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Ça fout les jetons !

Maison Seube, vers 1910. Photographie noir et blanc. Dépôt de l'association des "Toulousains de Toulouse". Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi554.

Ça fout les jetons !


février 2021

Des portes qui claquent, des lumières fantomatiques aperçues par les passants… Pendant des années, la maison Seube, au bout des allées Paul-Feuga, près du pont Saint-Michel, fut le théâtre d'événements étranges et inexpliqués qui entretinrent sa réputation de maison hantée. Sa silhouette massive, ses faux mâchicoulis semblent en effet tout droit sortis de la littérature gothique du 19e siècle, des Mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe à La chute de la maison Usher d'Edgar Poe, romans dans lesquels la demeure est un personnage à part entière, ajoutant aux tourments de ses héros.
De nombreuses légendes ont couru sur la maison Seube, légendes dont la presse locale s'est fait l'écho : l'édifice serait construit à l'emplacement de la maison du bourreau du Salin, un peintre y aurait assassiné son modèle, ou encore un groupe d'étudiants y seraient devenus fous. Construite à la toute fin du 19e siècle pour la famille Seube, la maison fut ensuite abandonnée et squattée. Elle était inoccupée depuis des années lorsqu'un incendie se déclara en mai 1980. Fort heureusement, les dégâts ne furent pas irrémédiables et sa protection au titre des monuments historiques intervint peu après.

Construite sur deux rues aux niveaux différents, elle donne l'impression d'être entourée de douves, tandis que les petites ouvertures dans le soubassement rappellent les meurtrières des châteaux médiévaux. L'entrée principale se trouve sur les allées, magnifiée par une lourde porte en bois, à l'encadrement en pierre surmonté d'arcs en accolade couronnés de pinacles et ornés de choux frisés, dans le plus pur style du 15e siècle. L'entrepreneur chargé de la construction, Jean Larroque, a rapporté que cet encadrement en pierre proviendrait de Bruniquel et serait un remploi d'un authentique vestige du 15e siècle. Copies, remplois, difficile de démêler le vrai du faux dans ce chef d'œuvre de l'« architecture de pastiche »1.

Maison Seube, détail du chapiteau sculpté d'une fenêtre géminée. Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Région Occitanie, IVC31555_20213100002NUCA.La maison Seube représente incontestablement un véritable répertoire des formes de l'architecture toulousaine à travers les siècles : les fenêtres jumelées aux chapiteaux sculptés s'apparentent à celles que l'on peut encore voir sur la maison « romano-gothique » de la rue Croix-Baragnon (fin du 13e, début du 14e siècle), les fenêtres à traverse en pierre portant des culots sculptés sont plutôt une libre réinterprétation de celles de la fin du 15e siècle, de même que les frises de faux mâchicoulis dont l'usage se maintient au 16e siècle. Le comble à surcroît percé de mirandes est quant à lui un des lieux communs de l'architecture du 17e siècle à Toulouse. L'intérieur n'était pas en reste : les cheminées étaient faites avec des sarcophages de style paléochrétien, et les murs décorés d'inscriptions latines. Henri Rachou, peintre et conservateur du musée des Augustins à partir de 1903 (c'est lui le fameux peintre qui aurait assassiné son modèle dans la maison), a, semble-t-il, participé à l'élaboration des plans de cette demeure, tout comme l'épouse du commanditaire et ses trois filles.
Véritable manifeste d'un éclectisme régionaliste, les différents emprunts historicistes ajoutent à l'« inquiétante étrangeté » qui peut se dégager de l'édifice. Les rumeurs les plus effrayantes ont couru sur cette maison, jusqu'à ce qu'un chasseur de démons confirmé, spécialiste des maisons hantées et des phénomènes paranormaux, annonce en 2017, que non, la maison Seube n'est pas hantée2.

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1 Paul Mesplé, « L'architecture de pastiche à Toulouse », L'Auta, mars 1978, p. 66-80.
2 Lire l'article L'immeuble aux mille légendes dans La Dépêche du Midi, du 28 octobre 2017.