Arcanes, la lettre

Dans ma rue


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici les articles de la rubrique "Dans ma rue", consacrée au patrimoine urbain toulousain.

DANS MA RUE


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Fontaine de l’immeuble 16 rue Valade. Phot. Krispin, Laure, 2003 (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie, IVC31555_20033100121NUCA.

La grenouille et le lion


mars 2024
On aurait imaginé que la grenouille, animal des mares et des étangs par excellence, serait fortement représentée dans l’iconographie des fontaines, il n’en est rien. L’animal le plus fréquemment rencontré sur les fontaines toulousaines est le lion : par son museau il crache l’eau qui s’écoule dans les bassins. Dès l’Antiquité, les bouches de fontaines, les gargouilles ou les vases sont ornés de mufles de lion, animal de feu qui s’unit ainsi à l’eau. Cette tradition perdure jusqu’aux pompes à bras de la 1re moitié du 20e siècle que l’on voit dans la campagne toulousaine.

Il est vrai que la grenouille a un côté sombre, lié aux ténèbres, qui pourrait expliquer cette mise à l’écart. Son cousin le crapaud n’est-il pas le compagnon de la sorcière ?

Grenouille de la fontaine Clémence Isaure. Phot. Soula, Christian, 1981 (c) Inventaire général Occitanie.
Il faut attendre le 19e siècle pour voir se multiplier les animaux aquatiques dans l’iconographie des fontaines toulousaines, comme dans les mises en scènes des places Salengro ou Olivier :
 hérons, tortues, enfants poissons et enfants libellules s’ébattent dans des jeux d’eau. Des poissons sont mêmes ajoutés aux marmousets de la fontaine Saint-Étienne qui jusqu’alors urinaient dans l’eau à la manière du Mannenken Pis, heurtant le goût de ce siècle qui ne saurait voir.

Mais la grenouille associée à une fontaine apparaît à Toulouse avec l’œuvre de Léo Laporte-Blairsy où le pittoresque règne : Clémence Isaure, la muse des poètes toulousains, surmonte la fontaine ornée de poissons, de tortues et de grenouilles, reine d’un monde aquatique.

On retrouve la grenouille, en béton cette fois-ci, décorant la fontaine d’un immeuble rue Valade, se démarquant parmi les fontaines de la fin du 20e siècle qui préfèrent plutôt la figure traditionnelle du mufle de lion.
Salle des fêtes de Jules-Julien, négatif n&b, Jean Montariol, 1933. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 57Fi113.

Écoles et salles des fêtes


février 2024
Entre 1925 et 1935, sous l'impulsion du maire Étienne Billières, la ville de Toulouse met en place une politique volontariste d'embellissements et de constructions dont le moteur est la modernisation des infrastructures et des équipements communaux. Parallèlement à l'important programme des habitations à bon marché qu'elle subventionne, la municipalité engage la construction d'installations sociales, sanitaires, scolaires et culturelles.
Sont alors bâtis quinze groupes scolaires, six bains-douches, cinq fourneaux économiques, trente kiosques, une bourse du travail, un parc des sports et une bibliothèque municipale. L'ensemble de ces réalisations est pour la plupart signé de l'architecte de la ville, Jean Montariol.
Dans le cas de trois groupes scolaires, une salle des fêtes a également été aménagée permettant de développer les activités post-scolaires et d'offrir aux habitants des quartiers un lieu de rencontres et de réunions. Plan d'ensemble du groupe scolaire de Fontaine-Lestang, négatif n&b, Jean Montariol, 1931. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 57Fi103.
Traités comme des éléments de prestige, ces édifices, tout en présentant des caractéristiques communes, sont différents. A Jules-Julien et Ernest-Renan, bâtis respectivement en 1933 et 1935, les bâtiments isolés sont en retrait par rapport à la rue et précédés d’une esplanade plantée. La salle des fêtes s'ouvre sur une façade monumentale très classique, à trois travées centrales, accessibles en rez-de-chaussée par un grand escalier de quelques marches et soulignées à l'étage par un balcon. Les éléments de décors sont très présents : ferronnerie des portes et du balcon, frise en mosaïque à Jules-Julien et reliefs sculptés à Ernest-Renan. 
La salle des fêtes du groupe scolaire de Fontaine-Lestang, plus tardive (1940), diffère de par son implantation et son style architectural plus sobre. Élément de liaison entre les deux groupes scolaires, elle présente une façade toujours organisée symétriquement où le rythme vertical est accentué par la large casquette en béton protégeant l'entrée.
Ces édifices, restés des lieux de rencontre, accueillent aujourd'hui un théâtre à Jules-Julien, un centre culturel à Ernest-Renan et un gymnase à Fontaine-Lestang.
72 boulevard de Strasbourg, détail de la lucarne. Phot. Cadot, Fabien, 2014 (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie. IVC31555_20143100539NUCA.

Il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver un Job


janvier 2024

En traversant le boulevard de Strasbourg, ce n’est pas un, ni deux, mais trois hôtels particuliers Job que vous trouverez, rappelant le souvenir de cette société si importante pour Toulouse du milieu du 19e siècle jusqu’aux années 2000.

Comme indiqué plus haut, dans les années 1830 Jean Bardou a l’idée de fabriquer et de commercialiser des petits carnets de feuilles prédécoupées destinées à rouler les cigarettes, remplaçant les grandes feuilles d’un papier épais et rugueux que l’on trouvait jusqu’alors. Il s’associe en 1838 à Zacharie Pauilhac : Bardou s’occupe de la fabrication des carnets à Perpignan, Pauilhac de l’expédition et de la vente depuis Toulouse dans le quartier des Chalets. 

Les descendants des deux familles poursuivent le développement de l’entreprise, la marque grandit et s’étend tout au long de la 2e moitié du 19e siècle. Déjà présente depuis 1866 dans cet îlot, la famille Pauilhac acquiert l’ancien hôtel et le gymnase du célèbre athlète Jules Léotard (72 boulevard de Strasbourg et 4 rue de la Concorde) en 1888. Entre la fin du 19e et le début du 20e siècle, de nombreuses transformations ont lieu. L’hôtel du n° 72, est réaménagé et étendu jusqu’à la rue Roquelaine pour abriter les appartements de Georges Pauilhac vers 1898. Ce dernier fait également construire la partie de l’hôtel en fond de cour, issue d’un Moyen Âge fantasmé et féerique pour accueillir ses collections d’armes peu de temps après. Un autre hôtel est édifié en 1910 au n° 76 pour Juliette Pauilhac et son époux Antoine-François Calvet. Mélangeant les styles et les époques, ces constructions sont l’œuvre de l’architecte toulousain Barthélémy Guitard. 72 boulevard de Strasbourg, détail du corps en fond de cour. Phot. Cadot, Fabien, 2014 (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie. IVC31555_20143100548NUCA.Malgré d’importantes transformations dans les années 1950-1960 pour accueillir le Centre Régional de Documentation Pédagogique de Toulouse, les magnifiques intérieurs Art nouveau de l’hôtel de Georges Pauilhac ont été préservés. Ces édifices abritaient à la fois l’habitation particulière des membres de la famille Pauilhac, qui avaient tous partie prenante dans la société Job, lieux célèbres de la vie mondaine toulousaine de l’entre-deux-guerres, mais aussi des bureaux, des magasins de vente et d’expédition, puis des ateliers, au 4 rue de la Concorde, aux 19 et 17 rue Claire-Pauilhac et au 2 rue Job. Antoine et Pierre Thuriès prennent la suite de Barthélémy Guitard en tant qu’architectes attitrés de la famille Pauilhac et réalisent l’usine Job des Sept-Deniers en 1931.

Après l’installation du CRDP dans l’hôtel de Georges Pauilhac, les autres propriétés Job du quartier des Chalets sont vendues. Elles ont été depuis transformées pour accueillir des appartements, mais conservent une grande partie des nombreux décors du début du 20e siècle. À Perpignan, l’hôtel particulier de Jules Pams, frappé lui aussi des armes de JOB (il avait épousé Jeanne Bardou-Job en 1888), chef d’œuvre de l’éclectisme fin de siècle et de l’Art nouveau, vient quant à lui d’être classé au titre des Monuments Historiques.

Château d'en Haut, gravure de François-Saturnin Meilhou daté de 1815, Collection privée, IVC31555_20233101328NUCA.

Il n'est jamais trop tôt pour aller à Cornebarrieu


décembre 2023
Après Lespinasse et Saint-Orens, le diagnostic patrimonial de Cornebarrieu vient de s'achever. Charmante commune aux airs de petit village de campagne, c'est à l'époque médiévale qu'est fondé le bourg. Du sommet de sa colline, le château d'en Haut domine Cornebarrieu inscrit dans une boucle de l'Aussonnelle. Bien que d'époque moderne (15e siècle – 18e siècle), il pourrait avoir été à l'origine une ancienne place forte médiévale avec son site naturellement fortifié. Château de Pontié, vue depuis l'allée d'accès. Phot. Playe, Amaury (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie, IVC31555_ 20233101400NUCA
La commune n'est pas en reste avec quatre autres châteaux répartis sur le territoire : celui d'en Bas, de Pontié et d'Alliez, tous trois construit au 17e siècle, et celui de Laran, reconstruit au 19e siècle, à la place d'un château de la Renaissance, par le baron de Bellegarde, ancien maire de Toulouse au début du 19e siècle.
Mais Cornebarrieu ne regarde pas seulement vers le passé et se tourne vers l'avenir et la technologie. La présence d'Airbus et de l'usine Jean-Luc Lagardère, véritable cathédrale industrielle faite d'acier qui a servi à l'assemblage final du plus gros avion commercial du monde, l'A380, et aujourd'hui de son best-seller, l'A320 néo, inscrivent pleinement la commune dans le 21e siècle.
Alors, levez-vous tôt pour éviter les embouteillages et allez faire un tour à Cornebarrieu à la découverte de son patrimoine !
Élévation antérieure de la maison 21 rue Périssé. Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle ; Krispin Laure (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie, IVC31555_20133101661NUCA.

En visite chez mère-grand


novembre 2023
Le petit chaperon rouge s’en allait rendre visite à sa grand-mère, lui porter une galette et un petit pot de beurre. Mère-grand, très âgée et malade, logeait désormais à la maison de retraite des Petites Sœurs des pauvres, le long de l’avenue Jean-Rieux. À peine se fut-elle éloignée de la maison de sa mère, au 21 rue Périssé, une jolie petite chaumière de style Art déco construite par Augustin Callebat en 1928, qu’elle rencontra compère loup.
Il lui demanda où elle allait. La pauvre enfant, qui ne savait pas qu'il est dangereux de s’arrêter écouter un loup, lui dit : « Je vais voir ma mère-grand, et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie ». « Demeure-t-elle bien loin ? lui demanda le loup » «  Oh ! oui, dit le petit chaperon rouge, c'est par-delà le parc du Caousou que vous voyez tout là-bas, en face de la villa des Rosiers ». « Hé bien, dit le loup, je veux aller la voir aussi ; j’y vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons qui plus tôt y sera. »
La petite fille s’en alla par le chemin le plus long, prenant le temps d’admirer l’ancien cinéma Le Pérignon et sa halle en pan de béton armé et l’école maternelle Jean-Chaubet dont les lignes et l’alternance brique/béton lui rappelèrent celles de la bibliothèque du patrimoine,  Arrivant par la cité jardin de la régie du gaz, elle fut frappée par l’agréable disposition de ses bâtiments, conçus pour les familles nombreuses des employés de la régie municipale par les architectes Fabien Castaing et Pierre Viatgé de 1949 à 1952. Après avoir jeté un coup d’œil à la villa Art nouveau du 120 avenue Jean-Rieux, le petit chaperon rouge se prépara enfin à tirer la chevillette du portail de la maison de retraite.
Vestiges du portail et du clocher des Cordeliers. Phot. Friquart Louise-Emmanuelle (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire, général Région Occitanie, 2023, IVC31555_202331 50767NUCA.

Comme un intrus en son domaine : le clocher du couvent des Cordeliers


octobre 2023
C’est avec surprise qu’au détour d’une rue, on se retrouve nez à nez (ou à peu près) avec un clocher esseulé dans le jardin jouxtant les bâtiments de la banque de France. Cet élément bâti, qui au premier abord ne semble pas à sa place, est en fait le seul vestige - avec quelques pierres constituant les éléments d’un portail - du couvent des cordeliers établi sur cet îlot à partir du 13e siècle.

Comme les Jacobins et bien d’autres édifices religieux, le couvent des Cordeliers, désaffecté à la Révolution, sert de magasin à fourrage pour l’armée. Après un incendie survenu en 1871, l’église et ses bâtiments annexes sont condamnés à être démolis malgré l’avis de l’architecte Jacques Jean Esquié. En effet, ce dernier estime que le bâtiment n’a besoin que d’une nouvelle toiture pour retrouver sa fonction d’entrepôt, tout en considérant que ces travaux permettraient de conserver un édifice médiéval remarquable, classé au titre des monuments historiques depuis 1862. Grâce à l’insistance de la société archéologique du Midi de la France, la Ville décide de maintenir le clocher ainsi que le portail de l’église en pierres sculptées qui, après avoir été démonté, est conservé dans un entrepôt. Après bien des tergiversations, il est reconstruit en 1936 sur la rue du Collège-de-Foix, ses piédroits servant d’écrin au clocher situé dans la perspective. Par ailleurs, d’autres vestiges de l’ensemble conventuel (chapelle, salle capitulaire, sacristie, pans de mur de l’abside) existent encore à l’arrière des parcelles des 11, 13 et 15 rue des Lois. L’ensemble des élévations, ainsi que le jardin dans lequel s’élève le clocher, ont été de nouveau protégés au titre des monuments historiques en 1994.
 
Vue du bâtiment peu après sa construction (années 1930). Archives du groupe La Poste.

Pas de problème, la poste est là


septembre 2023

Quel bonheur à la fin de l’été de recevoir (encore) des cartes postales. L’origine de cette pratique apparaît en Allemagne, semble-t-il, peu de temps après la guerre de 18701. Elle prend ensuite toute son ampleur avec le développement du tourisme et la création des congés payés la consacre en tant que passage obligé de tout vacancier se rappelant au bon souvenir de sa famille et de ses amis, en même temps qu’elle proclame haut et fort : « j’y étais ». Cette première moitié du 20e siècle voit ainsi un essor sans précédent de l’activité postale et des communications, et les bureaux de postes se multiplient sur tout le territoire. Repères dans le paysage urbain et marqueurs de la présence de l’État dans la moindre bourgade de province, leur construction est assurée par un service d’architecture des PTT créé en 1901 au sein du ministère2. Ses architectes sont des hommes de l’art aux titres prestigieux, souvent Prix de Rome, comme l’était Léon Jaussely, auteur du bâtiment Art déco de la poste de Saint-Aubin.
L’actualité toulousaine met à l’honneur cet architecte, auteur de plusieurs œuvres dans sa ville natale et dont le rôle précurseur dans la naissance de l’urbanisme moderne est largement reconnu3. Dans le cadre des travaux de la ligne C, le monument aux combattants de la Haute-Garonne fait l’objet d’un chantier titanesque avec le déplacement des 1400 tonnes de l’arc de triomphe. Quant à la poste de Saint-Aubin, elle est en cours de rénovation.
Et comme le bonheur, c’est aussi simple qu’un coup de fil, un bâtiment dédié à l’amplification des lignes à grande distance est bâti peu de temps après la poste de Jaussely à l’opposé de la parcelle, du côté du canal. Détruit par l’armée allemande, il est reconstruit à partir de 1944 par l’architecte des PTT Andrée Moinault. Les jeux de lumière créés par le calepinage de la brique, le solin enduit ou les corniches en béton assurent le lien entre le bâtiment Art déco de Jaussely et le centre d’amplification au style moderne, conçu par cette femme architecte dont l’œuvre reste à découvrir.

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1 - Les origines de la carte postale | Musée de la Carte Postale (museedelacartepostale.fr)
2 - Charlotte Leblanc, « Les archives du ministère des Postes, Télégraphes et Téléphones (1945-1991) aux Archives nationales : une source pour la connaissance de l’architecture », In Situ [En ligne], 34 | 2018, mis en ligne le 04 mai 2018, consulté le 17 août 2023. URL : https://journals.openedition.org/insitu/15684 ; DOI : https://doi.org/10.4000/insitu.15684
3 - Rémi Papillault, « L'urbanisme comme science ou le dernier rêve de Léon Jaussely », Toulouse. 1920-1940. La ville et ses architectes. Toulouse: CAUE, Ecole d'architecture de Toulouse, Ombres Blanches, 1991, pp. 24-39.
Laurent Delacourt, Léon Jaussely, un pionnier solitaire. Paris : Éditions du patrimoine, collection "Carnets d'architectes", 2017.

Monument commémoratif de la guerre de 1914-1918 à la gloire des combattants de la Haute-Garonne. Phot. Bonenfant Julie (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, 2014, nc

Des critiques drôlement salées !


juillet-août 2023
En 1931, les deux reliefs ornant les piédroits intérieurs du monument commémoratif de la guerre de 1914-1918 à la gloire des combattants de la Haute-Garonne sont découverts après de longs mois de travail. Exécutés par le sculpteur Camille Raynaud, ils illustrent d’un côté "la Victoire" et de l'autre "le retour des soldats". Immédiatement, la figure de la Victoire suscite une réprobation unanime et un comité de protestation se forme pour en demander la suppression. S’ensuit une protestation générale de l’opinion publique 
Détail du haut-relief « la Victoire » de Camille Raynaud. Phot. Bonenfant Julie (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, 2014, ncrelayée par la presse. Un journaliste de La Dépêche du 15 janvier 1932 écrit : « A vrai dire, cette Victoire-là pourrait aussi bien former le principal sujet d’un bas-relief qui représenterait par exemple "le Retour d’Age" ou "l'Autopsie de la Noyée" ». Quelques mois plus tard, il renchérit en affirmant que « cette Victoire est un navet agressif comme on en voit peu en plusieurs siècles ». Cette représentation est effectivement exceptionnelle car, contre toute attente, l’artiste a choisi d’évoquer une Victoire, non pas sous la forme d’une allégorie d’une femme jeune et triomphante, comme elle apparaît sur de nombreux monuments commémoratifs mais sous la figure très réaliste d’une femme au corps lourd, épuisée par quatre années de guerre, ployant sous le poids des 10 millions de morts. Après bien des démarches, la requête du Comité est définitivement rejetée par le Conseil d’Etat, en 1935, au nom de la loi sur la propriété artistique interdisant de toucher à l’œuvre sans l’accord de son auteur.
Ce monument signé par l’architecte Léon Jaussely est de nos jours l’objet de toutes les attentions. En effet, dans le cadre de l’ouverture de la 3e ligne de métro, les travaux prévus pour la nouvelle station nécessitent son déplacement d’une trentaine de mètres. Ces opérations hors du commun vont se dérouler à la fin du mois d’août, mais elles ne devraient pas susciter autant de polémiques.
La rue de Metz en travaux, entre 1895 et 1908. À gauche, l'église et le musée des Augustins. Fonds photographique des Toulousains de Toulouse. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 51Fi2675.

Vous allez être gâtés


juin 2023

Le week-end des 24 et 25 juin, à l’occasion des travaux de la rue de Metz, auront lieu deux jours de festivités au cours desquels des crieurs de rue et des joueurs d’orgues de barbarie viendront animer cette artère créée à la toute fin du 19e siècle.
La nouvelle rue de Metz. Carte postale N&B, Galeries parisiennes (éditeur). Mairie de Toulouse, Archives municipales, 9Fi3957.Ouverte à la circulation en 1898, elle est venue trancher le tissu urbain ancien, éventrant des îlots entiers et laissant la place à de beaux immeubles à loyers, enjeux d’une spéculation immobilière toute moderne. Pour cette réalisation, la municipalité s’associe avec la Société Immobilière Grenobloise Toulousaine, fondée par un ancien notaire toulousain, Bernard-Elie Deffès et des investisseurs grenoblois, qui récupèrent près de 60% des terrains à construire. Les architectes, également originaires de Grenoble, signent les plans d’immeubles à la façade souvent monumentale, dans laquelle la pierre est très présente.

Si l’eau vous est venue à la bouche, venez découvrir le projet du nouvel aménagement et vous plonger dans l’histoire de cette percée toulousaine d’inspiration haussmannienne. Durant ces deux jours, vous pourrez y déambuler tout en discutant avec les techniciens de Toulouse Métropole, à votre disposition pour répondre aux questions que vous vous posez sur le nouvel aménagement et suivre si vous le souhaitez l’une des quatre visites guidées proposées par les chargés d’inventaire de la direction du Patrimoine. Un avant/après qui sera matérialisé au sol grandeur nature par l’artiste Nicolas Jaoul.
Immeuble du 63 rue de la Pomme, détail du décor surmontant la porte d’entrée. Photo. Friquart, Louise-Emmanuelle (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse, 2020, nc

Fruit du mystère rue de la Pomme !


mai 2023
Le long de cet axe au nom évocateur, se déploie un bel immeuble de rapport, de style néoclassique, à l’architecture très écrite. Ses grandes arcades de boutique et d’entresol dédiés aux commerces prennent appuis sur des pilastres taillés dans la pierre. Ses étages sont traités de façon dégressive aussi bien dans leur dimension que dans l’application du décor. L’étage noble est souligné par un balcon continu aux balustres en fonte et Immeuble du 63 rue de la Pomme. Photo. Friquart, Louise-Emmanuelle (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse, 2020, ncles travées sont séparées par des pilastres cannelés ; au 2 e, ces derniers ont disparu au profit de tondi décoré de feuilles d’acanthe et seule une étroite frise de postes annonce le dernier niveau.
Cet immeuble se distingue également par son décor en terre cuite énigmatique couronnant la porte d’entrée : disposées sur les rampants du fronton, deux jeunes femmes assises sont vêtues à l’antique d’une tunique plissée et arborent chacune un élément distinctif. Ces œuvres, identifiées comme les allégories de l’Hiver et de l’Eté par l’historienne de l’Art Nelly Desseaux, sont signées du sculpteur Joseph Salamon travaillant pour la manufacture de la famille Virebent du milieu des années 1830 jusqu’à sa mort en mars 1850. A droite, l’Eté retient d’une main une corne d’abondance débordant de fruits (pomme, raisin, poire, pomme de pin, figue) alors qu’à gauche, celle qui représente l’Hiver, a sa main posée sur un cylindre percé. Cet élément n’est plus aujourd’hui identifié avec certitude. Pourrait-il s’agir d’un modèle de brasero en terre cuite auprès duquel vient se réchauffer l’Hiver ou s’agit-il d’un autre objet qui donnerait un sens différent à ces figures ? Le mystère reste entier.
 
Lespinasse, les bureaux et la gravière de l’entreprise Montamat peu après leur construction (vers 1968). Phot. Barutel, Géraud (c) Collection particulière, IVC31555_20233100366NUCA.

On change de disque


avril 2023
L’eau verte du canal du Midi, la brique rouge des Minimes, le Capitole ou Saint-Sernin, tout cela est très beau, bien sûr, mais on tourne un peu rond et on finit par connaître la chanson.
Il était grand temps de changer de refrain et d’aller voir ce qu’il se passe du côté des villes et villages de la Métropole. C’est chose faite pour Lespinasse au nord et Saint-Orens au sud-est de Toulouse qui ont fait l’objet d’un diagnostic patrimonial. Il s’agit d’une opération d’inventaire préliminaire mettant en lumière les éléments représentatifs ou exceptionnels de chaque commune, analysés au prisme de leur évolution urbaine. Saint-Orens, la villa Massot. Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle (c) Ville de Toulouse ; (c) Toulouse Métropole ; (c) Inventaire général Occitanie, IVC31555_20233101068NUCA.
Cette enquête permet aussi de dégager des pistes pour de futures études et des axes de valorisation particuliers, à charge ensuite pour chaque ville concernée de s’en saisir.
L’accueil a été chaleureux, les communes ont joué le jeu et les habitants aussi. Vous pouvez maintenant aller vous promener parmi les notices Mérimée de Lespinasse et partir à la découverte de  l’ancienne église du prieuré de Fontevraud, de son puits, du « moulin à vent – noria » ou encore aller voir les bureaux de l’entreprise Montamat, mettant en œuvre une maçonnerie originale de béton et de galets. Saint-Orens n’est pas en reste et recèle un patrimoine varié, allant de la piscine Tournesol et des abribus en béton monobloc à des édifices plus anciens : l’église bien sûr, mais aussi les anciennes demeures aux champs, tel le domaine du Bousquet, ou encore la villa Massot qui, malgré sa taille, a tout d’une grande.
Alors, c’est toujours la même chanson ?
 
Puits de l’Hôtel du May. Phot. Friquart Louise-Emmanuelle (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, nc

Tant va le seau à l'eau ...


mars 2023
L’approvisionnement et la gestion de l’eau ont toujours été une préoccupation majeure des édiles toulousains. De la construction d’aqueducs aux époques antique et médiévale allant récupérer l’eau de sources extra-muros pour alimenter des fontaines, au creusement et à l'entretien de puits publics, jusqu’à la construction au 19 e siècle du château d’eau puisant l’eau de la Garonne : les solutions mises en place ont été variées selon les époques.
Puits située actuellement dans la boutique Esprit rue de la Pomme. Phot. Krispin, Laure (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, IVC31555_20223100858NUCA
Pour faciliter la corvée journalière du puisage, de nombreux citadins ont fait aménager, dans la cour de leur immeuble ou dans leur jardin, des puits qu’ils utilisaient de manière privative ou en accès partagé grâce à l’érection de ces ouvrages en mitoyenneté parcellaire.
Toulouse conserve dans ses murs de nombreux puits, certains encore en eau, d'autres à l'état de vestiges. Dans le cadre de l'inventaire du Site patrimonial remarquable, 78 puits ont pu être observés. Certains ont conservé l’intégralité de leurs éléments : le conduit, le mur de margelle et le système de puisage. Une première analyse de ce corpus hétéroclite a permis d’enrichir la connaissance des modes de construction et des techniques de puisage, et d'étudier leur répartition à l'échelle de la parcelle et de la ville. Ce travail est disponible en ligne, dans le dernier numéro de la revue Patrimoine du Sud consacré à l'eau et à ses patrimoines en Occitanie.
 
Emplacement de la borde rouge sur le plan d’assemblage du capitoulat de Saint-Sernin, banlieue. Mairie de Toulouse, Archives municipales, CC2928, détail.

Des bordes rouges au Château Vert


février 2023

Donner un nom à sa maison est aujourd’hui passé de mode. Plus de « Do Mi Si La Do Ré » pour propriétaire mélomane, ni de « Mon rêve » marquant l’aboutissement d’une vie de dur labeur. Mêmes les plus simples « villa du pin » ou « villa Ginette » ne sont plus que des souvenirs qui s’effacent sur des plaques émaillées.
Il fut un temps pourtant où il était bien pratique que les maisons portent des noms, notamment dans le gardiage (banlieue rurale de la ville) où les repères pérennes manquaient, notamment quand on commença à cartographier la ville pour y prélever les impôts. Les plans d’assemblage de ces zones dans le cadastre de 1680 représentent ainsi pour chaque capitoulat, outre les chemins délimitant les moulons, les éléments marquants dans le paysage, tels que les ponts, les fontaines, les croix ou les édifices importants : châteaux et métairies. Le brouillon de celui de la banlieue du capitoulat de Saint-Sernin (CC2927) porte la mention « borde rouge » au bout d’un chemin, sous les dessins des châteaux de Paleficat et de Grandselve. La couleur de la brique laissée apparente a pu donner son nom à cette ferme, partagé plus tard par une autre à peu de distance. Cette appellation est également utilisée par le chemin qui la longe puis par le quartier, resté rural jusqu’à il y a peu, et enfin par la ZAC qui l’a urbanisé. Dans la même veine, une ferme - recouverte d’un enduit blanc ? - a donné son nom au chemin, puis au nouveau quartier en cours de construction aux Pradettes : Bordeblanche. Un pigeonnier subsiste à cet endroit, aujourd’hui au cœur d’un lotissement, sans que l’on sache vraiment si le domaine d’origine se trouvait à cet emplacement.
Alors qu’en est-il du Château Vert me direz-vous ? La couleur des murs aurait-elle donné son nom à cet édifice, disparu aujourd’hui mais que l’on situe à proximité de la place Wilson actuelle1 ? Bordel municipal, géré par les capitouls pendant une partie du 16e siècle2, l’adjectif qui lui est assigné pourrait aussi s’apparenter au thème de la vigueur, notamment sexuelle, que l’on retrouve dans l’étymologie du mot « vert », du latin viridis, dont est issue toute une série de mots qui évoquent la croissance, la vigueur ou la vie, tel le Vert-Galant3. À [ver]ifier.

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1 - Agathe Roby, « De la Grande abbaye au Château Vert. L’installation d’un bordel municipal à Toulouse au XVIe siècle ». Dans Histoire urbaine 2017/2 (n° 49), p. 17-35.
2 - François Bordes, « Toulouse 1519-1529 ou le temps des réformes et des grands travaux », Mémoires de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, vol. 170, 18e siècle – tome IX 2008, p. 133-145.
3 - Michel Pastoureau, Vert, histoire d’une couleur, éd. du Seuil, 2017, p. 27-28 et p. 158 pour l’explication du surnom donné à Henri IV, le « vert galant ».

Elévation sur l’allée de Brienne. Phot. Friquart Louise-Emmanuelle (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, IVC31555_20233100001NUCA

Bout de chou !


janvier 2023

Depuis toujours, la coutume voulait que les nourrissons et les enfants en bas âge soient confiés à des nourrices. Toutefois, devant la mortalité infantile due au manque d’hygiène notamment dans les classes indigentes, une nouvelle institution est mise en place, au milieu du 19e siècle, à l’initiative de Firmin Marbeau, jurisconsulte et philanthrope : un lieu où les enfants seraient à l’abri et recevraient des soins appropriés pour leur santé entre leur naissance et l’âge de 2 ans. En effet, à partir de cet âge-là, des asiles pouvaient les accueillir jusqu’à 6 ans, moment où ils étaient alors scolarisés. La première crèche de France, financée par des donations privées, ouvre à Chaillot en novembre 1844. A Toulouse, les premières crèches semblent se développer dans le dernier quart du 19e siècle. Celle de la manufacture des Tabacs date pour sa part de 

Elévation sur l’allée de Brienne, détail de la frise en céramique. Phot. Friquart Louise-Emmanuelle (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire, général Région Occitanie, IVC31555_20233100002NUCA

1912 mais semble être l’aboutissement d’un mouvement enclenché après les inondations de 1875, moment où le directeur de la manufacture avait ouvert au sein de l’usine un local pour accueillir les enfants en bas âge des ouvrières.

Installée sur une parcelle traversante, entre l’allée de Brienne et la rue des Amidonniers, à moins de 100 mètres de la manufacture, la crèche présente une façade principale ouvrant sur le canal de Brienne. Son élévation symétrique se compose d'un corps de bâtiment central à 3 travées et 1 étage encadré de chaque côté par un corps à 1 travée en rez-de-chaussée surélevé d'un niveau dans le 1er quart du 21 e siècle. Elle se distingue par la qualité de sa mise en œuvre basée sur un jeu de polychromie (brique rouge, brique claire et pierre) et sur les frises de style Art nouveau au motif de liseron scandant la façade.


 
53Fi1712 : Didier Daurat dépose une gerbe au monument des Pionniers de l'Aviation au jardin Royal (1961). Phot. André Cros. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi1712.

Ainsi font font font


décembre 2022
Aux vacances de Toussaint, Guignol et ses amis s’installent au jardin des Plantes. Petits et grands peuvent alors se régaler des aventures tragicomiques de ce théâtre de marionnettes. Le chapiteau prend place à proximité de la stèle du capitaine Bernet, hommage au grand chrysanthémiste toulousain. Aussi, si les marmots ne sont pas encore rassasiés après le spectacle, suivi d’une dizaine de passages à l’aire de jeux, de deux tours de balançoires et de 3 glaces chacun, vous pouvez leur concocter un jeu de piste et les lancer à la recherche des grands personnages de l’histoire locale ou nationale : Pierre-Paul Riquet, Jean Cassou ou encore Jean Moulin, qui ont tous leur buste dans l’enceinte du jardin. S’ils n’en n’ont pas encore assez, Apollon, Diane, Chloris, la Femme au paon ou Mercure pourront les distraire. Ces œuvres qui parsèment le parc sont issues de la grande vague de statuomanie de la fin du 19 e siècle, période où la municipalité cherche à magnifier ses artistes, les « Toulousains », groupe formé autour du sculpteur Falguière qui triomphe dans les salons parisiens.  Accéder à UrbanHistPuis viennent les monuments érigés aux gloires locales et « l’inflation mémorielle » du 20 e siècle, où l’on voit se multiplier les commémorations. Le mouvement se poursuit et aujourd’hui, à chaque pas le promeneur se heurte à une sculpture, un buste, une stèle, une installation. Au risque d’une indigestion ? A vous de juger : les œuvres urbaines installées sur l’espace public depuis 1945 ont fait l’objet d’un recensement en 2022 et leurs notices sont accessibles sur UrbanHist, voici une sélection des plus récentes
Ensemble depuis le pont enjambant le canal du Midi. Phot. Friquart Louise-Emmanuelle (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, 2022, 20223101301NUCA.

Chambres avec vue


novembre 2022

Contrairement à ce que pourrait laisser supposer le titre, nous ne sommes pas à Florence dans une chambre avec vue sur l’Arno, mais à Toulouse à l’hôtel, anciennement appelé Victoria, dont les chambres ouvraient sur les frondaisons des platanes longeant le canal du Midi. Cet édifice a été bâti à l’angle de la rue Bayard et du boulevard Bonrepos face à la gare. En effet, l’arrivée du chemin de fer a entraîné le réaménagement du quartier selon le plan dressé par l’ingénieur de la ville Guibal ainsi que la création du pont Bayard sur le canal du Midi permettant une liaison directe vers le centre-ville.

 
Elévation sur le boulevard Bonrepos, détail du bow-window. Phot. Friquart Louise-Emmanuelle (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, 2022, 20223101304NUCA.

De même, c’est cet aménagement qui est à l’origine de la construction de nombreux hôtels de voyageurs à proximité, dont celui édifié en 1913 sur les plans de l’architecte toulousain Jules Calbairac. 

Cet édifice possède deux façades bicolores où la pierre très présente vient animer la brique rouge. L’angle arrondi, à trois travées, est mis en valeur par des colonnes et pilastres en rez-de-chaussée, un entresol en pierre et des éléments de décor (balcon sur consoles sculptées, agrafes en pierre, ferronnerie, table encadrée par des ailerons). Les élévations, de part et d’autre se distinguent par la présence d’un bow-window en pierre reliant les 1er et 2e étages.
Le style architectural de cet édifice est un style de transition où l’éclectisme est toujours présent avec ses colonnes, chapiteaux, consoles à guirlandes, ses garde-corps aux influences variées (néo-18e et art nouveau). Toutefois, il laisse poindre une certaine modernité dans les formes plus rectilignes des encadrements des baies ou la simplification de certains éléments du décor, ainsi que dans le jeu de la pierre et de la brique.
Livre I des Annales (1295-1532). Chronique 194, 1516-1517, extrait. Le poids commun. Mairie de Toulouse, Archives municipales, BB 273 feuillet 17 partie gauche.

Emballé, c'est pesé


octobre 2022

Sur l'enluminure de la chronique de 1516-1517 des Annales des capitouls, on voit dans le registre supérieur droit une haute porte crénelée, portant les armoiries de la Ville qui encadrent celles des rois de France. Au-dessous, les huit écus des capitouls de l'année. À l'intérieur, se trouve une grande balance avec des poids. Il s'agit là d’une représentation symbolique du « poids commun » ou poids public, taxe instituée en 1499 sur les marchandises vendues dans la ville, dont le produit était récupéré par les capitouls pour l'entretien des remparts, des ponts et le pavage des rues. Les pesées servant à définir le montant des droits à percevoir par la ville se faisaient dans des lieux différents, avant d'être fixées à la « maison commune », l'ancêtre du Capitole actuel, vers 1532-1533. Les poids permettaient aux capitouls d'établir des étalons uniques pour chaque marchandise. Objets précieux, garantissant la juste mesure, les poids étaient conservés à la fin du Moyen Âge, avec les matrices des sceaux municipaux, dans un coffre fermé par huit clefs, une pour chaque capitouls1.
Le poids commun est ici associé à l'image du pont de Tounis, alors en cours de construction (image du bas) et du pont de Montaudran sur l'Hers (en haut à gauche). 

Il s'agit peut-être là d'une volonté de souligner le fait que les taxes issues du poids public permettaient d'entretenir de tels ouvrages. Les armoiries royales rappellent quant à elles que cette libéralité avait été octroyée par le roi.
La rue du Poids-de-l’Huile conserve le souvenir du local spécifique où étaient entreposés et pesés les huiles, les jambons et les autres chairs salées entrant dans la ville avant d’être vendues par les marchands.

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1- François Bordes (dir.), Toulouse, parcelles de mémoire. Catalogue de l'exposition présentée aux Archives municipales de Toulouse du 5 décembre 2005 au 6 mars 2006. Toulouse : Mairie de Toulouse / Archives municipales, 2005, p. 104.

Elévation sur la place Esquirol, détail. Photo. Louise-Emmanuelle Friquart, @ Toulouse Métropole, 2020

J’aime un peu, beaucoup, passionnément… pas du tout !


septembre 2022
Qui, durant l’enfance, n’a jamais effeuillé une pâquerette en scandant ces quelques mots pour avoir une réponse facile et immédiate face à un doute ? C’est parfois ce qu’on pourrait encore avoir envie de faire devant certains bâtiments à l’architecture contemporaine, qui surprennent, mais dont on ne sait pas quoi penser !  Elévation sur la place de la Trinité. Photo. Louise-Emmanuelle Friquart, @ Toulouse Métropole, 2020Souvent, prendre le temps de s’arrêter, de regarder les volumes, les matériaux ou les couleurs utilisés, affine ce premier ressenti.
Ouvrant sur les places Esquirol et de la Trinité, l’édifice connu par les Toulousains sous le nom de « magasin Perry » est un bon exemple de ce type de questionnement : j’aime ou je n’aime pas ? Si, au 1er coup d’œil, il peut paraître incongru dans son environnement, avec un peu d’observation on s’aperçoit que les dissemblances entre le bâti contemporain et les immeubles anciens s’estompent et que des liens se tissent entre eux. 
Construit en 1965 sur les plans de l'architecte Bernard Bachelot, il offre au regard des façades roses grâce à un placage de marbre de Vérone. Pour éviter toute monotonie, l’architecte a joué sur le traitement du matériau en juxtaposant des plaques lisses et des plaques striées, créant ainsi de la matière comme peut l’être le contraste entre l’enduit et la brique apparente. Cet effet est renforcé par les aspects poli et texturé du marbre qui ne réfléchissent pas la lumière de la même façon. 
Par ailleurs, l’architecte a adapté chaque façade au gabarit général des bâtiments environnant côté Esquirol et Trinité. Se développant sur trois niveaux de magasin et trois niveaux de bureaux, Bachelot a créé deux élévations différentes. Pour s’aligner avec les édifices mitoyens place Esquirol, il a dissimulé le dernier étage en le disposant en retrait, le rendant peu visible depuis la rue. De même, il a composé une façade symétrique place Esquirol et une autre, place de Trinité, où la dissymétrie prime pour conserver les rythmes déjà existants.
Cet immeuble, labélisé « architecture contemporaine remarquable » en 2016, puis protégé au titre des monuments historiques trois ans plus tard, mérite bien toute notre attention ! 
Portrait en pied et de 3/4 d'un jeune homme en train de prendre une photo avec son appareil. Jardin Public, Aix-les-Bains, septembre 1963. Phot. Escalette Jean-Paul. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 42Fi1919.

La clé des champs


juillet-août 2022
Une soudaine envie de battre la campagne a saisi les chargés d’inventaire de Toulouse Métropole. Après de nombreuses années consacrées au centre de Toulouse, avec quelques incursions dans ses faubourgs, l’inventaire du patrimoine s’étend aujourd’hui au territoire métropolitain.
Depuis quelque temps déjà, le service régional Connaissance et Inventaire des Patrimoines d’Occitanie expérimente la méthode des diagnostics patrimoniaux : une étude synthétique retraçant les grandes étapes de l’histoire de chaque commune, présentant ses paysages et dressant un état des lieux de son patrimoine. Cette méthode est aujourd’hui appliquée à la Métropole, en étroite collaboration avec chacune des communes concernées. Ainsi, les chargés d’inventaire, équipés de plans anciens et d’un appareil photo, vont parcourir le pays afin d’identifier sur le terrain les maisons, fermes, pigeonniers, croix de chemin, mais aussi les ouvrages liés à l’eau (ponts, écluses, moulins, etc.) ou encore les édifices industriels présents sur chaque commune. Les plus caractéristiques ou les plus singuliers feront l’objet d’une notice d’inventaire qui pourra être consultée sur UrbanHist, qui s’ouvre lui aussi à la Métropole, grâce au partenariat toujours fructueux entre la direction du Patrimoine et les Archives municipales.
Les diagnostics doivent également permettre d’identifier les « demeures aux champs », ces résidences d’été des notables toulousains, lieux de villégiature et domaines agricoles, qui feront l’objet d’une étude transversale à l’échelle de la Métropole. Ce nouveau terrain d’étude pour l’inventaire sera défriché, labouré et fertilisé grâce à la couche « Toulouse aux champs » de nos collègues des fonds anciens des Archives, dont le chantier est en cours.  
En 2022, ce sont les communes de Lespinasse, Saint-Orens-de-Gameville, Flourens et Cornebarrieu qui s’associent à la direction du Patrimoine de Toulouse Métropole pour faire l’objet d’un diagnostic patrimonial. Si parmi les lecteurs d’Arcanes il s’en trouve qui ont envie de faire connaître aux chargés d’inventaire un élément du patrimoine bâti de ces communes, qu’ils n’hésitent pas ! Une adresse mail de contact est disponible, sur laquelle peuvent être envoyés des photos, des documents anciens ou toute autre information permettant d’identifier un élément du patrimoine de ces communes.
Jardin de l’Observatoire, coupole dite de Vitry. Phot. Krispin, Laure, (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, 2022, 20223100611NUCA.

Un peu plus près des étoiles…


juin 2022
Contrairement à ce que pourrait laisser supposer ce titre pour certains, il ne s’agit pas d’une chronique sur une des chansons phares des années 80 du groupe Gold mais sur un lieu exceptionnel et pourtant peu connu des toulousains : l’ancien observatoire de Toulouse.
Installé sur la colline de Jolimont, au centre d’un jardin, le site de l’observatoire se compose d’un bâtiment principal, construit selon les plans dressés en 1839 par l’architecte de la ville Urbain Vitry et, de trois coupoles d’observation bâties dans le dernier quart du 19 e siècle à l’initiative d’un grand nom de l’astronomie française, alors directeur du site, Benjamin Baillaud. Le jardin fait partie intégrante de l'observatoire. En effet, les allées, orientées dans l'axe nord-sud selon la ligne méridienne et terminées par deux mires en pierre, servaient à régler la lunette méridienne, dédiée à la mesure des coordonnées des étoiles. Cet instrument est encore en place dans le bâtiment édifié au centre des allées et dont la spécificité est de permettre une ouverture sur l’extérieur à 180°, les murs nord et sud étant percés sur toute leur hauteur par une baie centrale se poursuivant sur le toit par une ouverture zénithale.
 
Observatoire de Toulouse, bâtiment de Vitry. Phot. Krispin, Laure, (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, 2022, 20223100613NUCA.
Le bâtiment de l’observatoire se divise en deux corps distincts reliés par un escalier. Le premier s’impose par sa façade de style néoclassique. Précédée par un large escalier, elle s’ouvre sur porche monumental à colonnes avec, de part et d’autre, des élévations ornées de bossages. A l’intérieur, un vestibule central, coiffé d’une coupole, distribue les appartements du directeur et de son adjoint.
A l’arrière, le second corps de bâtiment qui abrite la grande salle d’observation accueillant les instruments de mesure, se distingue par ses deux tours d’angle dont une permet l’accès à la terrasse et à la coupole surplombant l’édifice.
En 1872, l'Etat prend en charge la gestion de l’observatoire de Toulouse avec ses équipes ; ce dernier est affilié à l’Université un an plus tard.
Au milieu du 20 e siècle, le développement toujours plus important du site du Pic du Midi de Bigorre entraine peu à peu le déclin de l’observatoire de Jolimont. Le départ définitif des équipes de recherche vers des locaux de la faculté Paul-Sabatier s’effectue en 1981.
Cinq ans plus tard, le jardin public de l’Observatoire est inauguré. Quant aux bâtiments de l’observatoire, inscrits au titre des monuments historiques, ils sont toujours animés notamment par la Société d’Astronomie Populaires qui propose, entre autre, des visites publiques du site chaque semaine.
 
Chapellerie Brosson. Intérieur du magasin, table. Phot. Poitou, Philippe (c) Inventaire général Région Occitanie, 2002, IVR73_20023100010NUCA.

Chapi chapo


mai 2022
« Et maintenant chers téléspectateurs, direction Toulouse. Toulouse, en Haute-Garonne, à la découverte d'un métier oublié, celui de chapelier, métier exercé pendant des années par la famille Brosson rue d'Alsace-Lorraine, dont la boutique fermera définitivement ses portes en janvier 2002, lorsque le dernier des Brosson prendra sa retraite.  Comme d’autres articles de confection, entièrement fabriqués à la main et nécessitant un savoir-faire exigeant, les chapeaux ont été victimes de la grande distribution et de la fin, il faut le dire, de la mode du couvre-chef ».
On s’y croirait presque et pourtant, la chapellerie Brosson n'a jamais fait la une du 13 h de TF1. Heureusement, Philippe Poitou, photographe de l'inventaire, et Annie Noé-
Chapellerie Brosson. Intérieur du magasin. Phot. Poitou, Philippe (c) Inventaire général Région Occitanie, 2002, IVR73_20023100021NUCA.
Dufour, conservatrice du patrimoine, étaient là à l’époque pour réaliser un reportage exclusif. Ils ont pu ainsi immortaliser le magasin, son décor et les instruments de confection avant la cessation d'activité de l’entreprise et le réaménagement total de la boutique.
De 1892 à 2002, l’immeuble a abrité une chapellerie, d’abord la maison Blagé, qui s’y installe peu après la construction de l’édifice lors de la percée de la rue d’Alsace-Lorraine. La vocation marchande de la rue d’Alsace-Lorraine débute dès sa création où elle attire les commerces les plus prestigieux qui y étalent leurs marchandises. C’est en 1924 que la chapellerie Brosson succède à la maison Blagé, en conservant les boiseries et l’ensemble du mobilier de style art nouveau installés par son prédécesseur. Au tournant des années 1940-1950, un rayon enfant est aménagé par l’architecte Robert Armandary dans un style résolument moderne.
En consultant les images de la notice architecture sur Urban-Hist du 43 rue d’Alsace-Lorraine, c’est tout un pan de l’art décoratif que vous découvrirez : des lustres et horloge 1900 au mobilier de style moderne en passant par les meubles de métier art déco. Le petit outillage nécessaire à la confection des chapeaux est quant à lui conservé aux Archives municipales, sous la cote 55Z.
Béret, panama, canotier ? A l’instar de la moustache qui refleurit sur le visage des hommes dans le vent, à quand le retour du chapeau sur les têtes bien faites ?
A vous les studios.
Cimetière de Terre-Cabade, pavillon d’entrée dit "dépositoire". Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle ; Krispin, Laure, (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, 2011, 20143100019NUCA.

« Né de la poussière, tu redeviendras poussière. »


avril 2022

Cette phrase tirée de la Genèse évoque, pour un grand nombre d’entre nous, un enterrement : autour d’une tombe, groupée sous des parapluies, une assemblée écoute le dernier adieu au défunt. Autour d’elle se développe un cimetière parcouru par de grandes allées bordées d’arbres centenaires…

A Toulouse, le cimetière de Terre-Cabade pourrait servir de décor à cette scène. En effet, il s’agit du  premier cimetière extra-muros qui suit le décret du 23 prairial de l’an XII (12 juin 1804) interdisant l’ensevelissement au milieu des zones urbaines. Toutefois, Toulouse attend plus d’une vingtaine d’années pour se pencher sur la question. C’est à la suite d’une proposition du cardinal Clermont-Tonnerre que le maire, Joseph Viguerie, s’empare du sujet et décide d'édifier un cimetière semblable à celui du Père-Lachaise à Paris. Pour ce faire, la Ville acquiert, à partir de 1832, des terrains sur la rive droite du canal du Midi, à flan du coteau de la Redoute.


Le 28 avril 1840, la municipalité décrète que les cimetières catholiques de la rive droite
Cimetière de Terre-Cabade. Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle ; Krispin, Laure, (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, 2011, 20223100138NUCA.
 doivent être transférés dans la nouvelle nécropole à Terre-Cabade, seul le cimetière de Saint-Cyprien restant en service pour les paroisses de la rive gauche.

Le site de Terre-Cabade est inauguré le 16 juillet 1840. Il se distingue par ses bâtiments de style néo-égyptien. Le portail est marqué par deux obélisques et les pavillons d'entrée arborent une galerie aux colonnes papyriformes. Les plans ont été dressés en 1836 par l'architecte Urbain Vitry. Traité comme un jardin avec des allées courbes, il doit être un lieu à la fois fonctionnel et propice à la promenade et au recueillement. Des espaces sont attribués aux différentes paroisses de la ville : Daurade, Minimes, Saint-Étienne, Saint-Exupère, Taur, Dalbade, Saint-Aubin, Saint-Sernin, Saint-Jérôme, Saint-Pierre. Prévu pourtant dès l’origine, l’accueil à Terre-Cabade des tombes des personnes de confessions israélite et protestante, qui avaient leurs propres cimetières rue du Béarnais, n’est effectif qu’en 1869.

Le cimetière connaît plusieurs extensions durant la 2e moitié du 19e siècle. La première s’effectue grâce au don d'un terrain destiné aux tombes de religieuses, appelé le carré des sœurs. Dans un second temps, l’achat de propriétés situées entre le cimetière et le chemin de l'Observatoire, actuelle rue de la Colonne, permet un agrandissement latéral conséquent.

Au début du 20e siècle, un nouveau grand projet d'agrandissement voit le jour pour permettre d'augmenter d'environ 50 % la surface du cimetière. Le décret d'utilité publique est signé le 26 mai 1915 et l'acquisition des terrains démarre aussitôt. Situé de l'autre côté du chemin de Caillibens, au nord-est, ce nouvel espace prend le nom de cimetière de Salonique en référence au front d’Orient ouvert par les alliés lors du 1er conflit mondial et accueille, notamment, les différents monuments aux morts de la Grande Guerre.

Vue du 2 et du 4 boulevard des Minimes (en construction), vers 1957. Jean Ribière - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 41Fi99.

Le bon coin


mars 2022

Un cadeau de Noël moche et immettable ? Le buffet de la vieille tante qui ne rentre pas dans votre salon et qui, de toute façon, ne s’accorde pas à l’ambiance zen-minimaliste-feng-shui de votre intérieur ? Heureusement, le site de petites annonces en ligne est là pour vous en débarrasser, moyennant une petite rétribution au passage. 
Dans la vie réelle (in real life pour les utilisateurs avertis), il est également possible de se rencontrer dans les nombreux cafés, judicieusement placés à l’angle de deux rues, qui portent ce nom. De 1951 à 1956, Au bon coin est le nom d’un bar situé au 2 boulevard des Minimes, le long du canal du Midi. Il se trouve au rez-de-chaussée d’un immeuble construit au début du 20e siècle (et aujourd'hui disparu), typique des faubourgs toulousains. La photographie de Jean Ribière le montre au devant d’un grand édifice en cours de construction. Au-delà de l’instantané des transformations urbaines à l’œuvre pendant les Trente Glorieuses et de l’antagonisme ancien/moderne, cette image révèle l’ossature métallique avec laquelle est construit cet immeuble, le premier de grande hauteur (19 étages) réalisé à Toulouse avec cette technique1 (architecte Jean-Pierre Pierron pour le compte de la Société Immobilière des Minimes, permis de construire de 1955). Il est aujourd’hui en travaux, souffrant depuis de nombreuses années de désordres structurels entraînant un risque d’effondrement des balcons.

Élévations sur le quai des Minimes et sur la rue du Maroc. Extrait du dossier d'autorisation d'urbanisme, 1955. AMT, 693W96.Peu engageant au premier abord, cet édifice s’impose dans le paysage des faubourgs par ses proportions et par l’uniformité de sa façade, simplement animée par les pleins et les vides des loggias et le motif de grille créée par l’ossature métallique. Il offre cependant des appartements agréables, grands, traversants, dotés de tout le confort moderne : celliers, salles d’eau et sanitaires séparés, penderies, et surtout des loggias, offrant une vue imprenables sur les toits de la ville et des Pyrénées pour les derniers étages. Il est le reflet de la modernité telle qu’on l’entendait à l’époque : se détachant des contraintes de la parcelle, surélevé sur une dalle, utilisant les nouveaux procédés de préfabrication afin de loger rapidement le plus grand nombre avec un coût maîtrisé.

Au cœur d’un quartier en pleine mutation, il fait l’objet d’un projet scientifique, culturel et artistique « Mémoire d’une tour et récit de chantier », porté par ses habitants et un groupe de trois professionnelles : une architecte, spécialisée dans l’histoire des grands ensembles, Audrey Courbebaisse, une vidéaste, Marie Salgas et une plasticienne, Marilina Prigent. Conduit à la fois sur l’angle de l’histoire de l’architecture, mais aussi sur le récit du chantier de réhabilitation actuel, il s’appuie sur des recherches en archives et sur les témoignages de ses habitants. Ce projet donnera lieu à une publication, des expositions sonores, visuelles et audiovisuelles.
Ce travail de mémoire, permettant aux habitants de se réapproprier leur lieu de vie et, au-delà, de changer le regard porté sur notre environnement est indispensable. Car il est plus facile de se débarrasser d’un pull qui gratte que d’un immeuble de 110 logements.

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1- CAUE 31, J.-L. Marfaing, dir. Toulouse 45-75, la ville mise à jour. Toulouse, Nouvelles éditions Loubatières, DOSSIER DE PRESSE Toulouse 45-75.pdf p. 8.

 
Édifice du 15 rue de Rémusat récemment rénové. Phot. Krispin Laure, 2022 (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Région Occitanie.

Secrets révélés


février 2022
Dans le cadre des campagnes de ravalement des façades du centre ancien de Toulouse, des chantiers permettent d’avoir de belles surprises et de faire avancer la recherche en matière de connaissance de la ville et des méthodes constructives. 
En 2021, des travaux ont été engagés sur un édifice composant l’angle au niveau des rues de Rémusat et du Sénéchal. Ce bâti présentait un rez-de-chaussée très remanié, ouvert par des arcades et une devanture de boutique en bois ; les étages étaient traités avec un faux appareil de pierre continu, laissant toutefois affleurer les encadrements en bois des fenêtres. Même si un œil aguerri pouvait deviner la construction en pan de bois cachée sous l’enduit, le décroûtage des façades a laissé apparaître les secrets de sa mise en œuvre : les techniques d’assemblage des bois qui pourraient dater du 17e siècle ainsi que les matériaux de remplissage de la structure. Édifice du 15 rue de Rémusat, détail du hourdi maintenu par les éclisses. Phot. Krispin Laure, 2022 (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Région Occitanie.

Le pan de bois est dit à grille, contreventé par des écharpes (pièces de bois obliques) et tournisses (potelets verticaux assemblés à une écharpe). Ce sont des « bois courts » qui  ont été mis en œuvre : les poteaux corniers n'ont qu'une hauteur d'étage et ne montent pas de fond.
Les bois sont assemblés à mi-bois ou à tenon et mortaise, parfois maintenus par des chevilles. L’assemblage à mi-bois est utilisé seulement pour les pièces horizontales, les sablières, lorsqu’elles se composent de plusieurs morceaux. 
Le hourdi, c'est-à-dire le remplissage, est en torchis : un agrégat de terre crue, paille, cailloux et tuileaux de brique d’une épaisseur de 15 à 20 cm. Il est maintenu par des petites lattes, dénommées éclisses, disposées parallèlement et fixées en force, au moyen d’encoches, entre deux poteaux. 
Sur les bois sont encore visibles les encoches à l'herminette (hachette servant à travailler le bois) permettant l'accroche de l’enduit. Une autre technique d’accrochage de l’enduit semble avoir été mise en place à un moment donné : des centaines de clous enfoncés partiellement, laissant dépasser leurs têtes de 2-3 cm, avaient été disposés sur la totalité des bois. Ce système avait dû être ajouté pour renforcer la tenue de l’enduit.
Un autre exemple connu à Toulouse de remplissage en torchis concerne la maison du 7 rue Peyras. Certains caissons du pan de bois ont conservé leur hourdi en terre crue et paille, alors que d’autres ont un remplissage de briques. Cette diversité est peut être due à des époques de construction distinctes impliquant des techniques différentes ou à des rénovations du pan de bois. Cet édifice se caractérise également par son enduit extérieur en plâtre.
Ancien garage de la rue de Périole, vue de la rampe d’accès des véhicules, aujourd’hui lieu d’exposition de la galerie l’Imagerie.  Phot. Krispin Laure, 2022 (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire,  général Région Occitanie, IVC31555_20223100008NUCA.

Virages à 180°


janvier 2022

En 1924, Lucien Galy, mécanicien au faubourg Bonnefoy, fait construire un garage de réparation automobile au n° 22 de la rue du même nom. Peu de temps après, en 1933, son affaire prospérant, il fait édifier un deuxième garage à l’autre bout du pâté de maisons, donnant cette fois-ci sur la rue de Périole. Surmonté de deux étages occupés par des appartements, il ne se distingue que peu des autres immeubles de la rue, contrairement à la façade de la rue du Faubourg-Bonnefoy, surmontée du pignon à redents typique de l’architecture des garages de la 1ère moitié du 20e siècle. 
A partir des années 1920, on assiste à un boom de l’industrie automobile, qui a pour conséquence l’apparition de nouveaux types de bâtiment : les garages de réparation automobile et les parkings. Ces derniers voient leur nombre se multiplier dans les villes après-guerre, tels ceux des Carmes et de Victor-Hugo à Toulouse, témoins de la table rase qui régnait en maître chez les architectes et les urbanistes de l’époque. Après une période de croissance ininterrompue, le choc pétrolier met fin aux Trente Glorieuses et au temps de la « voiture-reine ». Les considérations écologistes actuelles encouragent ce mouvement. De nombreux garages et parkings sont détruits (voir récemment le parking souterrain de la place Belfort) ou adaptés : des places de vélos sont maintenant disponibles dans les parkings des centre-ville. D’autres cherchent aujourd’hui une nouvelle destination. C’est le cas de ces deux édifices qui accueillent l’un un torréfacteur depuis septembre 2020, l’autre une galerie-atelier d’art ouverte en 2018 rue de Périole. Ils ont ainsi fait l’objet d’une requalification a minima, conservant leurs façades des années 1930 et l’aménagement intérieur pour l’ancien garage Renault de la rue de Périole. La rampe d’accès des véhicules au 1er étage, aménagée dans les années 1960, créée ainsi un espace insolite destiné à l’accrochage des œuvres de la galerie d’art. 

A l’opposé de la destruction/reconstruction, la conservation et la réappropriation de ces bâtiments apportent de nombreux avantages en termes économiques et environnementaux, sans compter, considérations toute personnelle, le charme à la fois suranné et dans l’air du temps qui s’en dégage. Bureaux, logements sociaux ou autres, les anciens garages et parkings aujourd’hui abandonnés sont modulables et adaptables à de nombreux usages(1). Alors, en voiture Simone !

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1 - Voir l’article de Paul Smith sur les édifices de l’automobile à Paris : https://www.pavillon-arsenal.com/fr/signe/12013-un-siecle-dimmeubles-pour-automobiles.html

Domaine de Guilhermy, le chai et ses cuves. 2010. Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle ; Krispin, Laure (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Région Occitanie, IVC31555_20103100612NUCA

Du vin, vingt Dieux !


décembre 2021
« Le vin, produit de la vigne, et les terroirs viticoles, font partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France » selon la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt n° 2014-1170 du 13 octobre 2014. Patrimoine immatériel incontestable de la France, la culture de la vigne, présente depuis l’époque gallo-romaine, s’est perpétuée à travers les siècles. Comme beaucoup d’autres, la région toulousaine a toujours produit du vin et possède des appellations d’origine protégées locales qui depuis quelques années s’affirment au niveau international. 
Au sein même de son territoire, Toulouse a toujours planté de la vigne. Il suffit, pour s’en assurer, de consulter aussi bien les cadastres anciens où sont recensées les nombreuses parcelles de vigne, que les photos aériennes qui, jusqu’au milieu du 20 e siècle, rendent compte de ce terroir. 
En effet, dans les années 1970/80, de nombreuses fermes entretenaient encore sur le territoire communal des terres viticoles leur permettant de produire quelques bouteilles destinées à une consommation personnelle. 
Le domaine de Guilhermy dans le quartier de Saint-Simon est un bel exemple de ce type de production. Associant maison de maître et parties agricoles, il conservait encore il y a quelques années, un chai dans lequel se trouvaient sept cuves en béton destinées à la vinification et au stockage du vin. Des inscriptions à la craie au revers de la porte du bâtiment permettaient de suivre la production de raisin en nombre de comportes sur une vingtaine d’années. Coopérative vinicole UCOVIN. 2013. Phot. Friquart, Louise-Emmanuelle ; Krispin, Laure (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Région Occitanie, IVC31555_20133100196NUCA. Entre 1967 et 1977, une moyenne d’un millier de comportes est comptabilisée à chaque vendange avec un pic de 1308 en 1970 ! La chute drastique de la récolte à partir de 1977 (moins de 90 comportes) pourrait s’expliquer par la vente de terres, conséquence de l’urbanisation galopante du quartier à cette époque. Toutefois, les vendanges ont été effectuées au moins jusqu’en 1988, dernière date apparaissant sur la porte (10 comportes).
Dans un autre style, les bâtiments de l'Union des coopératives vinicoles, devenus SICA Vins Midi-Pyrénées, aujourd’hui démolis, illustraient la production de vin à plus grande échelle. Construite en 1960 dans le quartier de Lalande, la cave présentait une esthétique mêlant béton et pierre de taille. La grande halle de 20 mètres de haut était accostée par un corps de bâtiment plus bas, mordant sur la façade. Loin de s'opposer, ces deux volumes si différents par leur forme et leur taille venaient se compléter. A l’arrière, dépassaient les grandes cuves de stockage.
Cette activité n’a toutefois pas entièrement disparu du territoire communal. En effet, la mairie de Toulouse, propriétaire depuis le début des années 1970 du domaine agricole de Candie, a fait le choix de poursuivre la culture de la vigne, pratique multiséculaire en ce lieu, et d’élaborer chaque année son millésime. 
Usine des parfums Berdoues dans le quartier des Minimes, détail du fronton. Phot. Krispin Laure, 2021 (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire, général Région Occitanie, IVC31555_20213100056NUCA.

Axe, laissez le charme agir


novembre 2021

Au rayon beauté pour homme des supermarchés, la marque s'est fait connaître par ses publicités au ton décalé qui célèbrent le pouvoir d'attraction de ses déodorants. Les scénarios, plus ou moins bien sentis selon les cas, promettent une avalanche de conquêtes au jeune homme qui en fait usage. 
Les parfums Berdoues au milieu du 20e siècle convoquent, eux, l'atmosphère des jardins fleuris et ensoleillés du Midi pour vanter leur « Violettes de Toulouse ». Ce best-seller est créé en 1936 par l'entreprise familiale fondée au début du 20e siècle par Guillaume et Pierre Berdoues. Coiffeurs à l'origine, ils ouvrent en 1909 une boutique de vente en gros de parfums dans la cour du 15 rue Lafayette, à l'arrière de leur salon de coiffure. Usine des parfums Berdoues dans le quartier des Minimes. Phot. Krispin Laure, 2021 (c) Toulouse Métropole (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire, général Région Occitanie, IVC31555_20213100054NUCA.De négociants, les Berdoues deviennent parfumeurs et les premiers laboratoires sont installés en plein cœur du centre historique, dans une partie des bâtiments de l'hôtel Maleprade (43 rue Gambetta). Le succès de leurs eaux de toilette leur permet de s'agrandir et de faire construire une usine dans le quartier des Minimes en 1939. Le bâtiment des anciens ateliers, le seul subsistant aujourd'hui, offre une architecture caractéristique de l'Art déco tardif, aux arrondis rappelant le style paquebot, tel qu'il se développe à Toulouse à partir des années 1930 et que l'on peut voir sur de nombreux immeubles de la période, 29 avenue Camille-Pujol (architectes A. Barthet et H. Bodet, 1935), 3 rue du Rempart-Villeneuve (1940, architecte Michel Munvez), ou encore sur l'immeuble de la caisse de retraite de la Société des Grands Travaux du Sud-Ouest (1939-1942). Pour en savoir plus sur l'architecture du 20e siècle dans la région, vous pouvez consulter le beau livre Rodez au XXe siècle. Les choix de la modernité ou attendre la sortie du numéro spécial sur l'Art déco en Occitanie de la revue Le Patrimoine, prévue pour les fêtes.

Alors ? Partant-e pour tester l'eau de toilette à la violette dans l'ascenseur avec le beau Bernard du bureau d'à côté ? 

3ème pont Saint-Pierre (1875-1929). Vue d'ensemble prise depuis le port Viguerie à Saint-Cyprien entre 1877 et 1907. Négatif en N&B, 13 x 18 cm. Eugène Trutat - Archives municipales de Toulouse, 51Fi 280.

Le pont Saint-Pierre… ou quand la Ville de Toulouse sable le champagne pour la 5e fois !


octobre 2021
Le 14 novembre 1987, le nouveau pont Saint-Pierre est inauguré avec feux d'artifice et flonflons par le maire, Dominique Baudis. Il s'agit du 5 e ouvrage érigé en ce lieu, pour relier le port Saint-Pierre au quartier Saint-Cyprien.
Pont Saint-Pierre, vue amont depuis la rive droite. Friquart, Louise-Emmanuelle ; Krispin, Laure (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Région Midi-Pyrénées, 2013. 
Son histoire débute dans le 1 er quart du 19 e siècle, moment où l’urbanisation du territoire communal se développe peu à peu. Il fait suite à de nombreuses pétitions des habitants des quartiers périphériques désirant un accès facilité au centre-ville par la réalisation de nouveaux franchissements de la Garonne en amont et en aval du Pont-Neuf. En effet, ce dernier, seul pont encore en fonction à cette époque, est perpétuellement engorgé. 
En 1836, la municipalité décide alors la construction de deux nouveaux ouvrages : le pont Saint-Michel est ouvert à la circulation en 1844, et le pont Saint-Pierre est inauguré en 1852. 
Le conseil municipal recherchant avant tout une réalisation dans les plus brefs délais, pour « un accroissement du bien-être » selon la délibération de 1836, fait le choix du pont suspendu. Cette technique, mise au point en France par Marc Seguin, auteur en 1824 Des ponts en fil de fer, offre une exécution rapide et un coût moins élevé que les ouvrages maçonnés traditionnels.
Toutefois, cette décision est prise sans tenir compte de l'inconstance de la Garonne et de la violence soudaine de ses flots. 
Quatre ponts suspendus successifs sont construits en 130 ans : deux sont emportés par les crues en 1855 et 1875, et le 3 e est démoli à cause de sa vétusté en 1929. 
Avec l’augmentation permanente de la circulation dans la 2 e moitié du 20 e siècle, la Ville envisage la démolition du 4 e pont de fer, devenu inadapté. En effet, elle souhaite privilégier un pont permettant un accès routier à double sens entre la rive droite et la rive gauche de la Garonne. Le projet sélectionné après concours est celui d'un ouvrage d'art traditionnel à cinq travées, influencé par l’esthétique du pont Alexandre-III à Paris. Sa construction en 1986 met fin à l'ère des ponts suspendus à Toulouse.
"Plan d'une partie de l'église de Croix-Daurade et d'un escalier projetté pour monter au clocher, & élévation du banc de MM. les capitouls", plan aquarellé joint au "Devis d'un escalier à construire ; d'une cloche à refondre ; & d'un banc pour MM. Les capitouls à faire, à l'église de Croix-Daurade". 14 mars 1783, dressé et signé par J.-P. Virebent, ingénieur de la Ville. Ville de Toulouse, Archives municipales, DD325/1.

« Architectes : Tous imbéciles. Oublient toujours l'escalier des maisons »


septembre 2021

C'est ainsi que Flaubert en donne la définition dans son Dictionnaire des idées reçues (paru à titre posthume en 1913). Aussi incongru que cela paraisse, elle pourrait trouver son illustration lors de la construction de l'église de Croix-Daurade à la fin du 18e siècle. L'œil avisé et espiègle de l'archiviste a mis entre nos mains les plans et devis pour « la construction d'un escalier qu'on avois omis de faire pour monter au clocher de l'église de Croix-Daurade » dressés en 1780 par l'ingénieur et architecte de la ville Étienne Carcenac1. L'église de Croix-Daurade vient pourtant tout juste d'être édifiée, en même temps que celles de Saint-Simon et de Lalande, pour desservir des paroisses nouvellement créées dans des territoires en pleine expansion. L'église de Croix-Daurade, années 1900. Phot. Pierre Laffont, fonds Chamayou. Ville de Toulouse, Archives municipales, 18Fi110.C'est l'architecte de la ville précédent, Philippe Hardy, qui avait établi un premier devis en 1774 d'un montant de 26 000 livres, comprenant la construction de l'église, du presbytère et du cimetière2. Le devis est ensuite revu à la baisse, ne devant pas dépasser 17 116 livres : la chapelle des fonts baptismaux est remplacée par une simple absidiole, la seconde chapelle est quant à elle supprimée, de même que l'escalier d'accès au clocher3. Aussi, lorsque la corde des cloches rompt, le carillonneur est obligé de monter sur une échelle placée sur le toit du presbytère (à ce moment là contigu à l'église) pour sonner les cloches, ce qui, à force, abîme le toit4, sans compter le risque de se tordre le cou. Carcenac meurt peu après avoir dressé son devis, et c'est Jacques-Pascal Virebent, nommé au poste de directeur des travaux publics de la ville, qui prend la suite de l'affaire, et fait construire un escalier accolé au flanc gauche de l'église. Où l'on voit où mènent les restrictions budgétaires... 

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1 AMT, DD325, devis et plan daté du 12 septembre 1780, dressés par l'architecte et ingénieur de la ville Carcenac.
2 AMT, DD325, devis du 16 janvier 1774 dressé par Philippe Hardy, ingénieur et directeur des travaux publics de la ville de Toulouse. 
3 AMT, DD325, devis daté du 6 mai 1775 dressé par Philippe Hardy, ingénieur et directeur des travaux publics de la ville de Toulouse. 
4 AMT, BB59, f°2 : délibération du 11 février 1782.

La maison Chamfreau (1967/69), Pierre Debeaux, architecte. Archives départementales de la Haute-Garonne, Fonds Debeaux 189 J 127.

Des toits d’exception !


juillet-août 2021

Dans le quartier de la Côte-Pavée, au milieu des pavillons à l’architecture traditionnelle de la 1ère moitié du 20e siècle, se distingue une réalisation qui surprend par son modernisme. La maison Chanfreau, du nom de son commanditaire, a été bâtie entre 1966 et 1969 selon les plans de l’architecte Pierre Debeaux (1925-2001). Cet homme, passionné par la géométrie, le nombre d’or et autres mathématiques, a mis en œuvre une demeure à la toiture en spirale logarithmique ! Plus précisément, la maison à la toiture plate en béton s’enroule autour d’un patio central. Les pentes douces enherbées du toit offrent également l’espace d’un jardin suspendu. L’architecte développe et perfectionne ce type de toiture s’inscrivant dans un mouvement continu d’enroulement dans la maison Pham Huu Chan à Clermont-le-Fort (1970-1972) puis dans la maison Pradier à Lavaur (1976-1977). Bien dans son temps par l’utilisation massive du béton, il recherche toutefois toutes les possibilités de le tordre, de le compresser, de l’alléger pour lui donner des formes inattendues pour un tel matériau.La caserne Vion, le hall aux véhicules, Pierre Debeaux, architecte. Archives départementales de la Haute-Garonne, Fonds Debeaux 189 J 126.


Une autre œuvre toulousaine illustre parfaitement toute sa réflexion et son inventivité à ce sujet : le grand hall des véhicules de la caserne Vion (1966).

Véritable prouesse technique qui propose un espace de 800 m² entièrement dégagé, sans structure porteuse intermédiaire, grâce à une succession de figures géométriques complexes de type hyperboloïdes et paraboloïdes hyperboliques. 

Avec le matériau austère et lourd qu’est le béton, il créé une œuvre dynamique presque en suspension : sur les quatre piliers d'angles reliés à leur sommet par une large ceinture de béton repose une charpente métallique à trois dimensions auto-tendante amenant lumière et légèreté. Jusqu’à la fin de sa vie, Pierre Debeaux réfléchit sur ces structures non triangulées, les rendant toujours plus flexibles tout en modifiant leur forme à l’infini. Un des exemples de ce travail est la flèche en structure tridimensionnelle constituée de quatre mats reliés par des câbles tendeurs, signalant sur les allées Frédéric-Mistral le monument à la gloire de la Résistance de Toulouse.

Peu connu de son vivant, en dehors d’un cercle de professionnels, Pierre Debeaux voit depuis deux décennies son travail reconnu et mis en valeur auprès du grand public grâce à des publications présentant l’homme et son œuvre, mais aussi grâce à l’attribution du label Architecture contemporaine remarquable à 6 de ses œuvres (maison Chanfreau, caserne Vion, observatoire et bâtiment interministériel pour la RTF du Pic du Midi et château d’eau de l’hôpital Marchant) et à une protection au titre des monuments historiques (maison Pradier à Lavaur).

Meeting à la halle aux grains (1920-1940). Marius Bergé - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 85Fi221.

Du blé à la baguette


juin 2021

La baguette de pain est cette année candidate de la France au label hautement convoité du patrimoine mondial de l'UNESCO, dans la catégorie « culture immatérielle ». Mais, comme dirait la petite poule rousse, pour faire une baguette, il faut de la farine et pour faire de la farine, il faut des grains.
Dès l'époque romaine, l'approvisionnement des villes est centralisé dans des espaces dédiés, souvent sur le forum (d'où le mot « foire » dérive d'ailleurs). Ce regroupement a pour but de réglementer le commerce et d'éviter les escroqueries aussi bien que les disettes. Pendant l'époque médiévale, les halles se multiplient en même temps que s'affirme l'autorité municipale. A Toulouse, la première mention de la halle de la Pierre (du nom du matériau dans lesquelles étaient faites les mesures à blé) date de 1203 : située à l'angle de la place Esquirol actuelle, elle est toujours visible sur le cadastre de 1830. Grains, fruits et articles de boucherie y sont vendus. Les céréales constituent la base de l'alimentation de toute la population, constante que l'on retrouve sous l'Ancien Régime et jusqu'à la période contemporaine.
La création du canal du Midi, à la fin du 17e siècle, puis l'arrivée du chemin de fer (1857) et la construction du canal Latéral reliant Toulouse à Bordeaux (1856), favorisent le développement du commerce toulousain, dont celui des grains. La Municipalité décide alors de séparer le blé des autres denrées et de créer un lieu de vente spécifique qui serve également de lieu de stockage. La place Dupuy, entre le port Saint-Étienne, où sont déchargées les marchandises arrivées par le canal, et le marché de la Pierre, est le lieu idéal. Ce choix a aussi l'avantage de décongestionner le centre de la ville et de faciliter la création d'une large avenue à l'emplacement de la halle, qui vient pourtant tout juste d'être reconstruite dans une architecture à la Baltard de fer et de verre.
C'est d'ailleurs l’auteur cet édifice, André Denat, qui dresse les plans de la nouvelle halle aux grains. Construite de 1862 à 1864, elle  se présente sous la forme d'un hexagone pourvu de deux pavillons. Au rez-de-chaussée, la galerie est dédiée à la vente des grains au détail, le centre est quant à lui réservé au marché des négociants en gros. Les mesures, déplacées du marché de la Pierre, sont placées sur une estrade au fond du bâtiment. Au 1er étage se trouvent les magasins de dépôt pour les grains. L'architecte de la ville utilise ici aussi une structure métallique, mais cette fois masquée sous une maçonnerie traditionnelle de brique et de galet.
Claude François en concert à la Halle aux grains, 20 novembre 1965. A l'arrière, la structure en béton qui est venue remplacée l'ossature métallique d'origine. André Cros - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 53Fi2486.À la fin du 19e siècle, les modes de consommation changent et les citadins préfèrent acheter du pain plutôt que des grains, le bâtiment est progressivement réaffecté. Transformée en palais des sports et lieu de spectacle en 1946, la halle aux grains devient la salle de concert de l'orchestre du Capitole en 1971. Michel Plasson, enthousiasmé par les vertus acoustiques du lieu, y exercera sa baguette de chef d'orchestre jusqu'en 2003.
Le réinvestissement de lieux emblématiques du patrimoine, s'il ne vaut pas un classement au patrimoine mondial de l'UNESCO, permet de faire vivre des édifices délaissés et de les adapter à nos nouveaux modes de vie et de loisirs. Ce difficile équilibre entre le respect de l'édifice ancien et son adaptation à de nouveaux usages demande une grande finesse d'intervention. La halle aux grains, au moment de sa reconversion à la fin des années 1940, a ainsi perdu toute son architecture métallique intérieure, témoignant des techniques modernes de construction du milieu du 19e siècle.
Pour en savoir plus sur l'histoire des marchés toulousains, se reporter à l'excellent ouvrage des Archives municipales (Marchés dans la ville, 2009) ou bien se balader en suivant la visite virtuelle disponible sur UrbanHist : Toulouse gourmande.

Élévation postérieure de la villa Jeanne d'Arc. Phot. Friquart, Louise-Emmnauelle ; Krispin, Laure (c) Ville de Toulouse ; (c) Inventaire général Région Occitanie, 2011, 20113101314NUCA.

De la canne à la villa Jeanne d'Arc


novembre 2017

La cane de Jeanne est morte au gui l'an neuf… En 1953, quand Brassens écrit cette chanson, Jeanne est un prénom fréquemment porté, quoique en perte de vitesse. Pourtant, du Moyen Âge au début du 20e siècle, il figure au panthéon des prénoms féminins les plus donnés. Son succès est conforté par la forte dévotion à Jeanne d'Arc, entamée au 19e siècle et qui connaît son apogée au début du 20e siècle : elle est béatifiée en 1909 et canonisée en 1920. A Toulouse, c'est en 1922 que sa statue est érigée sur la place Matabiau, devenue Jeanne d'Arc peu après. 

Outre les monuments et lieux publics, le nom de la sainte est également attribué à des maisons. En effet, depuis la seconde moitié du 19e siècle, la mode est de donner un nom aux villas, inscrit sur une plaque émaillée dans le style Art nouveau ou gravé sur une plaque de marbre. Faisant référence à la nature ou à l'environnement de l'édifice, le nom de la villa est bien souvent un prénom, presque toujours féminin. C'est donc tout naturellement que les villas Jeanne fleurissent un peu partout en France, de même que les villas Jeanne d'Arc, affichant ainsi les convictions religieuses de leurs propriétaires.

A Toulouse, une villa Jeanne d'Arc s'élève au 186 de l'avenue de Castres. Construite peu avant 1880, elle se démarque par son avant-toit développé soutenu par des aisseliers en bois ouvragés, rappelant l'architecture pittoresque des maisons de villégiature.