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Axe for girls (and girls only)

[L'enchaîné déchaîné ou, hachée-menu dans les prisons], gravure de Jan Luyken, 1698. Rijksmuseum, Amsterdam, inv. n° RP-P-1896-A-19368-1396.

Axe for girls (and girls only)


novembre 2021

À décliner ou graviter aujourd'hui autour d'un axe un tantinet problématique, c'est tout naturellement que nos attaches anglo-germaniques – autant généalogiquement complexes qu'affectives –, nous renvoient vers ce mot qui, décliné dans les langues de Boris et d'Angela, est entendu et compris pour le mot hache.
Et voilà qui tombe à pic (un pic n'étant pas une hache, mais il s'y apparente tout de même par certains aspects – ou effets), car nous nous sommes vus récemment reprocher par des esprits chagrins de n'avoir jamais traité de la hache dans un numéro des Bas-Fonds (plus précisément dans le quintet consacré aux diverses armes du crime) alors même que nous avions consacré un numéro entier au marteau et au maillet, qui manquent singulièrement de classe lorsqu'il servent à perpétrer un crime.
Pour notre défense, cette lacune s'explique aisément. En effet, aucun pourfendeur à la hache ne semble émerger de nos fonds d'archives anciennes. Certes, les Annales manuscrites des capitouls content bien la mésaventure du seigneur de Saint-Simon, dont le crâne est fendu à la hache en son château du même nom par des voleurs1. Las, nous sommes en 1607, et Saint-Simon ne fait pas encore partie de Toulouse. Il y a bien ce Pierrot qui, devenu fou, partage en deux avec une hache la tête d'une sienne voisine ; mais là encore, l'affaire a lieu hors de la ville, en Gascogne, près de Lahas, et nous est seulement connue car ledit Pierrot se fait rattraper et occire à son tour – au pistolet, sur le pont de Tournefeuille, un pied dans Toulouse (ouf, il était moins une)2.
Les mémoires Manuscrites de Barthès fourmillent d'affaires sanglantes à la hache jugées par le parlement3, mais toutes ont été perpétrées par ceux du Quercy, ceux des Cévennes et du Vivarais, par des Gascons (tiens, encore) ou même des Audois, mais jamais par un Toulousain.
Voilà qui est rageant, et d'autant plus lorsqu'on sait que même notre bourreau très officiel ne possède pas un tel instrument dans sa panoplie. Avouez que cela rend les décapitations bien moins chic et moins solennelles (pour Montmorency, personne n'y était – le roi avait chassé les capitouls le temps de faire sa petite cuisine tranquille, les portes de l'hôtel de ville étaient fermées et gardées par les troupes, donc personne ne sait et tout le monde raconte ce qu'il veut ; quant aux trois frères Grenier, exécutés place Saint-Georges en 1762, ils ont eu la tête tranchée avec un couteau long, un damas à décoller).
Les Toulousains bouderaient-ils la hache ? Est-ce une arme trop barbare à leur yeux ?
Et pourtant, à mieux y regarder on trouve quelques menaces ou agressions réelles avec une hache. Mais là, surprise ! Ce sont uniquement des femmes qui brandissent l'arme-outil.
En première ligne, la Blondine. Ce n'est pas une tendre, et elle n'a besoin de rien pour se faire craindre, mais lorsqu'elle arrache une hachette (une pigassa) des mains de Gaspard Lustron pour la retourner contre lui4, il y a de quoi trembler, d'autant plus que la Blondine est « masquée en diable ». Et voilà que la Soubiroune se joint à elle et menace à son tour de trancher la tête du malheureux Lustron dont la nuit de noces a bien failli tourner court.
Et que penser de la Dumaine, qui « jure, blasphème, sacre, appelle tout l'enfer à son secours, prend un bâton, vient se jetter [sur] son mari pour lui fendre la tête, le traite indignement et le charge des outrages les plus sanglants que la fureur puisse inspirer »5. Le pire est à craindre quand « elle s'arme d'une hache », au point que son tendre époux prie les magistrats de le délivrer d'une telle furie.détail d'un croquis au verso d'une pièce de procédure civile de 1547, impliquant Jean de Bernuy. Mairie de Toulouse, Archives municipales, FF 95, pièce non foliotée (détail).

Le classement des procédures criminelles des capitouls n'est pas fini, loin s'en faut, et il nous réserve bien des surprises. Peut-être allons nous trouver, un jour, une femme qui castre son mari (ou tout autre coq de village) avec une hache. C'est qu'avec le dernier « graffiti d'époque »6 repéré récemment au revers d'une pièce de procédure civile du 16e siècle, on doit s'attendre à tout !

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1 - Annales manuscrites des capitouls, BB 277, chronique 280, année 1607, p. 127-154.
2 - FF 777/1, procédure # 008, du 23 janvier 1733.
3 - Mémoires manuscrites de Pierre Barthès, 1737-1780, 8 volumes. Bibliothèque d'études et du Patrimoine, Mss 699 à 706.
4 - FF 812/1, procédure # 020, du 6 février 1768 – en fait c'est un charivari organisé pour son mariage. La Blondine est identifiée pour être Claire Jonquières, dite Blondine. Sa sœur et elle sont des "habituées" de nos procédures criminelles.
5 - FF 830 (en cours de classement), procédure du 5 mai 1786.
6 - FF 95, liasse non foliotée.