ARCANES, la lettre

Sous les pavés


Chaque mois, l'équipe des Archives s'exerce à traiter un sujet à partir de documents d'archive ou de ressources en ligne. Retrouvez ici une petite compilation des articles de la rubrique "Sous les pavés", dédiée à l'archéologie.

SOUS LES PAVÉS


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Fragment de pot de chambre en faïence découvert en 1998 à l’hôtel Saint-Jean de Toulouse, photographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole.

Mort en selles


novembre 2025

Les archéologues découvrent parfois les vestiges d’une cave plus petite que d’habitude. Puis on s’aperçoit qu’elle est remplie d’un sédiment plus fin que d’habitude. On réalise alors qu’il s’agit d’une fosse de latrines et que sa fouille, à moins d’être spécialiste des parasites intestinaux, va être quelque peu fastidieuse. Heureusement, on y déniche parfois quelques objets. En général des monnaies qui, à force de baisser son pantalon, ont fini par glisser de sa poche et tomber dans le trou. En dehors de ces structures particulières, on retrouve aussi souvent, dans des milieux du 18e siècle ou postérieurs, des latrines portatives, c’est-à-dire des pots de chambre. Le fragment qui illustre cette note a été recueilli lors d’une intervention menée dans l’hôtel Saint-Jean de Toulouse en 1998. Il se caractérise par une base très large pour limiter le risque de renversement. Et il s’agit d’une faïence stannifère, c’est-à-dire d’une poterie recouverte d’un vernis opaque à base d’étain offrant de nombreux avantages : épais, il empêchait la pâte de s’imprégner de mauvaises odeurs ; clair, il permettait de cartographier aisément les zones bombardées ; lisse, il assurait un nettoyage aisé. 

Si l’on s’intéresse plus au geste qu’à ses conséquences, certaines sculptures ou peintures montrent, dès le Moyen Âge, des personnages cul nu. Pourtant il est souvent difficile de savoir s’il s’agit d’une simple posture de provocation, d’un dégagement gazeux en cours ou d’une livraison imminente d’un colis. Mais une découverte exceptionnelle attend les archéologues de notre région : celle du squelette d’un individu « mort en selles », pour ainsi dire. Un registre conservé dans nos archives municipales, contient une chronique de faits mémorables advenus aux 16e et 17e siècles. On y apprend qu’en 1597, un soldat participant au pillage d’une église en Espagne s’accroupit et fit ses besoins sur une image de la Vierge qu’il avait jetée à terre1. Mais il ne put jamais se relever, instantanément et définitivement figé dans cette position délicate par la vengeance divine. Il réussit néanmoins à revenir, sûrement très péniblement, en France mais décéda peu après, probablement de honte.

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1- Livre des criées de Mathieu Micheau, BB 153, f° 82-82v.

Blasons capitulaires de 1600-1601 sur l’ancienne école de médecine démolie en 1898, photographie Jules Chalande, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 2R40.

Premiers zéros


octobre 2025
Introduits en Occident dès l’époque médiévale, les chiffres dits arabes (en fait inventés en Inde) s’y diffuseront ensuite par le biais de l’imprimerie, ou des décorations monumentales comme celle représentée sur notre illustration. On y voit les blasons des Capitouls toulousains de l’exercice 1600-1601, millésimes que l’on retrouve gravés de part et d’autre de cette sculpture. Elle commémorait la date de reconstruction de l’ancienne école de médecine, et cette photographie, prise par l’historien Jules Chalande, la montre encore en place sur ce bâtiment disparu qui se trouvait dans la rue des Lois, avant d’être démoli en 1898. Ces armoiries furent heureusement récupérées et, après un bref passage dans une collection privée, remontées dans les locaux de la faculté de médecine des allées Jules-Guesde. Inconnus des chiffres romains et nouveauté de la numérotation arabe, on peut donc y voir de nos jours, peut-être pas les premiers zéros jamais inscrits sur un monument toulousain, mais probablement les plus anciens encore conservés.
En M, un bouche-troubles alias l’ancienne porte murée de Villeneuve, Plan de la ville de Toulouse dédié et présenté à Monsieur Frère du Roi le 21 juin 1777, Joseph Marie de Saget dessinateur et Pierre Gabriel Berthault graveur, Mairie de Toulouse, Archives municipales, II686 (extrait).

Bouche-troubles


septembre 2025
Les troubles, c’est le sujet de l’un des premiers livres imprimés à Toulouse : Histoire de M. G. Bosquet sur les troubles advenus en la ville de Tolose l’an 1562 . Cette année-là, pendant quelques jours du mois de mai, huguenots et catholiques s’affrontèrent au prix de plusieurs centaines de morts. Apparemment, ce furent les protestants qui lancèrent les hostilités, lassés d’être constamment brimés dans l’exercice de leur nouvelle religion. Et ce sont eux qui perdirent finalement la partie. Le 17 mai, ils furent tous expulsés par l’une des sorties orientales de la ville, la porte de Villeneuve, qui fut aussitôt murée. Toulouse venait ainsi d’inventer le concept de bouche-troubles. Pour quelle raison ? Probablement symbolique, mais aussi hygiénique, puisque les Annales de la ville indiquèrent que la porte était dorénavant « contamynée ». Avant d’être finalement démolie vers 1780, elle fut aussi surnommée « porte du Ministre », en référence aux pasteurs protestants, ou « de Notre-Dame » car une statue de la Vierge y avait été installée, probablement en guise de décontaminant. Les plans anciens, tels que celui que nous présentons, permettent de la localiser à l’emplacement de la cour de l’actuel hôtel Capoul, au n°13 de la place du Président-Thomas-Woodrow-Wilson.
Emplacement de la maison de Pierre Rat et de la ruelle disparue qui y menait, infographie Marc Comelongue, Direction du Patrimoine de Toulouse Métropole, fond de plan UrbanHist.

Rat apothicaire, Rue hypothétique


juillet - août 2025
On trouve dans le village de Pouvourville, au sud de l’agglomération toulousaine, un chemin du Rat. C’est un peu effrayant. D’autant plus qu’au début du 20e siècle, il s’appelait chemin des Rats. Ils ont donc probablement presque disparu et il n’en resterait plus qu’un. Dans la ville même de Toulouse, des rats, il y en avait aussi. C’est prouvé par les archives, car le cadastre de 1571 recense bien un Rat, qui se prénommait Pierre et qui était apothicaire. Il résidait dans une ruelle sans nom, qui menait de l’église des Jacobins à la Capelle Redonde, c’est-à-dire l’actuelle place de la Daurade. Mais cette voie a disparu au début du 17e siècle, absorbée par les propriétés qui la bordaient, notamment le Noviciat fondé par les Jésuites. Et aucun plan de la ville n’est assez ancien pour la représenter. Si on observe attentivement le plan cadastral de 1680, on s’aperçoit néanmoins que l’arpenteur semble avoir pris des mesures le long de certaines portions de cette rue dont on pouvait probablement encore déceler la trace. De plus, en s’aidant d’indices que l’on peut récolter dans les cadastres de 1571 et 1550, qui n’ont pas de plans mais seulement des matrices décrivant les propriétés, on peut essayer de reconstituer son cheminement. Ce tracé hypothétique vous est proposé dans l’illustration ci-contre sur un fond de carte Urban Hist. On y indique aussi l’emplacement de la maison de notre pharmacien qui, avec un tel patronyme dont nous reproduisons la graphie d’époque, devait certainement vendre des médicaments contre la peste. 
Plaques commémoratives encore en place au moment de la démolition des moulins du Château Narbonnais, cliché Direction des Travaux Publics, 5 mai 1942, Mairie de Toulouse, Archives municipales, 16Fi1_2.

Monumentales crues, Monument aux crues


juin 2025
On peut souvent voir, dans les villes traversées par des cours d’eau soumis aux crues, des plaques indiquant la date d’un débordement exceptionnel avec un trait marquant la hauteur atteinte par les flots. À Toulouse, plusieurs de ces petits panneaux avaient été rassemblés sur la façade des moulins du Château Narbonnais. Ce n’est pas un hasard : cet édifice, qui avait les pieds dans l’eau, était fréquemment endommagé par les caprices de la Garonne. Comme nous pouvons l’apercevoir sur le cliché ci-contre, d’autres plaques, plus grandes et plus spectaculaires, étaient aussi fixées sur ce mur. Elles portaient de longues inscriptions, en latin ou en français, commémorant des dates de réparation ou de reconstruction des moulins. Nous avions là un espace commémoratif, un monument aux crues en quelque sorte. Nous parlons au passé car ce bâtiment n’existe plus, finalement démoli au début des années 1940 après non pas une inondation mais, cette fois-ci, un incendie. Mais le lieu même a disparu car le terrain qui supportait ces moulins a été évacué pour faire place à la rivière. Il faut donc maintenant imaginer, comme repère de localisation de cet ancien site, un point flottant dans les airs à quelques mètres au-dessus de la chaussée qui barre la Garonne en contrebas du quai de l’avenue Maurice Hauriou. L’une de ces inscriptions, datée de 1714, a été récupérée et est maintenant conservée au musée des Augustins de Toulouse.