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Les morts s’en tamponnent bien

Fragment de cachet des capitouls apposé sur une des pièces à conviction lors du « suicide involontaire » de Torrofabes. Mairie de Toulouse, Archives municipales, FF 814/3, procédure # 047, du 13 mars 1770.

Les morts s’en tamponnent bien


avril 2021

Certes, la déclaration du roi de septembre 1712 impose de cacheter au front les cadavres d'inconnus trouvés au petit matin dans les rues ou ramenés sur les rives du fleuve. Mais pouvions-nous être certains que la chose soit strictement appliquée à Toulouse ? En effet, plus l'on se frotte aux sources de la pratique judiciaire, plus l'on découvre ces libertés prises avec « la loi », ces petits aménagements ou grands écarts faits par les capitouls dans leur pratique quotidienne de la justice criminelle, que l'on adapte aux contraintes du lieu et du moment.

La lecture des procédures criminelles des capitouls montre toutefois que, dans la majorité des cas, nos magistrats municipaux se plient de bonne grâce à la volonté royale en apposant non pas un tampon encreur, mais un beau cachet de cire ardente au beau milieu du front des corps morts.
Cela dit, l'affaire n'est pas toujours aisée, particulièrement lorsque le cadavre est retrouvé dans le gardiage (la campagne toulousaine), là où le capitoul dépêché sur place en urgence n'a pas toujours le cachet de la ville sur lui, voire le bâton de cire rouge. Il faut encore qu'il ait la possibilité de faire chauffer cette cire, ce que l'on imagine être une opération un tantinet compliquée.
Ainsi, en 1762, le danseur Dezaubry, percé à mort lors d'un duel au ramier du Bazacle, verra son front orné « d'un cachet, en déffaut d'autre, gravé de trois fleurs supporté par trois palmes, à la partie supérieure du front »1. Rien de très officiel, mais peu importent les armes, pourvu qu'on ait le cachet.
En revanche, en 1787, l'estampille officielle de la ville se trouve bien sur ce nouveau-né retrouvé caché sous la paillasse du lit de sa mère (donc déjà bien aplati), « sur le frond duquel nous avons fait apposer le sç[e]au des armes de la ville sur cire rouge & ardante »2. À défaut d'avoir reçu le baptême ni même un prénom, ce nourrisson pourra se réjouir au paradis d'avoir été l'objet d'un cérémonial dans sa vie, courte comme un souffle.
L'oiseleur Torrofabes, qui se serait suicidé « involontairement » selon les experts, est lui aussi scellé au front lorsqu'il est retrouvé dans la cuisine de l'ancien capitoul B…3. Dans la foulée, le magistrat ordonne que les scellés soient apposés sur le fusil et autres objets liés au tragique incident. Si le corps de Torrofabes repose désormais en paix avec ou sans son cachet de cire, celui appliqué sur l'arme du crime est toujours conservé et il vient illustrer ce court billet.

Pour aller plus loin : G. de Lavedan, « De l'identification à l'inhumation : les vicissitudes du corps des victimes dans la pratique judiciaire d'Ancien Régime », in M. Charageat, B. Ribemont, M. Soula, Corps en peines. Manipulations et usages des corps dans la pratique pénale depuis le Moyen Âge, Paris : Garnier, 2019, p. 141-154.

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1. FF 806/2, procédure # 036, du 29 mars 1762. Procédure La mort du cygne dans « Meurtres à la carte ».
2. FF 831/8, procédure # 167, du 31 août 1787. Procédure Le nourrisson était sous la paillasse ! dans « Meurtres à la carte ».
3. FF 814/3, procédure # 047, du 13 mars 1770. Procédure Un suicide vraiment involontaire ? dans « Meurtres à la carte ».