L'image du moi(s)
Chaque mois, petit billet d'humeur et d'humour à partir d'images conservées aux Archives. Forcément décalé !
Il y a deux rois mages que j'ai jamais trop aimés, par rapport aux cadeaux qu'ils ont apportés au petit Jésus. Bon, celui qui a apporté de l'or, c'est plutôt un bon gars. Un peu comme ton oncle ou ta marraine qui te font le chèque de Noël. Certes, il y en a toujours qui chipotent parce que ce ne serait pas assez personnel, ou je ne sais quoi encore. Résultat, ils t'offrent un truc tellement naze, du style un jeu de domino ou un peigne (oui mais c'est un super artisan qui l'a fait, dans le respect de la biodiversité), que t'en as les larmes aux yeux devant tout le monde. La honte !
Ceux-là, ils sont à mettre dans la même catégorie que les deux facétieux qui ont apporté de l'encens et de la myrrhe. Sérieusement, pourquoi faire une chose pareille ? J'imagine le regard incrédule de Joseph et les explications des rois : « On a pensé que des produits servant à embaumer les morts ce serait un super cadeau pour le petit ». Difficile d'y voir un bon présage, et le charpentier a dû être tenté de les virer illico. Cela ressemble typiquement aux gens qui offrent des présents qui leur font avant tout plaisir ; et ça laisse songeur quant aux loisirs desdits mages.
Février a beau être le mois le plus court de l'année, il paraît toujours interminable. Au début, c'est amusant, l'hiver. On ressort les cache-nez, les boots et parkas fourrées. On reste bien au chaud chez soi. Mais tout cela devient très vite assommant. Dès la fin du mois de janvier, on a envie que ça s'arrête. C'est ici que débute le sempiternel février.
Pour paraphraser un grand auteur du 21e siècle, je dirais que tout peut arriver en février, et surtout rien. Remarquez, cela permet de faire un pas de côté et de se poser quelques questions essentielles. Si nous ne sommes que des passagers en ce monde, qui conduit ? Et d'abord ça veut dire quoi ces embardées à gauche et à droite, ces freinages intempestifs à vous cogner la tête contre le capot ? Qui lui a donné son permis ? Qui était là au commencement ? Dieu ou Clint Eastwood ? Où vont les sandwiches quand ils meurent ? Peut-on conclure une chronique mensuelle sans chute ?
J'ai eu l'occasion de déambuler dans les coursives de la prison Saint-Michel lors d'une journée « portes ouvertes » - ce qui ne manque pas d'ironie. L'établissement était partiellement désaffecté, mais l'atmosphère assez saisissante. Je me souviens notamment des cellules aux murs couverts de graffiti : dessins de voitures, de femmes nues, assortis de messages lapidaires restitués dans leur orthographe d'origine : « Bogofa = Balance », « Et oui ! C'est vous les cons », « Chico Muret 31 », « Regrete pas le bifton quand la Bac frappe a ta porte ».
Remarquez, j'ai vu à peu près le même type d'inscriptions sur les tables de cours du collège où j'ai fait ma scolarité. Et je pense que si j'empruntais à nouveau les couloirs carrelés de gris de cette institution, je serais assailli de sentiments pour le moins mitigés. Comment oublier la légère nausée qu'instillait l'odeur des tables de cantine passées à la serpillière, ou celle de l'alcool de menthe de l'infirmière versé sur un sucre, censé guérir on ne sait quoi ? Il m'arrive encore de rêver que je retourne au collège, et généralement je me réveille soulagé.
Comme nombre d'entre vous, j'imagine, il m'arrive parfois de dériver au fil de la toile numérique. Les mots, les images défilent et s'agencent sans logique véritable et brusquement prennent un sens magnétique qui attire irrésistiblement. Au cours d'une de ces errances, mon regard a été hameçonné par une question qui, jusqu'alors, ne m'avait jamais effleuré l'esprit : "Quel cadeau offrir à un homme pour Pâques ?" Instinctivement, j'aurais répondu "rien", mais la curiosité a été plus forte. Que faire sinon cliquer ?
Les abords de la page concernée n'ayant pas répondu à mes attentes, je m'apprêtais à passer outre lorsqu'une phrase attira mon attention : "Pour ceux qui aiment bousculer les traditions pour Pâques". Là aussi, j'ai d'abord pensé qu'en fait de bousculer, on pouvait simplement ne pas célébrer ladite fête. Mais mon côté rebelle l'a emporté. Eh oui, car on peut offrir autre chose que des œufs en chocolat. Si le destinataire est "geek" pensez à "un clavier flexible ou une souris ergonomique sans fil qui lui permetra [sic] de vivre à fond sa passion pour le numérique". Plus bizarre : s'il est "coquin", "le mieux sera de lui offrir un distributeur de savon en forme de poitrine de femme". Le mieux, vraiment ?
On ne peut décemment penser qu'un être vivant ait pu rédiger un tel article. Il est forcément l'oeuvre d'un de ces robots éditeurs, ou autres générateurs automatiques de contenus, dont le rôle consiste à poser des questions absurdes et d'y répondre non moins absurdement. Et l'on se souvient avec nostalgie de nos premiers contacts avec ces machines qui nous faisaient allégrement chasser des pac-gommes dans un labyrinthe, poursuivis par des fantômes – qui ressemblaient étrangement à des cloches pascales. Certes, cela n'avait pas beaucoup de sens, mais au moins on s'amusait.
Trop classe, le mois de mai ! Le soleil, les congés, et ce petit quelque chose dans l'air qui vous donne envie de pousser la chansonnette. D'ailleurs, les artistes ne s'y sont pas trompés : inspirés qu'ils étaient par l'atmosphère vibrante du joli mois, ils ont composé quelques rengaines mémorables. De « J'aime Paris au mois de mai » de Charles Aznavour au « Jardin du mois de mai » de Charles Trénet, en passant par l'épileptique « Paris mai » de Claude Nougaro ou le mélancolique « Mai 68 » de Gilbert Bécaud.
Cependant, il en est une qui est particulièrement chère à mon cœur car elle a bercé mon enfance : « Voici le mois de mai », chanson traditionnelle interprétée par Nana Mouskouri dans les années 1970. À cette époque la diva grecque à lunettes s'était lancée dans une série d'albums de reprises de « Chansons de la vieille France ». Sa version de cette ballade était mâtinée de castagnettes et bouzouki, sous l'influence de son arrangeur de mari, Georges Petsilas. Le résultat est primesautier en diable, et donne une furieuse envie d'enfiler des chausses pour danser le sirtaki.
La plage n'est certes pas abandonnée en ce début de mois de juillet, c'est même le contraire, mais les coquillages, eux, sont bien là. Quant aux cuirassés, ils ont déserté les mers ou, du moins, leur surface, beaucoup d'entre eux reposant aujourd'hui par plusieurs mètres de fonds. Voyez l'ironie de la chose. En s'inspirant des carapaces que la nature a créées pour protéger quelques gastéropodes marins, le génie humain a conçu des navires blindés qui gisent présentement sur les fonds marins recouverts… de coquillages.
Pourtant, ils étaient fiers ces vaisseaux qui sillonnaient mers et océans, protégeant les côtes de la France. Beaucoup, à l'instar du Jemmapes, portaient des noms de batailles victorieuses et de héros de l'armée française. Mais quand le choix s'est déplacé vers des adjectifs censément disuasifs, on a frisé le ridicule. C'est sûr, ils devaient crever de peur nos vieux ennemis rosbifs ou teutons, en déchiffrant les noms de la Belliqueuse, la Dévastation, l'Invincible ou le Redoutable ; mais peut-être avaient-ils autre chose à faire, lors de batailles navales, que de consulter le Harap's Concise ou le Languenscheidt.
S'il fallait trouver une parenté, elle serait à chercher parmi les surnoms que se donnent les membres de la pègre. On est effectivement plus proche de Jojo la Terreur ou de Riton le Mauvais que du Charles-de-Gaulle. Détail amusant, l'un des gangsters français les plus célèbres de la seconde moitié du 20e siècle, Jacques Mesrine, était surnommé le « Porte-avions » eu égard à l'arsenal qu'il transportait toujours avec lui. Quand je vous disais qu'il y avait un lien.
Je flemmarde souvent en terrasse de café à regarder passer les gens. C'est rigolo. Encore plus l'été, à cause des touristes. On les reconnaît facilement à leur air légèrement paniqué, las de déambuler dans des rues désolées, bordées de commerces fermés pour cause de congés annuels. Ah...Toulouse au mois d'août. Mais tout ça, c'est fini. Si j'en crois une conversation surprise au coin d'un zinc : « Les vacances c'est mort, trop vingtième siècle ».
Le temps de me retourner discrètement, je reconnais l'aspect typique du hipster : barbe, teeshirt délire, sirotant une bière sans gluten. Il discute avec une jeune femme qui, bien qu'imberbe, n'en est pas moins dans la « hype », si j'en crois ses lunettes à grosses montures. « Ouais, t'as vu l'empreinte carbone du tourisme, c'est catastrophique. Tout ces gens qui prennent leurs voitures pour partir, ce n'est pas très respectueux de la planète ».
Le barbu acquiesce et se lance dans une explication embrouillée sur les industries pétrochimiques et comment nous sommes tous complices, sauf lui qui n'a plus de véhicule motorisé depuis 2015. Et il enchaîne : « Le concept même de vacances est dépassé. Quand tu fais un truc qui te plaît, tu peux le faire tout le temps. Par exemple, avec Noémie on a traversé le Tadjikistan en vélo pendant un an. On était en résidence artistique dans des campings. C'était super ».
C'est sûrement vrai et c'est sûrement l'avenir, mais je conserve un souvenir attendri de l'odeur d'essence à la station-service, avant le grand départ des vacances d'été.
Qu'il est bon d'être en congés au mois de septembre. Tous les fâcheux ont quitté la plage. Évaporé, le jeune à enceinte portable qui esquisse des pas de danse en hurlant pour couvrir le son de sa machine infernale. Disparu, le fumeur invétéré qui, en l'espace d'une journée, fait partir en fumée une cartouche complète de Marlboro en ne manquant pas d'enterrer les mégots sous le sable. Ciao, l'accro du mobile qui, non content de faire partager à ses voisins ses conversations téléphoniques les plus intimes, passe le reste du temps à regarder des vidéos ou à jouer en oubliant de baisser le volume.
Le calme. Enfin.
Dans une atmosphère de fin de saison légèrement mélancolique. On sent que les commerçants étésiens pensent déjà à la suite. Et vous, vous êtes là. Profitant de l'instant. Alors qu'un à un, les cabanons et autres résidences de vacances ferment leur volets. Ça doit être un peu ça le bonheur. Mais il reste les locaux, personne n'a réussi à les faire partir ceux-là. Ça ne peut pas être parfait non plus...
Entre ici, mois de Novembre, avec ton terrible cortège. Avec tes chrysanthèmes qui fleurissent en un jour tous les cimetières. Avec tes gerbes officielles solennellement déposées devant les monuments aux morts. Avec tes milliers de citrouilles exposées en devanture des magasins, recouvertes de fausses toiles d'araignées. Avec tes catherinettes dont personne n'ose plus célébrer la fête. Entre ici et dégage vite, parce que tu n'as même pas commencé que déjà je n'en peux plus de toi et de tout ton saint-frusquin.
A ta décharge, il faut reconnaître que tu n'arrives pas au bon moment. Avant toi, il y a Octobre qui reste supportable parce que c'est encore un peu l'été. Après, c'est Décembre qui est plus pénible, mais bon, il y a les fêtes. Du coup, toi, t'es au milieu, et tout le monde s'en moque. Un peu comme dans les familles : il y a l'aîné qui est la perfection incarnée, le benjamin à qui l'on passe tout et, entre les deux, le cadet qui est le cadet des soucis d'à peu près tout le monde.
Mais si tu crois, Novembre, que tu es le mois le plus sous-estimé, va pleurnicher auprès de Février, et tu seras reçu. Lui, on peut tellement pas le supporter qu'on en a fait le mois le plus court de l'année. Les révolutionnaires le détestaient tellement qu'ils ont voulu le renommer Ventôse. T'imagines, la honte ! « Vent-toz », pourquoi pas « prout-prout » tant qu'on y est ? Allez va, c'est pas si mal Novembre, et dis-toi qu'il s'en est fallu de peu pour que tu t'appelles Brumaire ou Frimaire.
J'accueille toujours avec joie les premiers frimas de décembre. Non pas que je sois fanatique des gerçures, rhumes et autres désagréments qu'ils entraînent, mais parce qu'ils sont l'occasion d'allumer de grandes flambées dans les cheminées. Le feu me fascine. Je peux passer des heures près d'une cheminée, à regarder se consumer bûches et brindilles, hypnotisé par la danse des flammes. Il doit y avoir un atavisme tribal dans cet envoûtement. Mais, à trop contempler ce spectacle, on en viendrait presque à excuser les pyromanes tant la beauté du brasier ensorcelle et on s'étonne qu'il n'y ait pas eu plus de tyrans incendiant des villes pour le seul plaisir de les voir brûler.
Néanmoins, l'histoire a eu son compte de monomaniaques incandescents, au rang desquels nombre de religieux. Il faut croire que la tradition s'est perpétuée car, il n'y a pas si longtemps, la ville de Dijon connut un étrange autodafé. Le 23 décembre 1951, une effigie du père Noël fut pendue puis enflammée sur le parvis de la cathédrale à l'instigation du clergé local. Il s'agissait de dénoncer la dimension païenne de cette célébration de la nativité à l'américaine qui se généralisait dans la France d'après-guerre. Si l'objectif consistait à faire pleurer les petits bambins, il a probablement été atteint. Chassez le père Noël et le père Fouettard revient au galop.