ARCANES, la lettre

Dans les fonds de


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Dans les fonds de", dédiée à la présentation de documents issus de nos fonds.

DANS LES FONDS DE


Parapluie. Facture néerlandaise. Vers 1770-1780, avec restauration visible d'éléments vers 1890-1910. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° BK-1967-92.

Il fait un temps de...


mars 2024

Nos fonds d'archives n’ont jusqu'à présent révélé aucun grand cataclysme comparable à cette pluie et invasion de grenouilles évoquée parmi les dix plaies d'Égypte ; mais on y trouve toutefois au fil des chroniques des capitouls nombre d'événements climatiques extrêmes qui ont frappé leurs contemporains."Pluviôse" - série des mois du calendrier républicain. gravure de Salvatore Tresca, d'après une oeuvre de Louis Lafitte, vers 1792-1794. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-2017-6023-5.
À Toulouse comme ailleurs, les chercheurs ont su mettre en évidence les grands cataclysmes, les dérangements du temps comme les cycles réguliers du climat. Cette histoire globale, qui a su mobiliser historiens et scientifiques les plus divers, a suscité depuis une quinzaine d’années un formidable écho dans nos préoccupations actuelles.
Mais il reste encore tout un pan à explorer, cette fois à une échelle microscopique. Quel était le ressenti de chacun devant une ondée, une grosse pluie, un orage, un coup de vent ? Comment prévoyait-on le temps avant l'invention de la grenouille du bocal et de l'échelle ? Comment s'habillait-on en cas de pluie ? Quelles activités cessaient en laissant passer l'orage et quelles autres en faisaient fi.
Après avoir posé des premiers jalons lors du VIe Congrès des archivistes de l’Arc Alpin1, les sources d'archives liées au ressenti climatique à Toulouse sous l'Ancien Régime ne cessent d’émerger : chroniques des Annales manuscrites, registres de délibérations, de comptabilité, des rondes du guet, sans oublier les procédures criminelles des capitouls qui révèlent des possibilités souvent insoupçonnées.
Le ressenti de nos aînés face à une météo aussi bien ordinaire que déchaînée attend désormais son chercheur ; un atelier public y sera d'ailleurs consacré en automne prochain, avec comme point de départ une mort suspecte dans une flaque...

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1 - Dont les actes ont été publiés dans La Gazette des archives, n°230, 2013-2. "Les sources d’archives pour l’étude du climat et de l’environnement", pour Toulouse, voir plus particulièrement p. 230-238.

"Ventouse donnée à Ragotin", planche gravée [entre 1705 et 1772] d'après Jean-Baptiste Oudry, d'une série illustrant des scènes du Roman Comique de Scarron. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-71.706.

Fai(te)s-moi mal Johnny Johnny...


février 2024

Après l’atelier « Champs Troubles » du 3 février dernier – où les participants se sont penchés sur les déboires de Nicolas Ramondis, ce pauvre jardinier de Matabiau qui n’a pas vraiment été à la fête en 1741-1742 –, la prochaine session des Samedis des Archives est programmée pour le 2 mars prochain. Ça s'appelle « Corpus corporis » et ça va faire mal – Johnny ou pas !
Cette matinée sera exclusivement consacrée aux plaies et aux bosses sous l'Ancien Régime. En solo ou en duo, chacun des participants va pouvoir travailler sur de nombreux verbaux (certificats) de chirurgiens décrivant les maux de leurs contemporains qu'ils viennent panser après une rixe ou un accident. Transcrire il faudra, certes, mais cela nécessitera ensuite d'adapter l'information pour la restituer en la cartographiant sur le corps1. Ceux qui le souhaitent pourront aussi se frotter à des relations d'autopsie.
De la narration de simples ecchymoses pour le moins malheureuses de ces victimes, à l'écriture froide et précise des autopsies, voilà un programme alléchant qui réjouira petits et grands.
Ces trois heures intensives seront ponctuées de temps plus légers :
- on proposera une sélection de plaintes où les victimes racontent la violence subie et les maux engendrés, elle sera à comparer aux verbaux de chirurgiens correspondants, avec de drôles de surprises en perspective, on l'imagine ;
- on parlera des soins adaptés à toutes les blessures. Évidemment, il sera beaucoup question de saignée, mais pas exclusivement. On évoquera même cette importance capitale accordée au poumon de mouton ou au pigeon dans des cas bien spécifiques ;
- le chirurgien Bagnéris sera mis à l'honneur, pas tant pour ses compétences médicales que pour son dédain affiché pour toute forme d'orthographe connue. Transcrire le moindre de ses certificats relève du casse-tête linguistico-phonétique ; nous nous y essayerons tout de même ;
- enfin, en avant-première, vous aurez droit à une présentation de la version beta de « Corpus Corporis », un module actuellement en cours d'élaboration qui viendra enrichir Urbanhist.

Rendez-vous vite sur l'espace presse de notre site pour réserver vos places.

1- Nous ne fournirons pas de corps, juste des schémas - à remplir.

Varkensslacht [abattage de porcs - bien qu'il soit possible qu'il s'agisse là d'un veau]. Dessin à l'encre sur papier par Cornelis Ploos van Amstel (d'après une oeuvre de Jan Saenredam ?). Entre 1778 et 1787. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-1944-43.

Des femmes sans job ?


janvier 2024

Si on laisse de côté les légions entières de filles de service, de femmes de chambre et de moniales, bien malin qui saurait dire ce que font les femmes. Certes, on imagine que la femme du boulanger vend le pain de son mari à la boutique, que la femme du boucher fait risette derrière son étal et puis... c'est tout. Ah si il y a aussi les revendeuses, les blanchisseuses et les cabaretières.
Voilà, un Ancien Régime décidément bien pauvre lorsqu'il s'agit d'identifier les travail des femmes, de nommer leurs activités professionnelles. Point de corporation pour elles1, donc point de métier formellement identifié et reconnu.
Et si tout cela n'était qu'une simple question de langage? Un vocabulaire qui n'a pas pensé que le mot « métier » pouvait aussi se décliner au féminin ? Du coup les femmes que l'on découvre et que l'on lit dans les archives expliquent quelquefois (et timidement encore) leurs « activités », leurs « occupations », sans jamais employer le mot de métier. Pour les autres, la grande majorité préfère se présenter en mettant en avant le métier de leur époux ou de leur père ; c'est bien plus simple.
Dans ce courant actuel de l'histoire qui cherche à promouvoir la femme pour lui rendre sa place, il est évident que la tâche des chercheurs est malaisée quand il s'agit percevoir la réalité du travail au féminin.
Même les archives judiciaires, qui font habituellement plus de cas de femmes, ne peuvent rien faire face à cette pauvreté de langage. Il faut alors s'employer à débusquer leurs activités, leurs occupations, en s'acharnant à lire l'intégralité des interrogatoires, des plaintes, des témoignages, jusqu'aux arides exploits d'assignations délivrés par les huissiers. Là, à force de patience, voilà qu'émergent enfin peu à peu des garnisseuses de chapeaux, des tresseuses de cheveux (pour les perruques), des plieuses et couseuses de livres. Encore un petit effort et l'on découvre charrieuses de charbon, femmes portefaix (on n'a toujours pas inventé le féminin), grappes entières de couseuses ou brodeuses travaillant chez elles, seules ou en véritables ateliers. La fin du 18e siècle voit encore apparaître une nouveauté (mais ne serait-ce pas là que l'effet d'une nouveauté de langage ?) : les modistes, les coiffeuses de dames, sans oublier les cuisinières de grandes maisons ou de tripots huppés.
En un mot, l'absence de mots explique certainement en grande part ce vide, ce silence quant au travail des femmes, mais les chercheurs patients qui prendront cette tâche à brasse-corps sauront certainement redonner un équilibre à cet aspect de la société de la fin de l'Ancien Régime.

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1. En fait, on verra naître en 1781 une sorte de corporation ouverte aux femmes, il s'agit celle des proxénètes. Nous vous renvoyons là à la lecture du numéro d'Arcanes de décembre 2015 pour en apprendre plus sur ce métier qui n'est pas du tout ce que vous croyez.

[Intérieur d’un vieux four]. Dessin au crayon et à la craie de Maria Vos. Entre 1834 et 1906. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-T-1953-97.

Pain total


décembre 2023

Si l'idée de coups et de bagarre est bien souvent associée aux bars, aux cabarets et autres tripots où l'alcool coule à flot, il est d'autres lieux qui n'ont pas à rougir et peuvent faire bonne figure lorsqu'il s'agit d'explosion de violence. Puisque le mot « pain » est un des 140 synonymes de celui de « coup », profitons-en donc pour aller fureter du coté des fournils et des pétrins et y relever l'indice d'agressivité attaché à ces lieux.

Master & servant
Dans l'arrière-salle de la boulangerie B. au pont Neuf, en 1772, l'apprentissage du jeune Monty se fait à la dure. Tantôt B. lui jette des petits pains à la figure, tantôt il menace de lui lancer une marque entière de pain bis1. Ou encore l'apprenti Laffont, régulièrement maltraité par le boulanger P. et qui, en novembre 1780, se fait corriger à coup de pelle avant de recevoir une ravaille toute chaude sortie du four sur la face. Il s'en sort avec un saignement de nez2. Un siècle plus tôt, le compagnon boulanger Laurens Thoulouse aurait certainement préféré se prendre un simple pain, mais son maître a trouvé plus judicieux de le frapper avec marteau de fer ; forcément ça fait plus de dégâts et Thoulouse « auroit resté sanglant, grièfvement et mortellement blessé »3. Il s'en relèvera pourtant. En 1756, le petit Jean Carbonnier fait son apprentissage dans une boulangerie du faubourg Saint-Michel ; un jour d'août il reçoit un véritable déluge de coups et de projectiles. Il faut croire que D., son maître est un sanguin inventif : clefs, tailles4, balai, bûche « de la grosseur du bras et raboteuse » et fourche de fer ; bref, D. fait feu de tout bois pour passer sa colère5. Quant à Baptiste Soulan apprenti chez le boulanger L., il a droit de la part de son maître tantôt à des coups de bâton, tantôt à des coups de pelle, et jusqu'à cette mémorable séance de torture où L. le prit « avec des grosses cordes, le pendit par dessous les aisselles à une poutre du plancher de sa maison, où il le tint l'espace de demy-heure en le faizant tourner à force, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, le menaçant s'il dizoit mot de luy donner de coups de bâtons »6.
Parfois, on inverse les rôles. Là, c'est le garçon boulanger B. qui, tancé pour être arrivé en retard lors de la préparation des pains bénis, réplique en cognant tant son boulanger de maître que la femme de ce dernier7.

Au four et à la pelle
Les fours, généralement dissociés des boutiques de boulangers sont tenu par les fourniers. Le maître de pelle y règne en maître, et sa pelle est d'ailleurs un sérieux rappel à l'ordre pour ses apprentis et compagnons, comme pour les boulangers qui viennent y apporter la pâte à cuire.
C'est exactement ce que fait B., maître de pelle du four de la Capelle-Redonde, lorsque le boulanger Raby veut lui apprendre son métier. Il le prend « par la tête et l'a fait h[e]urter avec force et cruauté de la tête sur le mur, de manière qu'il luy a fait faire une cicatrice ou blessure très large et très profonde, et par laquelle il a répandu tant du sang qu'il en a été couvert à l'instant sur son habit. Ce qui a excité tant la consternation, même l'indignation, de ceux qui étoient dans led[it] four »8. Mais il en faut plus pour impressionner certaines. Et le fournier Larroque aura fort à faire pour venir à bout de Bernarde Tourens et sa fille, celles-ci ne quitteront son four qu'après avoir rendu coup pour coup9.

Penthotal
Finissons avec ce combat inégal place du Salin en 1745. Les armes de poing et de jet utilisées par Georges face à la malheureuse Jeanne (prête à accoucher) se déclinent d'abord avec un caillou, puis un poids en métal avant de s'achever sur « un gros pain double » qui atteint de ventre de Jeanne, « laquelle [...] tomba tout de suite évanouye et on la fit entrer chès la bouchère où de nouveau elle tomba comme morte »10. Presque de quoi lui faire passer le goût du pain. Or, en lisant la procédure récriminatoire, ce serait plutôt  Jeanne qui « prit un poidz d'une livre qu'elle jetta sur l'estomac » de Georges11. Alors, qui croire ? Si le Penthotal (ceci est un médicament, demandez conseil auprès de votre médecin traitant) avait été inventé, les capitouls n'auraient-ils pas été tentés d'y avoir recours ici afin d'essayer d'obtenir la vérité ?

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1-   FF 816/3, procédure # 069, du 14 avril 1772.
2-   FF 824/8, procédure # 151, du 24 novembre 1780.
3-   FF 729/1, procédure # 022, du 9 juin 1685.
4-   La taille de bois qui permet de suivre et de faire les comptes entre le boulanger et ses pratiques (clients).
5-   FF 800/6, procédure # 217, du 10 août 1756.
6-   FF 789/7, procédure # 148, du 20 novembre 1745.
7-   FF 775/2, procédure # 068, du 23 juin 1731.
8-   FF 819/2, procédure # 025, du 4 février 1775.
9-   FF 804/2 procédure # 037, du 15 février 1760.
10- FF 789/1, procédure # 001, du 9 janvier 1745.
11- FF 789/1, procédure # 002, du 9 janvier 1745.

"De maand april" [allégorie du mois d'avril]. Gravure de Frederick Bloemaert d'après un dessin d'Abraham Bloemaert, entre 1635 et 1670. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-BI-1555.

1603 ou les tribulations du syndic des visites


novembre 2023

Parmi les diverses opportunités de carrières proposées au sein de l'administration de la ville de Toulouse, il y en a (eu) une qui laisse songeur, celle de syndic des visites.
La fiche de poste ne nous est pas parvenue, rares sont les chercheurs qui se sont penchés sur cet emploi (réservé ?), et l'on doit se borner à considérer que le rôle de ce personnage était de faire des tournées d'inspection dans les affachoirs, boucheries et autres lieux de la ville où l'on se préoccupait de sécurité alimentaire (avant que le terme ne soit inventé). Ce poste de syndic des visites va d'ailleurs tout bonnement disparaître au cours du 17e siècle1.
En 1603, c'est Jean Chayde qui est pourvu de cet emploi, et il a fort à faire car une épizootie ravage alors le bétail à laine et à corne d'une partie du royaume2, à tel point que le parlement de Toulouse doit promulguer le 12 avril un arrêt portant inhibition à tous « gentilhomes, marchans & autres de ne trasduire aulcune quantité dudit bestail en Espaigne ny faire amas et achaptz d'icelluy »3. Cet arrêt a force de loi dans toute l'étendue du ressort du parlement, mais il reste encore à le publier, c'est à dire le porter à la connaissance des consuls des villes et bourgades, le crier à son de trompe et en afficher des exemplaires4.
Jean Chayde est missionné afin d'aller assurer la publication officielle de cet arrêt en Gascogne, puis en Languedoc.C'est là pour lui une occasion de rompre avec la monotonie de son travail, de lui permettre d'enfourcher une cavale et d'aller prendre l'air pour voir si l'herbe est plus verte ailleurs.
De ces trois semaines de routes, de chemins, d’auberges et de visites, il a laissé un état détaillé afin de pouvoir se faire rembourser des divers frais avancés pour ses repas, couchées, locations de chevaux et autres menues dépenses5.
Nous pouvons donc le suivre dans ses premières étapes qui le mènent successivement à Grenade, Beaumont de Lomagne, Cologne, Fleurance, Gimont et Lisle Jourdain. Tout se passe sans anicroche notable, les tables semblent bonnes et les auberges accueillantes. L’arrêt du parlement y est publié sans problème.
En revanche, il n'en sera pas de même pour son périple du côté du Languedoc. À Castelnaudary, son arrivée coïncide avec la Fête-Dieu : impossible de songer à publier l'arrêt, il lui faudra le faire lors de son retour. Ensuite, il ne fait que passer par Carcassonne avant d'échouer à Narbonne. Là, les consuls y mettent de la mauvaise volonté, on le renvoie vers le maître des Ports, puis vers le contrôleur des droits forains, sans oublier le procureur du roi. Après une partie de ping-pong entre institutions diverses qui se partagent la ville, l'arrêt est finalement publié à son de trompe et affiché. Mais Jean Chayde n'en a pas fini avec les tracas administratifs : à Carcassonne, c'est la même rengaine, et il en repart sans avoir pu rien publier – mais avec la promesse qu'on le fera pour lui. Il ne lui reste plus qu'à repasser par Castelnaudary afin de compléter sa mission. Cette fois, il tombe un jour de marché, et la publication peut se faire avec célérité et dans les règles.
Jean Chayde va terminer cette tournée par un solide souper dans une auberge de Villefranche de Lauragais avant de retrouver le train-train de ses visites à Toulouse, qui, finalement ne doit pas lui sembler si désagréable au vu des ennuis rencontrés dans la seconde partie de son périple.

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1- On ne trouve encore trace en 1628, lors de la destitution d'Antoine Février, accusé de concussion avec les bouchers et boulangers – BB 29, f° 99v-110, conseil des capitouls du 9 octobre 1628.
2-  Nous pensons qu'il pourrait s'agir de la maladie dite « le mal de langue », déjà signalée cette année-là à Avignon, et citée dans l'étude de François Vallat : « Une épizootie méconnue : le “mal de langue” de 1763 », Histoire et Sociétés rurales, vol. 20 (2e semestre 2003), p. 79-119.
3- AA 21, acte n° 118.
4-  Nous savons que cet arrêt a été imprimé en grand placard mais nous n'avons malheureusement pas pu en trouver d’exemplaire.
5- CC 2579, pièces n° 415-431.

Annales manuscrites des Capitouls, chronique de l'année 1437-1438. Le nom du 3e capitoul en partant de la droite (Bertrand de Holmeda) a été effacé au profit de celui de "Bertrand Puget". Ville de Toulouse, Archives municipales, BB 273, chr. 132.

Petits arrangements entre grosses huiles


octobre 2023
Les Annales manuscrites des capitouls, que l'on ne présente plus, sont une formidable source pour la connaissance de la ville, de ses institutions, et elles se présentent encore comme un laboratoire d'observation du discours politique des élites urbaines et des évolutions et mutations d'une cité sur presque cinq siècles.
Les portraits des capitouls qui y sont insérés, réalisés chaque année, contribuent à donner à ce monument écrit (composée d'environ 5 000 feuillets en parchemin très grand format, rassemblés sur 12 registres) un lustre certain, d'autant plus que ces Annales manuscrites sont uniques en leur genre, tant par la richesse de leur contenu que par leur permanence dans le temps (1295-1787).
L'attrait de ces registres n'a pas échappé aux contemporains qui, au cours des siècles, sont allés y puiser des éléments précieux pour nourrir leurs écrits historiques ou politiques.
Si nous n'en retenons généralement de nos jours que l'aspect historique et artistique, d'autres, peu scrupuleux, y trouvèrent autrefois une opportunité beaucoup moins louable.
L'exemple le plus marquant reste celui des faux capitouls de la famille Puget. Au cours du 16e siècle, un faussaire s'est ingénié à gratter les noms de certains capitouls dans pas moins de seize chroniques annuelles afin d'y substituer plus ou moins habilement le nom de « Puget ».
Un peu d'astuce, d'espièglerie et voilà comment on se construit une généalogie remontant à des temps anciens. Grâce à ces altérations volontaires, les descendants de ces prétendus capitouls purent non seulement s'enorgueillir d'une illustre lignée et, plus prosaïquement, s'autoriser à briguer des charges prestigieuses et lucratives. Les Puget ne sont pas seuls en cause, d'autres familles, plus mesurées dans leurs ambitions frauduleuses, s'y sont aussi essayées.
Et si certains de ces intrus avaient déjà été débusqués dès le 17e siècle tellement les surcharges du faussaire étaient grossières (voir illustration ci-contre), d'autres ont échappé à la sagacité d'historiens anciens tel que Germain de Lafaille ou bien encore Abel et Froidefont. On doit à l'archiviste Ernest Roschach un premier état de ces falsifications, repris, corrigé et complété par François Bordes son successeur, en 2006.
Canal de Brienne, l'arrivée sur l'écluse de Saint-Pierre - cliché Stéphanie Renard - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 4Num14/40.

Tourisme fluvial aux archives


septembre 2023

La pause estivale a été l’occasion pour nous de collecter un nouveau fonds d’archives. Et celui-ci va vous donner envie de pratiquer le tourisme dans la région toulousaine et plus précisément dans les abords du Canal du Midi. En effet, le fonds Maguès, classé et conservé sous la cote 144Z, aborde en grande partie la vie de deux grands toulousains du XIXe siècle : Urbain et Henry Maguès.
Ceux-ci, particulièrement connus pour leur gestion du Canal du Midi durant plusieurs années, ont aussi participé au développement de l’urbanisme toulousain à la fin du XIXe siècle. C’est ainsi que Urbain Maguès propose l’ouverture de la rue d’Alsace-Lorraine entre 1869 et 1873.

Outre ces documents particulièrement intéressants sur l’urbanisme toulousain, ce fonds constitue aussi un véritable témoignage de la vie d’une famille aisée à cette époque-là. Nous retrouvons une correspondance familiale importante, mais aussi des documents généalogiques permettant de retrouver les différentes familles alliées.
Mais surtout, nous conservons de magnifiques plans concernant différents cours d’eau, tels que le Girou ou le Canal de l’Agout, nous donnant quelques fois envie de voguer vers de nouveaux horizons.

"Dikke nar met een worst" [Gros bouffon avec une saucisse]. Gravure de Caspar Merian d'après un dessin de Hans Holbein. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-21.839.

Petit salé, grands effets


juillet-août 2023

Voilà l'été, occasion rêvée pour nous d'aborder une thématique souvent en retrait dans nos archives : les salaisons.
Archives criminelles anciennes obligent, nous allons prendre des détours et en voir de toutes les formes et de toutes les couleurs, certaines à faire rougir.
Promenons-nous d'abord dans le bucolique quartier de Lespinet où, en 1774, nos voleurs ne sont guère en veine. À la faveur de la nuit, ils ont fait main-basse sur deux jambons et deux épaules de cochon et un lard, mais le métayer du domaine et ses aides réagissent immédiatement et ne font pas dans la dentelle. Résultat, un des filous reste sur le carreau, la cervelle fracassée à coups de crosse (un vrai pâté de tête diraient les cyniques) ; quant à son complice, une décharge de fusil dans le c… l'empêchant de se mouvoir avec vélocité, il sera cueilli au petit matin1. Jugé et pendu, il finira de sécher suspendu aux fourches patibulaires, un peu comme un jambon.
Quatre ans plus tôt, des trublions en quête de filles de joie font irruption dans la maison Talexy. Ne trouvant personne d'assez appétissant à leur goût, ils repartent avec cinq tours de saucisse sèche ; il n'y a pas de petit plaisir2. Évidemment, ces derniers font assez petits joueurs à côté de ces personnages qui pénètrent par effraction chez le charcutier Pérès, et dont leur butin s'élève à plus d'une trentaine de saucissons, des boules de graisse et du vieux lard3. Les perquisitions vont bon train dans le voisinage et l'on retrouve nombre de salaisons cachées dans une couette, d'autres enfouies sous la terre dans une cave, jusque même ce saucisson dissimulé dans le canon des latrines (et ça c'est vraiment sale !). Salées aussi sont les morues que l'on escamote d'une barrique laissée dans la cour de la maison de la veuve Jonquières4. Elles ne referont jamais surface.[Pierrot à la saucisse]. Gravure de Jacques Louis Copia, d'après Louis Marie Sicardi, entre 1774 et 1799. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-2007-470.
D'un sans-gêne, ces clients de cabaret qui, malgré l'interdit du vendredi, réclament à manger du lapereau, rien que ça ! Devant le refus de l'aubergiste, ils dénichent de la saucisse, se servent et la font griller eux-mêmes ; ils ont même le culot d'exiger de la moutarde5. Devant leur impudence, on souhaiterait presque que ce soit de la saucisse des sœurs Laguens, réputée être faite avec les restes de charognes jetées à la voirie6.
Le malheureux Raymond-Charles Robert est lui victime de l'indélicatesse de sa domestique qui quitte soudain son service en emportant un pot contenant cinq oies confites, qu'elle offre à son galant présumé7. Ce dernier, visiblement homme de peu de goût, revend le cadeau pensant que c'est de la... confiture.
Terminons en remontant encore un peu dans le temps, pour nous transporter en 1702, dans l'alcôve (ou presque) de Toinette8. Son mari parti à la campagne, elle fait prévenir son amant par une petite voisine. L'homme arrive au galop. Sauf que voilà, Toinette a ses règles. Qu'importe, la petite voisine fait aussi bien les affaires de l'amant. Mais Toinette trouve finalement à se rafraîchir, et la voici prête à entrer dans la danse. Craignant toutefois que le bellâtre ait perdu quelque vigueur dans l'assaut précédent, elle lui recommande de reprendre des forces en mangeant un morceau de salé de son mari. Une fois restauré, le voilà visiblement à nouveau d'attaque. Las, attaque il y a, mais surprise celle-là. Le mari, qui était resté caché entre des lits dans la chambre, surgit tel un diable de sa boite, armé d'un sabre et d'une serpe9, et il s'ensuit une galopade effrénée jusque dans la rue. La note ne sera pas si salée : aucun mort à déplorer.

Comme quoi, petit salé, grands effets.

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1- FF 818/3, procédure # 065, du 26 mai 1774.
2- FF 814/2, procédure # 030, du 13 février 1770.
3- FF 818/1, procédure # 013, du 12 février 1774.
4- FF 794/2, procédure # 068, du 26 mai 1750.
5- FF 756/2, procédure # 077, du 30 décembre 1712.
6- FF 753/1, procédure # 009, du 23 avril 1709.
7- FF 789/2, procédure # 041, du 3 avril 1745.
8- FF 746/1, procédure # 020, du 26 avril 1702.
9- Las, on ne saura jamais si la moutarde lui est montée au nez lorsqu'il a entendu les gémissement de sa femme, ou bien si c'est son salé donné à l'amant qui lui est plus resté en travers de la gorge.

Les capitouls de l'année 1779-1780. On reconnaît Bernard-Henry-Thomas Ginisty (3e en partant de la gauche), père du petit « Toulouse-Louis-François-Pierre-Jean-Augustin-Jean-Joseph-Pierre-François-Ignace-Jean-Florent-Nicolas-Paul », dernier filleul de la ville, « baptisé officiellement le 24 mai 1779 ». Huile (fort gâtée) sur parchemin, par Lambert-François Cammas. Mairie de Toulouse, Archives municipales, Annales Manuscrites, livre XII, BB 284.

Itinéraire d’un enfant gâté


juin 2023

En 1715, madame Despinasse, née Cassaignau, a accouché deux fois dans l'année. Est-ce là un accident pour son couple, réglé et habitué à avoir un enfant tous les deux ans ?
Probablement pas. En fait, tout a été conditionné par ce premier enfant né en janvier1. Il nous semble évident que le papa, François-Raymond Despinasse, a été très déçu : Marie-Anne, une fille, pensez-donc !
Il fallait donc s'y remettre, au risque de fatiguer madame. Mais, peu importe, monsieur Despinasse se devait absolument d'avoir un fils avant la fin de l'année.
Les efforts de monsieur (et de madame – même si elle n'a pas nécessairement eu son mot à dire) se révèlent payants : le 22 décembre naît un enfant mâle. Quatre jours après, ce nourrisson est oint du Seigneur et reçoit les prénoms de Louis-Paul-Raymond-Toulouse2. Rien que ça.
Il faut expliquer que monsieur Despinasse père est alors capitoul, et son empressement à avoir un garçon dans l'année de sa charge est motivé par le fait que la naissance d'un enfant mâle (les filles ne comptent pas) entraîne un baptême « officiel »3. Des cadeaux offerts par la ville, une médaille gravée en or, une belle cérémonie et tous les capitouls qui tiennent l'enfant au nom de la ville.
Filleul de la ville, Louis-Paul-Raymond-Toulouse bénéficiera sa vie durant de privilèges, dont celui de pouvoir porter l'épée dans l'hôtel de ville.

Sauf que voilà, l'enfant gâté va commencer par se signaler à l’âge de 23 ans4. Effronté trublion, il cause presque une émeute à la salle du spectacle le soir du 1er juillet 1738. Et lorsque l'on cherche à le conduire dans les prisons de l'hôtel de ville, il en fait tellement que la jeunesse s'agite, ce qui va entraîner la mort tragique du baron de Pordéac, l'un de ses amis. Seulement condamné à « s'abstenir pendant deux ans de la ville et gardiage, avec déffences d'y rentrer pendant led. tems à peine de punition corporelle »5, on le retrouve très vite à pied d'œuvre, en juillet 1740, accusé d'assassinat par l'épouse d'un cuisinier6 ; il contre-attaque en portant plainte contre cette dernière pour prétendues insultes, diffamation et menaces7. Personne n'est dupe.
En 1745, Louis-Paul-Raymond-Toulouse se fait grossièrement traiter d'« espion de jeu à douze sols par jour » et même un petit peu secouer puisqu’un chirurgien qui le soigne estime que « la violence du coup se fait sentir sur les membrannes du cerveau »8. Cette fois il devient plaignant. Mais tout ceci ne serait pas arrivé s'il n'avait pas fréquenté des cercles de jeu interdits. Visiblement, la leçon ne porte pas, puisqu'en 1753 il organise lui-même des parties d'argent ou les héberge9. Dans sa lancée, il maltraite l’année suivante, à heure nocturne, la femme d'un fournier et la menace de son arme10.
À 65 ans, il se signale une dernière fois dans une affaire d'agression – verbale seulement –, preuve que l’âge de la retraite n’a pas encore sonné11.

Enfant choyé, enfant gâté, Louis-Paul-Raymond-Toulouse fait plutôt figure de fruit pourri et, au vu de ses exploits connus, il n'a guère fait honneur aux prénoms qui lui ont été généreusement donnés : ceux du roi, des comtes de Toulouse et de la Ville.

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1 - GG 292, f° 15.
2 - GG 292, f° 133v-134.
3 - M. Perny, « L’invention d’un rituel urbain toulousain : la ville de Toulouse et ses filleuls à l’époque moderne », in Toulouse, une métropole méridionale, Vingt siècles de vie urbaine. Sous la dir. de B. Suau, J.-P. Almaric et J.-M. Olivier. Ed. PUM, Méridiennes, 2009, p. 317-333.
4 - Mais certainement avant. Il pourrait déjà être l'auteur de ce vol commis l’année précédente et attribué à un nommé « Despinasse fils ayné ». FF 781/1, procédure # 032, du 9 avril 1737.
5 - FF 782/3, procédure # 058, du 1er juillet 1738.
6 - Ce procès a été intenté devant la cour du sénéchal, dont les archives des procédures criminelles sont désormais perdues. Rappelons qu'un assassinat est une agression préméditée.
7 - FF 784/4, procédure # 119, du 17 juillet 1740.
8 - FF 789/1, procédure # 023, du 16 mars 1745.
9 - Mais c'est son frère cadet, François-Joseph, qui se fera pincer, avec de nombreux autres fils de la jeunesse dorée - FF 797/1, procédure # 003, du 8 janvier 1753.
10 - FF 798, (en cours de classement), procédure du 17 juillet 1754.
11 - FF 824/6, procédure # 096, du 10 juillet 1780.

 

 

Beurrier en faïence, ornementé de fruits. Faïencerie de Delft, De Grieksche A. et Jan van den Briel, entre 1768 et 1785. Rijksmuseum, Amsterdam, inv n° BK-NM-12202.

Banquet fruité du mois de mai


mai 2023

Messieurs les capitouls ont l'honneur de vous convier au somptueux festin organisé en l'honneur de madame la Première Présidente1, qui se tiendra dans les salons l'hôtel de ville de Toulouse, ce 28 mai 1770.
Au menu, nous proposons des pâtés et entremets froids, des jambons glacés, des galantines… Vous avez déjà l'eau à la bouche ? Ce ne sont pourtant là que les amuse-gueules.
Poursuivons donc cette farandole de saveurs avec les « grosses entrées », les salades variées, les plats de rôtis, les entremets chauds, les vins…, sans oublier les desserts.
Imaginez-vous devant une immense table longue de 60 pieds, où, aux quatre coins figurent des croquandes représentant les chasses au sanglier, au cerf, au lion et au lièvre. Une table ornée de beaux « plateaux montés en figures de cristal et porcelaine »2. De cette vaisselle d'exception, étincelante d'aventurine et de poudre de verre de différentes couleur, débordent et ruissellent agrumes divers et variés tels qu'oranges, citrons, cédrats, bergamotes...
Poursuivons dans cette lancée juteuse avec nos toutes dernières compotes qui se déclinent avec abricots, pêches, coings rouges, reines-claudes, mirabelles, poires, cerises, pommes, groseilles, amandes vertes, fraises3, et autres encore.
Et comme nous sommes complètement givrés, vous pourrez enfin vous laissez griser sans modération par les fabuleux fromages glacés ainsi que les succulentes glaces aux fruits. Bien entendu, « orgeat et limonade à discrétion ».

En espérant que cette invitation vous donnera la pêche.
Que les festivités commencent !

Plan de table pour le banquet de la première Président, 1770. Mairie de Toulouse, Archives municipales, CC 2800, pièce n° 117 (détail)

Dernière minute : veuillez noter qu'en raison d'une météo peu amène, le sieur Bertally, artificier, se voit contraint de repousser au 4 juin le feu d'artifice initialement prévu à l'issue du banquet.

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1 - Anne-Marie-Charlotte Leroy de Sanguin, épouse Drouyn de Vaudeuil.
2 - Les devis et factures des fournisseurs de ce banquet se trouvent dans le registre de pièces à l'appui des comptes du trésorier de la ville, CC 2800.
3 - Ces dernières, « s'il y en a », nous précise aimablement le fournisseur.

[sainte Cécile, patronne de la musique sacrée] – Gravure par Gaspard Duchange, d'après Antoine Coypel, entre 1672 et 1757 – Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-43.249.

Te deum en faux-bourdon et cacophonie à Saint-Pantaléon


avril 2023

Du monastère des Onze-Mille Vierges établi en l'abbaye de Saint-Pantaléon, il ne reste plus rien. À tel point qu'il nous est désormais difficile d'imaginer que résonnaient en ces lieux les voix angéliques de moniales adressant leurs louages au Divin.
11 000 ? Ce chiffre est évidemment un tantinet exagéré puisque, vers les années 1750, il ne reste désormais plus que onze religieuses. Il est vrai que le Roi a depuis quelques années défendu à la communauté de recevoir de nouvelles novices. Mais cette interdiction est levée le 16 mars 17551, et le monastère peut à nouveau résonner des voix claires des jeunes novices et des pensionnaires de la meilleure société de la ville. Ceux qui passent alors par la rue Saint-Pantaléon savent-ils goûter à ces merveilleux échos purs des chants célestes ?
D'autant plus que le 25 mars, le monastère fait illuminer son clocher et que les jeunes pensionnaires y sont aussi perchées afin de louer le Seigneur par un te deum chanté en faux bourdon. Les badauds connaisseurs se massent dans la rue et, plusieurs d'entre eux
« ayant bateu des mains pour les aplaudir, lesdittes pensionnaires en firent de même »2. Et, lorsqu'un jeune homme se met à siffler, une des jeunes servantes de Dieu lui répond de même. La cacophonie va crescendo, certains « criant à haute-voix devant la porte de laditte églize qu'il falloit que les religieuses fussent yvres ou folles, les uns donnant de grands coups de sifflets et les autres batant des mains en criant : À bas la chandelle ! »
Le te deum vire au charivari. Or, l'un des amateurs de musique sacrée n'est autre que monsieur Pijon, avocat du roi auprès de la cour de justice des capitouls. Depuis son balcon, il s'insurge contre « pareil escandalle qui marque un mépris souverain pour la religion dans un tems aussy saint que celuy-cy ». Les témoins de la scène nous dépeignent un Pijon qui trépigne, qui vitupère et qui s'étrangle presque en haranguant la foule « d'un ton colère » et en menaçant les trublions. En vain, « lesdits jeunnes hommes s'en furent en riant et disant qu'il falloit que cest homme feut fol ».

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1 - G. Caussé. Notes sur le monastère des Onze-Mille Vierges de Saint-Pantaléon de Toulouse, in Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome XI (1874-1879), p. 108-118.
2 -  Archives Municipales de Toulouse, FF 799/2, procédure # 053, du 26 mars 1755.

Cadastre de 1680-1794, lettre ornée en tête du moulon 1er, article 5 de la matrice du capitoulat du Pont-Vieux, ville. Mairie de Toulouse, Archives municipales, cote CC 92 (détail).

Oh le bel oiseau !


mars 2023

Tout a débuté lorsqu'il y a quelques années, une demande nous a été adressée par une doctorante de l'autre bout de la France, quant à d'éventuelles archives d'oiseleurs du 18e siècle que nous pourrions conserver dans nos fonds.
Évidemment, nous n'en avions aucune. D'ailleurs, le seul oiseleur alors repéré dans nos fonds d'archives venait de succomber, victime d’une décharge de fusil en pleine face ; il n'avait laissé qu'un « petit apeau d'argent pour apeller les oiseaux », quelques piécettes et quatre pommes. Certes, nous avions bien croisé une autruche et un oiseau assifrago ; mais ça n'allait pas, car il fallait des oiseaux de compagnie, des oiseaux en cage dans une chambre ou sur le rebord d'une fenêtre, non des animaux de foire montrés par des opérateurs itinérants. Quant aux pigeons, ils ne pouvaient non plus faire l'affaire.
Encore une fois, ce furent les procédures criminelles qui vinrent à notre rescousse : peu à peu y apparaissaient quelques serins, canaris et chardonnerets dans leurs cages ou prenant leur envol. L'un d'eux fut même acheté à dessein en 1787 par Mlle D... afin de s'entraîner au tir au pistolet dans le but d'accomplir une vengeance. Le volatile s'en sortit pourtant, tout comme l'adversaire de Mlle D..., et ce ne fut pourtant pas faute de leur avoir tiré dessus à bout portant dans les deux cas.
À ces exemples qui restent somme toute assez anecdotiques, est récemment venu s'ajouter un procès exceptionnel mettant en scène trois drôles d'oiseaux : la fille – un tantinet volage – d'un marquis, un vicomte et descendant des empereurs d'Orient, et enfin un chevalier et fils de capitoul1. Dans ce ménage à trois, on vit sous le même toit, on y élève des canaris en cage (jusqu'à quarante dans une seule pièce) ou dans des volières. Bref, tout semble gazouiller dans le meilleur des mondes jusqu'à ce qu'une nuit, notre chevalier surprenne la belle au nid, batifolant avec le rejeton des empereurs d'Orient. Coup de sang et prise de bec, le chevalier dégaine son épée et tente d'occire son rival. Or, comme nous sommes dans la meilleure société, on fait tout pour étouffer l'affaire dans l'œuf, et les capitouls prononcent la relaxe du jaloux à l'épée, devenu... dindon de la farce.
Nous aurions pu nous contenter de noter cette véritable volée de canaris et d'en rester là.
Mais voilà, il se trouve que les Archives départementales de la Haute-Garonne conservent les archives de la famille de la marquise. L'on y découvre que, le lendemain-même de l'agression, on s'est hâté de marier la marquise au descendant des empereurs d'Orient2. L'affaire était donc close.
Ou pas, car les Archives départementales de l'Hérault nous apprennent quant à elles que le chevalier a, de son côté, pris son envol jusqu'au fort de Brescou, où il fut enfermé par ordre du roi ; ce qui ne l'empêcha pas de finalement récupérer son « bien », ravissant à nouveau sa tourterelle de marquise, et laissant à son tour le vicomte oriental le bec dans l'eau3.
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1 - Archives municipales de Toulouse, FF 817/5, procédure # 110, du 17 août 1773.
2 - Achives départementales de la Haute-Garonne,12 J 26.
3 - Achives départementales de l'Hérault, 1C 131.

Portrait de Henri IV représenté dans le registre des titres du Moulin du Château pour les années 1602-1665. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 14Z5.

La reine et le Vert-Galant


février 2023

En 1578, Catherine de Médicis se rend dans le sud du Royaume de France en ayant pour objectif de signer un nouvel accord de paix avec son beau-fils, le roi de Navarre, le futur Henri IV, aussi connu sous le nom de Vert-Galant. En effet, depuis 1562, les guerres de Religion font rage entre catholiques et protestants.
Tout un voyage est donc organisé, Catherine de Médicis, la reine-mère se déplace avec une suite de plus de 200 personnes !! Après un long voyage, la suite française se rend à Toulouse. Elle y arrive le 10 octobre 1578.
Les Annales des capitouls relatent l’entrée de Catherine de Médicis dans la ville. Il semble que celle-ci ait été particulièrement bien accueillie par le corps municipal. A la porte Saint-Etienne les honneurs lui sont rendus par le duc de Joyeuse, le sénéchal de Toulouse, les notables les plus en vue, ainsi que les capitouls. Il faut souligner que recevoir la famille royale est un honneur pour la ville. Elle est donc souvent parée et embellie pour impressionner ses hôtes couronnés. Nous pouvons retrouver le détail des dépenses extraordinaires parmi les registres des pièces à l’appui des comptes que nous conservons dans les fonds anciens des Archives municipales de Toulouse. En effet, le registre que nous conservons sous la cote CC2498, nous relate divers préparatifs. En outre, vins et victuailles ont dû être achetés en grande quantité.
Malheureusement, Henri de Navarre la fera patienter pendant un mois et ne viendra finalement pas. Cette situation fait enrager la reine-mère qui écrit à son fils le roi de France : « Mais à ce propos, il fault que je vous dye que je suis merveilleusement faschée et ennuyée d’avoir este desjà icy trois jours sans avoir eu aucunes nouvelles de mon filz le roy de Navarre 1» ou encore : « je m’esbahissois comme il n’avoit aultre respect et affection à moy 2».  Finalement, la rencontre se fera à Auch le 22 novembre 1578, puis l’accord de paix sera négocié dans la ville de Nérac à partir du mois de février 1579.
Vert-Galant de réputation, Henri IV a manifestement aussi su se faire attendre, même par la femme la plus puissante du Royaume.

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1 - Correspondance de Catherine de Médicis, Lettres de Catherine de Médicis, publiées par Hector de La Ferrière : Catherine Médicis, consort of Henry II, King of France, 1519-1589 : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive
2 - Correspondance de Catherine de Médicis, Lettres de Catherine de Médicis, publiées par Hector de La Ferrière : Catherine Médicis, consort of Henry II, King of France, 1519-1589 : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive

"Vrees" [la crainte]. Aquarelle sur papier par Pieter van den Berge, entre 1675 et 1737, d'une série de "Représentations de personnages, de traits, de vertus et de vices", entre 1675 et 1737. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-T-1887-A-1352.

Bouh !


janvier 2023

Nous avons déjà traité de la peur dans un précédent numéro d'Arcanes (février 2021), ainsi que dans deux "Procédures criminelles à la carte" (n°18, octobre 2020 et n°23, mai 2022). Nous allons donc ici dévier légèrement afin d'évoquer une autre facette liée à cette émotion : la peur liée à la surprise et, par ricochet, les syncopes, évanouissements et pamoisons qu'elle entraîne. Les archives criminelles des capitouls sont en cela toutes indiquées.

La mésaventure de François Faramond en est une illustration : harponné par des inconnus rue des Tourneurs, conduit sans ménagement l'épée dans les reins dans un lieu inconnu et séquestré une partie de la nuit les yeux bandés, puis enfin relâché au petit matin, on le retrouve défaillant, hagard, presque en syncope. Ses amis parlent même du « grand trouble où il est qui luy oste presque la raison »1.
En 1738, Jeanne Marie Goume se voit affreusement insultée par le curé du Taur. Sa surprise est telle, « qu'après avoir amèrement pleuré, elle tomba en pamoison », au point «  qu'elle en a été réduite aux bouillons pendant cinq ou six jours »2.
François Labeirie est en état de choc ce 28 mai 1772, tellement qu'il se trouve mal en sortant de l'appartement de sa femme et de l'amant de celle-ci, et que l'on est obligé de le soutenir. Les voisins « le mirent sur un fauteuil et lui jettèrent de l'eau sur le visage, qui le remit à lui-même ». Il faut dire que son état vacillant tient autant de la surprise de trouver sa femme avec un autre homme, que de la tentative de strangulation dont il vient d'être victime3.
En 1782, lors d'une course organisée entre Croix-Daurade et la porte Matabiau, le ton monte entre certains des spectateurs, et il laisse vite place à une explosion de violence. Anne, assiste à la scène, et « elle se troubla beaucoup » ; quant à Marie, elle « se troubla & fut s'asseoir »4. Trois ans plus tard, Jacques Monna reçoit une décharge de fusil en pleine face, sans surprise, il tourne de l'œil, tout comme un témoin de la scène qui « se troubla si fort qu'il perdit presque connaissance »5.
Les faiblesses peuvent évidemment être causées par une action mécanique où la surprise et la peur n'ont rien à faire ; à l'exemple de Peyronne Bétignol abordée par Cappelou et ses insinuations salaces, auxquelles elle répond qu'ils n'ont « pas gardé les cochons ensemble ». Vexé, Cappelou lui décoche un magistral coup de poing. Et « on eut toutes les peines du monde à la faire revenir de l'évanouissement dans lequel elle estoit tombée »6. Ou encore Guillaume Rigal qui, en 1769, « tomba à terre en cinqoppe, à demi-mort, sans mouvement et sans parolle victime d'un coup judicieusement placé dans ses parties nobles »7.

Le rideau tombe sur cet éventail sommaire de sources, il tombe d'ailleurs un soir d'opéra en 1772, où l'on joue La fée Urgelle. Le sieur Bourdette y tient le rôle de la Hire. Dès qu'il paraît, les sifflets venant du parterre ont raison de ses nerfs : « il s'est évanoui et a quité la scène »8.

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1 - FF 747/1, procédure # 021, du 1er avril 1703.           2 - FF 782/3, procédure # 088, du 18 août 1738.             3 - FF 816/4, procédure # 094, du 2 juin 1772.
4 - FF 826/6, procédure # 105, du 26 août 1782.           5 - FF 829/6, procédure # 122, du 22 juillet 1785.           6 - FF 785/4, procédure # 115, du 17 juillet 1741.
7 - FF 813/4, procédure # 099, du 1er juin 1769.            8 - FF 816/6, procédure # 136, du 9 août 1772.