
L'image du moi(s)
Chaque mois, petit billet d'humeur et d'humour à partir d'images conservées aux Archives. Forcément décalé !
Enfant, j’assommais mes parents de questions et dès fin mars je faisais une fixette sur Pâques. J’avais essayé de reconstituer une trame directrice en réunissant les pièces éparses du puzzle pascal. Il y avait d’abord l’histoire de Jésus : le dernier repas avec les douze apôtres, la mort sur la croix entre les deux larrons, et, trois jours plus tard, le tombeau vide, la Résurrection. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne s’agissait pas d’une histoire banale, du style qui pouvait arriver à un copain de classe. Mais admettons.
Admettons qu'à plusieurs milliers de kilomètres de là, une bande de lièvres ait eu vent de l'affaire. Ne me demandez pas comment. Ils se disent donc que pour marquer le coup, ils vont dissimuler des œufs dans la campagne. Pourquoi des œufs ? Mais ça dénote un vrai esprit de générosité chez ces animaux. Et d'ailleurs, dans le même coin, une escadrille de cloches volantes (????) un peu désœuvrée s'inspire des prodigues lagomorphes et dissémine les mêmes petits cadeaux ovoïdes dans tout le pays. Au minimum, cela soulève des interrogations, et pas que pour un garçon de huit ans.
Finalement arrivait le jour de la délivrance où, trop occupé à me goinfrer de chocolat, j’arrêtais mon enquête. Ce jour-là, j’atteignais une sorte de plénitude, surtout physique, qui finissait souvent en crise de foie. C’était aussi le cas de nombre des convives du repas pascal. Plus les minutes passaient, plus les verres se remplissaient et plus le volume sonore augmentait. Les agapes étaient ponctuées par une déclamation répétée à l'envi par un de mes oncles qui mangeait un curé tout cru le matin au petit déjeuner : « Et il ressuscita le troisième jour ! ». Et on se levait difficilement de table vers dix-sept heures. Certains mettaient plus de trois jours à s’en remettre.
Il y a deux décennies environ, le professeur Theodor Pfannkuchen provoquait une déflagration dans le petit monde de la galette de sarrasin. Après une rocambolesque recherche, il avait fini par découvrir un enregistrement, réputé perdu, réalisé par le médium Edouard Crespi à la fin du 19e siècle. Ainsi, sur un cylindre de cire, soigneusement rangé au fond d’une sacoche en cuir, avait été gravée, par le truchement d’un gramophone, une déclamation du spirite prononcée lors d’une séance de transe.
Alors que les exégètes les plus versés dans les sciences du surnaturel s’interrogeaient sur la signification de ces étranges imprécations, le digne professeur d’Outre-Rhin surprit son monde en affirmant qu’il n’était ici question que de crêpes. L’interprétation qu’il en donna, faisant appel tant à la linguistique la plus fine qu’à l’ésotérisme le plus échevelé, à l’astronomie qu’à l’astrologie, ne convainquit pas ses pairs. Et, pour tout dire, personne n’y comprit rien. On ne retint de ces élucubrations qu’une sentence qui amusa les uns et désespéra les autres : « La lune est plate comme une crêpe ».
Cependant, quelques mois plus tard, Herr Professor décédait dans des circonstances mystérieuses. Alors qu’il prenait son petit déjeuner, un morceau de pancake se coinça dans sa gorge, provoquant l’étouffement du pauvre savant. Il n’en fallut pas plus à certains pour y voir la main du complexe agroalimentaire farino-lacté.
Qu’avait donc découvert le chercheur allemand qui puisse autant déranger ? Difficile à dire, car toutes ses recherches ont disparu avec lui ; comme s’il n’avait jamais existé…
Est-il vraiment envisageable d’entrer dans cette nouvelle année d’un pas décidé ? Pour ma part, je suis un peu hésitant. Et ce n’est pas seulement à cause du réveillon du premier de l’an que j’ai du coton dans les jambes. On a beau se dire que les jours à venir seront forcément meilleurs, le doute persiste. Car si le mieux est souvent possible, « le pire est toujours certain ». Merci Murphy.
Donc, avant d’arpenter un nouveau chemin, c’est le moment rituel de faire le point sur le parcours déjà accompli. Force est de constater qu’il n’est pas bien long pour les 365 derniers jours. Merci le confinement. Mais comme disait ma grand-mère « à chaque chose malheur est bon ». Nous avons au moins appris à revenir aux choses essentielles : un canapé, une télévision…
Finalement pour commencer en douceur, ne devrions-nous pas suivre les préceptes d’un célèbre poète toulousain de la fin du 20e siècle ? « Je mets un pied devant l’autre. Sans penser à demain. Je mets un pied devant l’autre. Sans regarder plus loin ». D’aucuns diront que c’est le meilleur moyen de se prendre une gamelle. Ce n’est pas faux. Mais c’est aussi celui qui vous entraîne dans une jolie promenade où il fait bon lambiner.