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Le bon coin

Vue du 2 et du 4 boulevard des Minimes (en construction), vers 1957. Jean Ribière - Mairie de Toulouse, Archives municipales, 41Fi99.

Le bon coin


mars 2022

Un cadeau de Noël moche et immettable ? Le buffet de la vieille tante qui ne rentre pas dans votre salon et qui, de toute façon, ne s’accorde pas à l’ambiance zen-minimaliste-feng-shui de votre intérieur ? Heureusement, le site de petites annonces en ligne est là pour vous en débarrasser, moyennant une petite rétribution au passage. 
Dans la vie réelle (in real life pour les utilisateurs avertis), il est également possible de se rencontrer dans les nombreux cafés, judicieusement placés à l’angle de deux rues, qui portent ce nom. De 1951 à 1956, Au bon coin est le nom d’un bar situé au 2 boulevard des Minimes, le long du canal du Midi. Il se trouve au rez-de-chaussée d’un immeuble construit au début du 20e siècle (et aujourd'hui disparu), typique des faubourgs toulousains. La photographie de Jean Ribière le montre au devant d’un grand édifice en cours de construction. Au-delà de l’instantané des transformations urbaines à l’œuvre pendant les Trente Glorieuses et de l’antagonisme ancien/moderne, cette image révèle l’ossature métallique avec laquelle est construit cet immeuble, le premier de grande hauteur (19 étages) réalisé à Toulouse avec cette technique1 (architecte Jean-Pierre Pierron pour le compte de la Société Immobilière des Minimes, permis de construire de 1955). Il est aujourd’hui en travaux, souffrant depuis de nombreuses années de désordres structurels entraînant un risque d’effondrement des balcons.

Élévations sur le quai des Minimes et sur la rue du Maroc. Extrait du dossier d'autorisation d'urbanisme, 1955. AMT, 693W96.Peu engageant au premier abord, cet édifice s’impose dans le paysage des faubourgs par ses proportions et par l’uniformité de sa façade, simplement animée par les pleins et les vides des loggias et le motif de grille créée par l’ossature métallique. Il offre cependant des appartements agréables, grands, traversants, dotés de tout le confort moderne : celliers, salles d’eau et sanitaires séparés, penderies, et surtout des loggias, offrant une vue imprenables sur les toits de la ville et des Pyrénées pour les derniers étages. Il est le reflet de la modernité telle qu’on l’entendait à l’époque : se détachant des contraintes de la parcelle, surélevé sur une dalle, utilisant les nouveaux procédés de préfabrication afin de loger rapidement le plus grand nombre avec un coût maîtrisé.

Au cœur d’un quartier en pleine mutation, il fait l’objet d’un projet scientifique, culturel et artistique « Mémoire d’une tour et récit de chantier », porté par ses habitants et un groupe de trois professionnelles : une architecte, spécialisée dans l’histoire des grands ensembles, Audrey Courbebaisse, une vidéaste, Marie Salgas et une plasticienne, Marilina Prigent. Conduit à la fois sur l’angle de l’histoire de l’architecture, mais aussi sur le récit du chantier de réhabilitation actuel, il s’appuie sur des recherches en archives et sur les témoignages de ses habitants. Ce projet donnera lieu à une publication, des expositions sonores, visuelles et audiovisuelles.
Ce travail de mémoire, permettant aux habitants de se réapproprier leur lieu de vie et, au-delà, de changer le regard porté sur notre environnement est indispensable. Car il est plus facile de se débarrasser d’un pull qui gratte que d’un immeuble de 110 logements.

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1- CAUE 31, J.-L. Marfaing, dir. Toulouse 45-75, la ville mise à jour. Toulouse, Nouvelles éditions Loubatières, DOSSIER DE PRESSE Toulouse 45-75.pdf p. 8.