Non, nous ne reparlerons pas de la boule de laiton ou la « pomme » qui servit en 1592 au moins pour insérer le mot de passe destiné à ceux préposés à la garde des portes et remparts (guerres de Religion obligent). On aurait aussi pu traiter ici des boulets de canon ; l’arsenal de Toulouse en fut particulièrement bien garni, jusqu'à ce que ceux-ci soient ensuite réquisitionnés et gaspillés par Louis XIII en 1621, lors de son cuisant échec devant Montauban, ville rebelle et décidément pas très catholique.
Quittons donc ces temps troublés et abordons la fin de l'Ancien Régime, que l'on aime à croire régie par des mœurs plus policées. Là, les boules peuvent toujours être offensives, mais encore récréatives et enfin quelquefois curatives. Les premières se trouvent naturellement à l'état glacé, les secondes roulent et peuvent s'entrechoquer, et les dernières, bien qu'on les dise d'acier, s'ingèrent.
La boule de neige, que l'on nommait alors « peloton », ce qui est autrement plus charmant, ne prend un caractère martial que si un gros malin décide d’y insérer un caillou ou de la glace. Nous renvoyons au dossier des Bas-Fonds formant le premier volume sur l'arme du crime (p. 14-15) où certains de nos aînés y narrent leurs malheurs et bosses suite à des jets de tels pelotons bien ajustés. Nous ne savons pas en revanche si les glaces que vend en 1777 Louis Marquant, confiseur place Rouaix, sont vendues à la boule1.
Les boules, celles du jeu de quilles, celles du jeu de mail ou encore celles de la courte-boule2, roulent à tous les coins de rue, sur les quais et dans les avenues et chemins. Les voilà qui heurtent quelquefois passants ou badauds. Si nous avons eu le loisir d'évoquer le maillet servant à frapper ces boules dans le second volume sur l’arme du crime, peut-être devrions-nous envisager un numéro spécial uniquement consacré à la boule comme moyen d’agression. Le menuisier Pierre Troy, victime d’une boule de mail qui vient lui frapper la jambe en bord de Garonne, déclare que « ledit coup est si dangereux qu'il risque d'en perdre la jambe »3. Il a même fallu carrément le treuiller « avec des sangles qui lui furent attachées au bras », afin de pouvoir le ramener sur le quai en surplomb tellement il tombait en pâmoison. Certes, l'on joue aux boules, aux quilles ou au mail sur l’espace public, mais ceux incarcérés dans les prisons de l'hôtel de ville ont aussi le loisir de taquiner la boule lors de leur récréation dans la cour4.
Passons enfin à ces mystérieuses boules aux vertus curatives, connues sous diverses appellations : boules vulnéraires, boules d’acier, boules de Nancy, voire les trois à la fois. Vendues par des colporteurs ou des chimistes qui les produisent eux-mêmes, elles sont composées de diverses drogues, dont de la limaille de fer.
La demoiselle Bourvart a quitté un mari un peu trop violent et dévergondé pour suivre, sur les routes, le colporteur Lanard ; ils vivent du commerce des boules d’acier, des saints-suaires et des lunettes5.
En 1769, Marguerite Richard démarche les maisons de la ville pour les vendre au prix de 20 sols l’unité, elle propose en outre aux clients potentiels des « bagues simphatiques » à 6 sols seulement. C’est son mari qui les fabrique, ils en ont un stock de 900, de quoi soigner toute la ville6. Quant à Grégoire, convaincu d'escroquerie en 1784, on retrouve parmi ses effets « différentes boules pour le mal vénérien »7.
Mais rassurez-vous, les capitouls, dans leur grande sagesse, imposaient que ces produits soient vérifiés avant d’être débités, et c'est ainsi que Pierre-Jean Bollin doit faire tester ses boules par le chirurgien-major de l’Hôtel-Dieu – le résultat ne semble pas avoir été convaincant et Bollin ira donc vendre ses boules à Montauban où il espère que les consuls seront moins à cheval sur la qualité de ses produits-miracles8.
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1. FF 821/7, procédure # 139, du 13 août 1777. Pour les gourmands, signalons qu'en été cet établissement reste ouvert jusqu'à onze heures du soir au moins, et il y a grand foule.
2. FF 802/3, procédure # 086, du 20 mai 1758 – aussi appelé « jeu des boches » (de bocho en provençal).
3. FF 805/2, procédure # 042, du 30 mars 1761. C'est ainsi que l'on apprend qu’il est de coutume « d'avertir en criant : Gare la boule ! toutes les foix qu'il estoit de tour de tirer son coup de mail ».
4. FF 829/10, procédure # 182, du 15 octobre 1785. Pour l'occasion, nous remettons en ligne une transcription des deux pièces de cette affaire, déjà proposée sur notre site lors du 1er confinement, sous le titre L'agité des prisons.
5. FF 800/5, procédure # 168, du 26 juin 1756.
6. FF 813/9, procédure # 232, du 28 décembre 1769
7. FF 828/7, procédure # 151, du 6 novembre 1784.
8. FF 813/9, procédure # 232, du 2 septembre 1747.