Campagne d'Orient, Kirra (Grèce), Groupe devant le café, 1917. Louis Albinet – Mairie de Toulouse, Archives municipales, 87Fi768.
Mauvaises manies
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octobre 2023
Collectionneurs d’images et artistes hétéroclites, vous savez certainement que notre œil est souvent guidé, des fois bien à notre insu, par des petites obsessions et manies visuelles incongrues. En accompagnant le photographe toulousain Louis Albinet (1890-1938) à travers ses périples autour du globe, lors de la numérisation de ses plaques de verre, j’ai développé une toute nouvelle toquade. Prise d’une certaine sympathie pour le personnage, je me retrouve assez facilement à tenter de débusquer dans ses images toutes les traces qu'il a bien voulu nous laisser. Dans cette quête, j'identifie toutes ses apparitions - elles nous permettront de replacer dans l’ordre les différents bouts de son histoire - allant des plus évidentes, telles que des
autoportraits et vues le
mettant en scène, jusqu’aux intrusions bien plus accidentelles. On se souvient tous de ces
portraits, ou
paysages capturés, dont on est si fier, jusqu’à ce qu’on réalise qu’on a malencontreusement laissé traîner
notre ombre dans le cadre. Oups. Ce sont bien ces maladresses qui ont tant éveillé mon attention, ces intrusions involontaires, par la lumière, de la silhouette du photographe se superposant au sujet initialement relaté. Malgré la distance géographique et l’écart des années, ces petites boutades provoquent en moi un certain amusement et attendrissement. Professionnel renommé ou simple amateur, nos ombres et reflets s’immiscent des fois si facilement dans nos clichés. Si vous trouvez ma nouvelle lubie peut-être un peu fantaisiste, sachez que ces mauvaises manies ont déjà pu être relatées et remarquées par plusieurs auteurs. L’historien de la photographie Clément Chéroux évoque ce phénomène d’auto-ombromanie dans ses ouvrages
Fautographie et
Ombres Portées, sans oublier leur place évidente dans le
Manuel de la Photographie ratée de Thomas Lélu.
Au risque de passer pour un amateur, l’opérateur n’est habituellement pas invité à paraître à l’image mais, même quand il prend bien soin de rester en dehors du cadre, sa présence peut parfois être tout aussi malvenue. Confrontés à des sujets d’actualité sensibles ou à un modèle un peu récalcitrant, la pratique de cet art implique dans certains cas discrétion et patience. Elle peut mener son auteur à user de quelques subterfuges pour amadouer un sujet, voire le pousser à dégoter la
cachette adéquate si la situation le nécessite. Pas toujours attendu, ou muni d’un
laissez-passer, le photographe peut être perçu tel un intrus, et quand ses obsessions prennent le dessus, cet argument-là n’est pas toujours suffisant pour dissuader l’artiste. Dans l’ouvrage
Rêves d’avions, Jean Dieuzaide nous conte une de ses mésaventures survenues sur le tarmac de l’aéroport de Blagnac. Pourtant bien habitué des usines de la SNCASE (Société de construction aéronautiques du Sud-Est) et passionné d’aviation, il n’obtient pas l’autorisation d’immortaliser le tout premier envol en 1949 de l’
Armagnac. Mais que nenni, cela ne va pas l’arrêter pour autant. Pour rien au monde il ne manquera l’événement. Toujours équipé de son Rolleiflex, mais cette fois dissimulé sous un long manteau, il s'introduit tout de même ce jour-là sur les pistes, bien décidé à illustrer le décollage du quadrimoteur. Il en saisit alors plusieurs précieux clichés, mais ces derniers lui causeront par la suite quelques sérieux ennuis : une arrestation, des suspicions d’espionnage, à deux doigts même, paraît-il, de lui coûter la
prison.