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Feu les bûchers

Vue des bûchers du Port-Garaud représentés sur une vue d'ensemble de Toulouse [2e moitié du 17e siècle]. Mairie de Toulouse, Archives municipales, 45Fi74 (détail).

Feu les bûchers


avril 2022

Comme le racontent certains, Jeanne d’Arc aimait beaucoup le poisson. La preuve, sur le bûcher, elle répétait « Je veux des sandres ! Je veux des sandres ! ».

Cette plaisanterie pourrait s’appliquer à bien d’autres condamnés à être brûlés vifs, tels l’empoisonneuse Marie Dejean en 17701 ou le pyromane Jean Unglas en 17732. Bien qu’à Toulouse cette pratique soit attestée jusqu’à la fin du 18e siècle, la toponymie actuelle pourrait laisser croire qu’elle se serait déroulée quartier Saint-Michel, non loin de la Garonne. Que nenni ! L’actuelle rue des Bûchers, nommée ainsi depuis le 18e siècle, tire son nom du bois de pagelle (bois de chauffe) ou à bâtir (d'œuvre) amené par radeaux ou par flottage sur la Garonne, au Port-Garaud. « Les radeliers accostent là, sur la rive. Avec l'aide de travailleurs du port et de portefaix, ils déchargent leur cargaison de bois et bien souvent désassemblent les radeaux dont les troncs sont vendus, les pagelleurs mesurent le bois à brûler, et les charretiers vont le livrer dans la ville. Des bûchers sont élevés pour stocker les amas de bois en attente de livraison. Un garde appointé par les marchands et assermenté par les capitouls veille nuit et jour sur tout ce bois qui suscite évidemment les convoitises. Mais il revient aux marchands d'élever leurs bûchers sur le port, tout en assurant la libre circulation et en veillant à ne pas empiéter celles de leurs voisins »3. Les bûchers destinés aux condamnés à mort étaient installés plus loin du fleuve, initialement sur la place Arnaud-Bernard ou sur la place du Salin, puis à partir du 16e siècle place Saint-Georges.Statue de Jeanne d’Arc sur le bûcher [fin 19e - début 20e siècle]. Giscard - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 46Fi229.

Si Jeanne d’Arc avait été exécutée à Toulouse, elle n’aurait pas eu le loisir d’aller goûter une dernière fois la chair de ce poisson d’eau douce en dévalant la pente jusqu’à la descente de la Halle-aux-Poissons. Trop ligotée me demanderez-vous ? Pas seulement. La halle aux poissons n’y a été installée qu’un siècle plus tard...

 

Comme en témoigne ce numéro, nous, archivistes, petites poussières dans l’histoire d’aujourd’hui et de demain, nous lutterons toute notre vie contre la poussière désireuse de réduire en cendres les sources de l’histoire. A la chasser, nous finirons peut-être par constituer une couche de limon, très fine et volatile, grâce à laquelle, par un cercle vertueux, nous pourrions cultiver quelques patates, patates elles-mêmes réduites en poussière pour le bien du patrimoine photographique.

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1. B.M.T., Ms. 704, p. 122.
2. B.M.T., Ms. 704, p. 205.
3. Archives municipales de Toulouse, « Les bûchers du port Garaud », Procédures criminelles à la carte, (n° 20) décembre 2021 publication en ligne