L'image du moi(s)


Chaque mois, petit billet d'humeur et d'humour à partir d'images conservées aux Archives. Forcément décalé !

Image du moi(s) - année 2023


Cerise à Saint-Jory, 28 mai 1967, positif couleur, 2,4 x 3,6 cm. Jean-Paul Escalettes - Mairie de Toulouse, archives municipales, 42Fi3256.

mai 2023


Il n’y a pas de mai

Un film français de Robert Benayoun affirmait en 1969 : « Paris n’existe pas ». Slogan surréaliste pour une intrigue qui ne l’est pas moins. Jugez-en : après avoir consommé une substance psychotrope un artiste parisien acquiert le pouvoir de voyager dans le temps. Si l’on en croit Aldous Huxley, ce sésame lui aura ouvert les portes de la perception, mais comme le rappelle le préposé à la trésorerie de Trie-sur-Baïse, les portes de la Perception ferment à 16 h.
Pour paraphraser Robert, j’ai parfois l’impression que mai n’existe pas, ou pour être plus juste, n’existe plus. Oublié le mois de l’insouciance, des chapardages de fraises et cerises, des virées nocturnes en bandes, des premières baignades dans l’eau encore frisquette. Aujourd’hui, mai se résume à de savants calculs pour obtenir le maximum de vacances en posant le minimum de congés ; à synchroniser les agendas des uns et des autres pour arriver à passer quelques heures en famille ou avec des amis.

Mai où es-tu passé ? 
Probablement dans les recoins de mon cerveau, juste à côté des décembres neigeux. À ce sujet, avez-vous déjà remarqué combien les étés de notre enfance étaient chauds et ensoleillés, les hivers froids et enneigés ? N’y voyez pas forcément de lien avec le réchauffement climatique, mais plutôt avec le fonctionnement de la mémoire qui généralise les évènements météorologiques exceptionnels de nos jeunes années. Pour des générations, l’hiver rigoureux de 1985 a créé un récit qui a progressivement contaminé les autres périodes hivernales. D’où l’expression : « C’est neigeux avant ». 

Carte postale publicitaire pour le cravatier Pascal, années 1920-1930, phototypie, 14 x 9 cm. Mairie de Toulouse, archives municipales, 14Fi574.

avril 2023


Moi(s), Pascal

Il paraît que Pascal est aujourd’hui un prénom devenu rare. Non pas qu’il ait totalement disparu de la circulation, mais il semble que plus personne ne veuille le donner à ses enfants. Il faut dire qu’en la matière, nos contemporains rivalisent d’originalité. Loin de moi l’idée de fustiger les parents des Térébenthine, Tugdual, et autres Foulque, leur progéniture s’en chargera, mais il y avait peut-être de bonnes raisons à ce que certains prénoms soient oubliés ou même jamais donnés. Néanmoins, je profite de cette chronique pour rendre hommage à tous les Pascal que j’ai croisés au cours de ma vie en soutien à ce patronyme en voie d’extinction.
Je suis donc Pascal C., copain de primaire aux dents de lapin, qui habitait à quelques pas de l’école, et qui se tenait toujours prêt à faire les pires idioties. Je suis aussi Pascal P., comme moi, banlieusard bondissant dans un lycée citadin. Arborant la panoplie du « hardos » - baskets americana, jeans élastiques, perfecto et bien sûr une coupe mulet à rendre jaloux Tony Vairelles – agrémentée des patchs et t-shirts de ses groupes favoris : Carcass, Deicide, Cannibal Corpse ou encore Necrophagia. De quoi faire dresser les cheveux sur la tête de sa môman.
Je suis encore Pascal tout court, coiffeur génial qui présida à mes destinées capillaires pendant deux décennies. Sa retraite sonna le glas de ma chevelure et me vit errer de salons en salons des mois durant. Et pour finir cette odyssée pascalienne, je suis Pascal O., goal charismatique, notamment de Marseille, et chanteur occasionnel qui nous donna le mémorable « Tape dans un ballon » qui pourrait en remontrer à nos actuels rappeurs phocéens :


"Fleurs de tags sur béton pour décor chimérique
L'horizon graffiti a cassé tes musiques
Y'a une bille de flipper qui cogne dans ta tête
Tu sais plus où aller, t’es mal dans tes baskets
Moi je suis passé par là
Envie de tout casser, quelquefois
Et me frapper la tête contre les murs
Comme toi j'étais en mal d'aventures
Mais j'ai trouvé, ma vérité
Fais comme moi, et tout changera".

Carte postale célébrant le titre de champion de France du Stade Toulousain en 1912, chromolithographie, 9 x 14 cm. J. M. Degeilh – Mairie de Toulouse, archives municipales, 9Fi5420

mars 2023


En rouge et mars
Le 31 mars 1912, le club de rugby du Stade Toulousain remportait son premier titre de champion de France et débutait ainsi une longue marche qui allait l’emmener vers le palmarès le plus brillant du rugby européen. Jugez-en : 37 titres au total, dont 21 de Champion de France, 5 coupes d’Europe de rugby. Pour ne parler ici que des résultats de l’équipe première.
Mais cette année 1912 devait avoir une saveur toute particulière car ladite équipe était demeurée invaincue tout au long de la saison. Forteresse imprenable, ne s’étant inclinée lors d’aucun match, tant officiels qu’amicaux, elle fut en conséquence baptisée « La Vierge Rouge ». Les illustrateurs ne se firent pas prier pour l’incarner sous les traits d’une jeune fille, parfois vêtue de rouge, parfois pas vêtue du tout, et affublée – pour une raison mystérieuse – du sobriquet « Zézette ».
Loin de moi l’idée – très en vogue ces dernières années – de regarder avec condescendance nos aïeuls, mais reconnaissons qu’en associant les termes « vierge », « rouge » et « zézette », ils ont vraiment fait carton plein. D’autant qu’aujourd’hui, même les hagiographes de l’autre « Vierge Rouge », la communarde Louise Michel, sont accusés d’avoir créé et diffusé ce nom de guerre présentement jugé dévalorisant pour la mémoire de la célèbre insurgée. En parlant mémoire et d'inssurection, j’en profite pour signaler que le 25 mars prochain nous célébrerons le 152 e anniversaire de la proclamation de la Commune à Toulouse.
Capitole, 1842, planche lithographique extrait de Toulouse Monumentale et Pittoresque par Jean-Mamert Cayla et Paul Cléobule. Perrin (dessinateur), Achille Delor (graveur) – Mairie de Toulouse, Archives municipales, RES111 pl. 5.

février 2023


Février 2.0

Au début des années 2000, on donna aux nouvelles évolutions qui transformaient le World Wide Web, le nom de Web 2.0. L’expression, bien qu’issue de la culture geek, séduisit un large public. A tel point qu’on la retrouva utilisée dans des domaines divers et variés. Ainsi, on peut essayer d’imaginer le management 2.0 ou la ville 2.0, mais qu’est-ce qu’une mère 2.0 ? Une « intrapreneure d’un programme d’acculturation digitale pour tous » qui suit avec « curiosité l'usage des nouvelles technologies de sa fille » ? Ou juste une maman qui revend ses vêtements sur Internet et espionne son ado sur les réseaux ?
On peut y voir un symptôme du présentisme qui tente de qualifier la nouveauté d’une façon toujours plus absconse. L’usage du jargon technico-informatique est caractéristique à cet égard, mais aussi périlleux car il se périme très vite. Alors que l’actualité est au Web 3.0, j’entendais récemment une ex-gloire des années 1980 qualifier George Michael de « Frank Sinatra 2.0 ». Ok boomer ! T’as raté tellement de trains que plus personne ne peut t’aider, et t’accrocher aux wagons de la modernité restés en gare ne va pas arranger ton cas.
En revanche, Toulouse était au rendez-vous de l’Histoire le 25 février 1848, lorsque fut proclamé, depuis le balcon de l’hôtel de ville du Capitole, l’avènement, non pas de la République 2.0, mais bien de la Seconde République. Certes, elle ne dura que quelques années mais, comme son nom ne le laissait pas présager, sema les graines d’une troisième qui, à la fin du 19e siècle, devait installer durablement un régime démocratique en France. Il y a eu plusieurs mises à jour depuis cette époque, et parfois les installations des nouvelles versions ont bien failli faire planter le système. Néanmoins, il tourne toujours à l'heure ou j'écris ces lignes.

Boulangers au bureau de bienfaisance de Toulouse, 1938-1940, négatif N&B, 9 x 12 cm. Marius Bergé – 85Fi681

janvier 2023


Four de l'an
Dans la France du Grand Siècle, lorsqu’un spectacle ne rencontrait pas son public, on préférait annuler la représentation. Les lustres n’étaient pas allumés et la salle demeurait dans l’obscurité la plus profonde ; il y faisait noir comme dans un four. Ainsi naquit l’expression « faire un four » chez les comédiens, qui s’est ensuite popularisée pour caractériser un gros ratage ou  un échec retentissant.
En ces temps de bilan, nous pourrions donc placer l’année 2022 sous le signe du four. Diplomatique d’abord, militaire ensuite, mais aussi climatique, tant littéralement que littérairement pour cette dernière occurrence. Ainsi nous-avons pu ressentir, concrètement cet été, l’échec cuisant – si j’ose dire – des politiques visant à ralentir le réchauffement global. Et pour tout dire, nous avons parfois eu l’impression de vivre à l’intérieur d’une fournaise.   
Comme disait ma grand-mère : « On ne peut pas être à la fois et au four et au moulin », plagié sans vergogne par Mamère qui affirmait « On ne peut pas être à la fois et au fioul et à l’éolien ». Il a tout piqué à ma mémé ce gars-là, même sa moustache !  Pour filer la métaphore, on peut comprendre qu’il soit difficile d’avoir plusieurs fers au feu en même temps, surtout en période de crise, mais espérons que les grands ratages de l’année passée seront à l’origine des grandes réussites de l’année à venir. Pas comme moi, avec le Dry January, où j’échoue à chaque fois. 

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