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…, partez !

« Le mari cocu, battu et content ». Gravure par Noël Le Mire d'après Charles Eisen, publiée à Paris, Basan, 1762. Illustration pour les « Contes et nouvelles en vers », de Jean de la Fontaine. Rijksmuseum Amsterdam, inv. n° RP-P-OB-69.242.

…, partez !


juin 2022

L'occasion nous est enfin donnée de nous pencher sur la notion de vitesse, et les mots pour la décrire et peut-être même la mesurer. Attention : ici, point de bolide vrombissant, puisque nous resterons ancrés dans l'Ancien Régime, bien avant l'arrivée du cheval-vapeur.
Il n'empêche que les procédures criminelles nous permettent quelquefois d'assister à des spectaculaires accidents de la circulation où la vitesse est à mettre en cause1. Prenons par exemple celui du 13 octobre 1780, qui fut fatal à Louis Mascot2. En fait de cheval, ce sont là des mules attelées, à une charrette « allant fort vite ». Et c'est donc inévitablement que le malheureux Mascot, « aiant été surpris par la rapidité » avec laquelle alloient les mules, a été renversé, foulé et mis à plat. Les témoins de l'accident insistent tous sur cette idée de vitesse. L'un nous explique que l'équipage « s'en alloit bien précipitament vers le chemin de Saint-Martin, lesdites mulles étant aiguillonnées par les coups de fouet réitérés qu'un des trois hommes qui étoit sur ladite charrette leur donnoit ». L'autre confirme que les grands coups de fouet poussent les mules « à aller avec tant de rapidité » ; un troisième parle de « rapidité étonnante », un encore « d'une rapidité sans égale ». Bref, Mascot n'avait aucune chance face à cet équipage mené à un train d'enfer.
Deux ans plus tôt, c'est une course poursuite à pied entre un cuisinier et un postillon qui tourne à l'avantage du second car il « avoit meilleure jambe que » le premier3.
Les galopades sur deux jambes sont aussi légion dans les affaires criminelles ; cela s'imagine aisément tant elles contiennent de courses poursuites par des assaillants ou de fuites éperdues par leurs proies apeurées. Quand Marcel s'en prend à Comet, cela se passe tambour battant : « Comet ayné courroit pour s'enfermer, ledit Marcel(le) l'auroit rejoint à coursse avec son épée nue à la main et luy a dit de nouveau qu'il vouloit luy arracher la vie ». On imagine bien Comet, filer à la vitesse de la lumière, tellement qu'il « monta à toute coursse, tout esoufflé »4.
Cinq ans plus tôt, Bertrand Faget n'est pas tranquille lorsque, dans la nuit, il croise trois jeunes gens place du Salin, « comme il avançoit le pas pour […] se garantir des mains desdits trois jeunnes hommes » ; ceux-ci l'interpellent et lui disent « de s'arêtter et de ne marcher pas sy vitte, à quoy le plaignant leur répartit qu'ils n'avoi[en]t qu'à marcher s'ils voulet eux-mêmes »5. Ils le prennent au mot et manquent de l'écharper. Quand Margouton dit « hautement » vouloir rosser Marie, on pense d'abord à une fanfaronnade ; mais attention, elle est vive comme l'éclair et, incontinent, elle s'élance « à toute course » sur sa proie, sur laquelle elle se jette « comme une furie »6.
Les sources écrites nous offrent des éléments liés à la vitesse, quelquefois de manière inattendue : ainsi, en 1730 le jeune Bitis qui, trouvant son chien empoisonné « auroit accouru » chez son grand-père puis lui emprunter de l'orviétan en guise d'antidote7. Une fois la fiole en ses mains, « il seroit revenu promptem[en]t à la maison » pour tenter de sauver l'animal. Mais, par un concours de circonstances, son cousin et une sienne tante prenant la mouche contre sa mère (vous suivez ? Ça va vite, trop vite peut-être) « auroint couru après [elle] et, l'ayant jointe, se seroint jettés sur elle à corps perdu ».
Ne nous quittons pas sans évoquer ces « courses du mouton », régulièrement organisées dans la ville. Là, la jeunesse s'affronte et rivalise de vitesse (non le mouton ne participe pas, c'est le lot du vainqueur). L'épreuve la mieux documentée (à ce jour) prend place le dimanche 25 août 1782 ; « le lieu du départ étoit de l'allée de Lapujade », c'est-à-dire au quartier de Croix-Daurade, et l'arrivée jugée à la croix de la porte Matabiau. « Celui qui remporta la victoire fut un valet d'un nommé Capou »8 ; nous n'avons malheureusement pas son chrono.
Et puis, il n'y a pas que la vitesse pure. Notons par exemple cette prouesse de Joseph Claustres, qui quitte les Flandres pour rejoindre Toulouse en vingt-quatre jours seulement, et à pied s'il vous plaît9. Attendez, c'est qu'en arrivant, notre Ariégeois natif de Lapège a encore assez de souffle pour faire un enfant à Marie Escarnot – ce qu'il regrettera amèrement par la suite. Ah, si seulement il avait traîné en chemin, a-t-il dû gémir...
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1- Les curieux pourront aussi lire le dossier n° 28 des Bas-Fonds (avril 2018) : « Les charrettes de la mort. Chevaux emballés, petits écrasements et mortelles mises à plat : les accidents de la circulation à Toulouse au XVIIIe siècle ».
2- FF 824/8, procédure # 144, du 13 octobre 1780.
3- FF 822/3, procédure # 055, du 7 avril 1778.
4- FF 784/3, procédure # 092, du 20 juin 1740.
5- FF 769/1, procédure # 004, du 16 janvier 1725.
6- FF 810/4, procédure # 069, du 23 mai 1766.
7- FF 774/2, procédure # 069, du 20 mai 1730.
8- FF 826/6, procédure # 105, du 26 août 1782.
9- FF 794/2, procédure # 026, du 17 mars 1750.