont les principaux éléments retenant le regard du spectateur. Avec le temps, l’artiste atténue cet aspect en installant ses figures dans un décor prenant peu à peu plus de corps, créant un cadre dans lequel s’exprime pleinement le trouble des sentiments.

 

Notre-Dame du Taur, transept “Dogme de l’Eucharistie” (détail), peinture de Bernard Bénezet. Photo Maligne, Frédéric (c) Mairie de Toulouse, 2024.

Selon les édifices, les œuvres de Bénezet occupent un pan de maçonnerie, une voûte, une chapelle ou les murs de la nef. A la Daurade, ce sont les chapelles de l’Immaculée Conception et celle du Sacré-Cœur qui reçoivent les peintures de l’artiste. A Notre-Dame du Taur, les œuvres de Bénezet se déploient dans la partie haute du transept (dogme de l’Eucharistie), dans la chapelle axiale (Martyre et Apothéose de saint Saturnin) et la chapelle Saint-Joseph (Mort de saint Joseph). Sa dernière œuvre se développe sur les murs de la nef de l’église de Saint-Cyprien sur lesquels six panneaux sont consacrés à la vie de saint Nicolas. Pour les journées européennes du patrimoine, les 20 et 21 septembre prochains, ces trois lieux seront animés par des visites flash proposées par la Direction du Patrimoine, présentant l’histoire de ces églises et les peintures de Bernard Bénezet.

 

Tour de France cycliste 1958. Coureurs cyclistes arrivant dans le vélodrome du stadium sur l’île du Ramier, 10 juillet 1958, Emile Godefroy - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 19Fi4498.

L’île du Ramier : des moulins du château au parc des sports


juillet - août 2025

Située entre deux bras du fleuve, cette grande île doit son nom à un terme local se rapportant aux terres en bord de Garonne, le plus souvent couvertes de bois mais aussi cultivées, qui apparaissent ou disparaissent en fonction de la montée des eaux. Le ramier du château fait ainsi référence aux propriétés des Moulins du château narbonnais, importante société de meunerie en activité du 12e siècle aux années 1900. Détruits dans les années 1940, ils se trouvaient un peu plus au nord, au niveau de l’actuelle rue du Moulin-du-Château.  

La vocation industrielle de l’île du Ramier s’affirme à la fin du 17e siècle, avec l’installation d’un moulin à poudre près de la chaussée de Banlève. Agrandie, détruite et reconstruite au gré des explosions qui se succèdent, la poudrerie déménage plus au sud à partir de 1848, afin de s’éloigner des zones d’habitation et d’étendre sa surface d’exploitation.  

Quelques usines s’installent à sa place, entre le pont Saint-Michel et la chaussée de Banlève.   

Ruinée à la suite de l’inondation de 1900, la société des Moulins du château vend ses possessions à la Ville de Toulouse : les moulins, mais aussi les terres qu’elle possède sur l’île du Ramier, celles cultivées comme celles louées à l’État pour la poudrerie ou à divers particuliers.  

En 1902, la municipalité transforme la partie située entre l’ancienne et la nouvelle poudrerie, utilisée alors comme pépinière, en « parc toulousain ». Cet espace arboré devient un lieu de déambulation et de récréation populaire. C’est sur cet emplacement, qu’en 1925, la municipalité socialiste d’Étienne Billières s’engage dans un vaste projet de « parc municipal des sports » aboutissant à l’ensemble des piscines Nakache et Castex et du stadium, au cœur aujourd’hui de l’aménagement métropolitain du « Grand Parc Garonne ». 

Haut lieu des loisirs et des sports depuis plus d’un siècle, c’est sur l’île du Ramier qu’a eu lieu mercredi 16 juillet le départ de la 11e étape du tour de France 2025, tandis que le 10 juillet 1958, le stadium voyait la victoire d’André Darrigade, emmené au sprint par Anquetil, après la crevaison de Louison Bobet lors de la 15e étape Luchon-Toulouse.

"Plan général de la partie de la Garonne qui avoisine le moulin du Château, avec le projet des ouvrages à construire pour franchir la chaussée de ce moulin et lier la navigation supérieure avec l'inférieure". 14 mars 1822. Fonds du Moulin du Château narbonnais - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 61Fi52.

La place Olivier et sa fontaine. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi4517.

Une fontaine en commémoration de la crue de 1875


juin 2025

Cette fontaine située sur la place centrale du quartier Saint-Cyprien a été élevée en souvenir de l’inondation survenue dans la nuit du 23/24 juin 1875 ; un texte gravé sur un de ses piédestaux en rappelle les faits. Elle a été offerte à la ville par le Comité d’intérêt local du faubourg Saint-Cyprien dont Hyppolite Olivier, entrepreneur et mécène, en était le président et l’un des principaux bienfaiteurs. En effet, cet homme était à la tête d’une manufacture familiale de confiseries, de liqueurs et de chocolats, établie depuis la fin du 18e siècle dans ce quartier (immeuble Olivier, 14 place Olivier). 

Les plans de l’ouvrage sont dressés par l’architecte Guillaume Dargassies en 1885. Il propose une fontaine d’agrément à trois bassins superposés - deux en fontes s’écoulant dans la cuve principale en pierre - et dont la nymphe des eaux, au sommet, était couronnée par un globe électrique permettant l’éclairage de la fontaine (installation démontée depuis).  De nombreuses figures décoratives complètent cet assemblage : des putti poissons soufflant dans une corne ainsi que des angelots dont certains arborent des ailes de libellules.

La fontaine est, à la demande de la Ville, associée à deux bornes-fontaines latérales pour fournir de l’eau aux habitants du quartier et à un abreuvoir semi-circulaire à l’arrière, permettant aux chevaux de se rafraichir. La place est renommée à ce moment-là : de place du Chairedon, elle devient place Olivier en hommage à son bienfaiteur. 

Lors du dernier réaménagement de la place en 2010, la fontaine a été déplacée et partiellement démontée : elle a perdu son socle, sa balustrade, son abreuvoir, ainsi que ses deux bornes-fontaines, rappelant un temps où l'eau n'arrivait pas encore directement dans les logements.

Rampe à balustres en bois de l’escalier de la maison d’Aldéguier, dite hôtel Marvejol. Phot. Hurault, Charles. Fonds photographique du Centre de recherches sur les Monuments historiques, APMH00141082.

De l'antique


mai 2025

Le garde-corps d’un escalier constitue son principal ornement à partir du moment où cet organe fonctionnel se dégage des murs du bâtiment qu’il dessert. À Toulouse, les plus anciens garde-corps repérés sont faits de balustres en bois adoptant une forme de vase avec un pied, un corps et un col, motifs qui peuvent se superposer et se répètent pour former des balustrades protectrices. Le terme « balustre » est de la plus haute Antiquité : il proviendrait de l’ancien italien balaustra, dérivé du latin balaustium et remontant lui-même au grec balaustion, signifiant « fleur et fruit du grenadier sauvage » selon François Blondel, auteur des Cours d’architecture édités en 1675-1683 (1).

 

Si on peut effectivement voir une certaine ressemblance entre les balustres ronds et cette fleur, les balustres toulousains sont eux plutôt de section carrée, assez élancés néanmoins du fait de la superposition de deux vases, tels ceux de l’escalier de la maison d’Adéguier au 47 rue Pharaon, qui aurait été édifié en 1609-1610. Ce dernier constituerait donc l’un des plus anciens escaliers en bois suspendus recensés à Toulouse lors de l’inventaire du Site Patrimonial Remarquable mené entre 2018 et 2021. À cette occasion, plus de 70 escaliers en bois pouvant dater du 17e ou du début du 18e siècle ont été répertoriés. En vis, rampe-sur-rampe ou suspendus, ils sont à près de 90% pourvus de ces balustres, aux dessins tous différents, motif qui disparaît ensuite au cours du 18e siècle.  

 

Ces escaliers constituent le sujet de la communication des chargées d’inventaire de Toulouse Métropole lors du 5e congrès francophone d’histoire de la construction qui se tiendra du 18 au 20 juin 2025 à Toulouse, où sont attendues près de 150 présentations portant sur les matériaux, les processus de construction, les chantiers ou encore l'histoire des techniques d'entretien et de restauration.

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(1) François Blondel. Cours d’architecture enseigné dans l’Academie royale d’architecture. Premiere [-cinquième] partie ..., A Paris, de l’imprimerie de Lambert Roulland ... Se vend chez Pierre Auboin & François Clouzier ..., 1675-1683, p. 158 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k85661p/f363.item